Après Baden-Baden, Lyon et Londres, Joyce DiDonato a fait escale à Paris pour présenter dans la série des Grandes Voix son dernier album, « Stella di Napoli », salué à juste titre dans nos colonnes. Le programme du concert, qui s’articule autour d’ouvrages créés à Naples dans la première moitié du dix-neuvième siècle, reprend la plupart des titres qui figurent sur le CD auxquels s’ajoutent quelques pages symphoniques. Les trois grands maîtres du bel canto italien, Rossini, Bellini et Donizetti y côtoient d’autres compositeurs de l’époque à travers des œuvres qui sont aujourd’hui tombées dans l’oubli : Pacini, dont la Saffo a naguère été reprise par Leyla Gencer, Carafa dont Le Nozze di Lammermoor ont été supplantées par la Lucia donizettienne et Mercadante, auteur d’une Vestale qui n’a pas connu la même postérité que celle de Spontini.
Le Théâtre des Champs-Élysées plein à craquer attend avec impatience l’entrée de sa diva. Très élégante, dans une magnifique robe noire garnie de strass, la mezzo-soprano nous offre en guise de hors-d’œuvre la cabalette « Ove t’aggiri, o barbaro » extraite de l’opéra de Pacini Stella di Napoli qui donne son titre au nouvel album. Dans cette page brillante au tempo alerte, la cantatrice fait preuve d’une remarquable virtuosité en se jouant avec gourmandise des ornementations les plus périlleuses qui parsèment la partition. C’est à peine si l’on remarque que le trille, naguère si glorieux, est tout juste esquissé. Cependant, dans la romance de Nelly (Adelson e Salvini), la mezzo-soprano semble avoir quelques difficultés à soutenir la ligne de chant et frôle par moment l’accident vocal. L’air de la Lucia de Carafa confirme ce malaise : la voix n’a plus cette rondeur que nous lui connaissions et le timbre n’est pas exempt de duretés dans les forte. De plus, la cantatrice, soucieuse de sauver les meubles, ne paraît pas concernée par les tourments de son héroïne. Fatigue passagère ? Certainement, si l’on considère le rythme soutenu de la tournée qu’elle est en train d’effectuer : quatre concerts en une semaine avec un programme qui aligne pas moins de huit grandes scènes d’opéras particulièrement exigeantes, sans parler des voyages, suffisent à expliquer cette petite baisse de régime. Fort heureusement, dans le dernier extrait, le très difficile air de Zelmira, la voix récupère peu à peu son moelleux, la vocalise s’anime, le trille se met en place, l’aigu rayonne et c’est à un véritable feu d’artifice que nous convie alors la chanteuse à qui l’on pardonnera quelques notes piano légèrement détimbrées.
Après l’entracte, vêtue cette fois d’une robe en lamé rouge sombre, Joyce diDonato paraît sereine. La voix est enfin « chauffée » : dans l’extrait de La Vestale de Mercadante, le timbre a retrouvé une partie son homogénéité et le medium, ses couleurs ambrées. Dès lors, la mezzo-soprano n’a aucun mal à nous émouvoir dans la plainte amoureuse de l’Elisabetta de Donizetti tandis que l’impressionnante scène finale de la Saffo de Paccini soulève l’enthousiasme de la salle. Émue, la diva remercie le public, et dit tout le bonheur qu’elle éprouve lorsqu’elle chante à Paris, la ville qui « l’a vue naître artistiquement »*, puis, citant l’air de Rossini qu’elle s’apprête à proposer en bis, nous rappelle combien « la bella pace » est importante, surtout en ces temps troublés. Le rondo d’Elena qui conclut La Donna del lago constitue sans doute le sommet de ce concert : plus qu’un simple dessert, une véritable pièce montée, tant la cantatrice nous en donne une version ébouriffante, multipliant sans aucun effort apparent, les ornementations les plus audacieuses, avec un évident plaisir de chanter. Devant l’enthousiasme des spectateurs qui se lèvent pour l’acclamer, elle redonnera un extrait de l’air de Zelmira, les bras chargé de fleurs et le sourire aux lèvres, non sans avoir vanté les qualités du chef. En effet, Riccardo Minasi aura au moins eu un mérite, celui d’avoir baissé le volume de l’orchestre afin de ne pas couvrir la chanteuse, car lorsqu’elle ne chantait pas, nous avons eu droit à un déferlement de décibels, notamment dans l’ouverture de Norma qui n’a jamais paru aussi tonitruante et celle d’Alzira qui prenait des allures de musique de bastringue.
* C’est Hugues Gall qui, en 2002, alors qu’elle était totalement inconnue, l’engage pour chanter Rosine dans une nouvelle production du Barbier de Séville, donnant ainsi le coup d’envoi à sa carrière internationale.