La Juive, actuellement à l’affiche de l’Opera Vlaanderen – l’Opéra des Flandres – rappelle, si besoin est, l’importance de la prononciation dans le répertoire français. Au sein d’une Belgique tiraillée entre deux langues, il est révélateur de constater que des Pêcheurs de perles wallons amènent à la même conclusion mais par une démonstration inverse. A Gand, un sabir général ou presque ; à Liège, un français dont l’articulation parfaite – jusqu’au Nourabad de Roger Joakim, le quatrième belge de la distribution – rend inutile la lecture des surtitres, proposés dans trois langues différentes quand en Flandres ils ne sont affichés qu’en néerlandais – cherchez l’erreur !
Ce n’est pas le seul atout de cette nouvelle production d’un drame lyrique, considéré trop souvent comme une oeuvre mineure. La présence de Lionel Lhote en Zurga justifie à elle seule de franchir la Meuse (il reste encore trois ou quatre représentations jusqu’au 30 avril). A 41 ans, ce lauréat du Concours International Reine Elisabeth 2004, affiche une santé vocale qui l’inscrit dans la droite ligne d’une école de barytons françophones glorieusement représentée par Arthur Endrèze, Ernest Blanc ou Ludovic Tézier – entre autres, la liste est longue. Question de diction – ou mieux de déclamation – mais pas seulement. Le bronze, le mordant, l’ampleur, le maintien donnent à chaque phrase une grandeur qui est noblesse. Cette fierté naturelle, ce port de voix altier sont d’autant plus appréciables qu’ils ne sont pas gratuits mais qu’ils s’accompagnent d’intentions et de nuances en lien avec le texte. Faut-il alors s’étonner que l’air de Zurga l’emporte à l’applaudimètre ?
© Opéra Royal de Wallonie
Comme prévu, Anne-Catherine Gillet est une Leila vif-argent, moins « déesse » que jeune femme au cœur simple mais néanmoins déterminée. Le vibrato serré n’empêche pas le trille. L’émission pointue renvoie d’un chant à la pureté rafraîchissante une impression un peu désuète. L’aigu héroïque de Lionel Lhote faisait penser à Ernest Blanc, c’est Renée Doria qu’évoque parfois la soprano belge. Nous sommes en bonne compagnie.
Pour interpréter Nadir, Marc Laho, désormais titulaire de rôles plus dramatiques, a accepté de remettre en cause sa technique. La démarche, courageuse, n’est qu’à moitié payante. Le ténor parvient en mixant les registres à la suavité nécessaire mais ces instants de grâce sont fugitifs. Le chant paraît souvent instable et l’intonation incertaine.
Délaissant exceptionnellement l’opéra italien, Paolo Arrivabeni semble rechercher une clarté que l’on dit caractéristique de la musique française. Sa lecture possède une légèreté propice à la poésie, dût l’impétuosité de l’écriture du jeune Bizet passer au second plan. Une telle direction présente l’orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie sous un jour favorable quand le chœur au contraire expose une érosion sonore regrettable dans une partition qui leur fait la part belle.
Conçue sous forme de flashback selon le point de vue de Zurga, la mise en scène de Yoshi Oïda vaut d’abord par son parti-pris esthétique imprégné de japonisme, avec son décor onirique comme à l’encre de Chine : ses jonques d’osier flottant dans l’air, ses figurants pêchant nus leurs perles en fond de scène tandis que Nadir chante sa romance dans une demi-pénombre. « il fallait retrouver l’esprit de l’exotisme » explique celui qui fut aussi acteur de théâtre traditionnel japonais avant de travailler avec Peter Brook, « il m’a semblé que j’y parviendrais en invitant une équipe artistique internationale ». Un créateur de costumes anglais, un décorateur néerlandais, un metteur en scène japonais admettons – même si la force dramatique du propos laissé à désirer – mais, pour interpréter un opera français, preuve est ici faite : rien ne vaut des chanteurs… wallons !