Créée en 2019 à l’Opéra royal et captée en DVD à l’occasion, la production de Richard Coeur de Lion fait cette saison l’objet d’une reprise dans une distribution quasiment inchangée. Dans sa conférence introductive, Hervé Niquet confiait avoir eu le sentiment de renfiler des chaussons : la perfection de l’exécution confirme cette perception d’un spectacle parfaitement rodé avec des solistes impeccables et un vrai esprit de troupe. L’œuvre, relativement courte (moins d’une heure et demi) est donnée sans entracte, avec quasiment aucune coupure dans le discours dramatique grâce à d’efficaces changement de décors à vue (Hervé Niquet a également meublé le dernier précipité avec de la musique de ballet de Grétry). L’ouvrage est étonnant, avec une multiplicité de personnages sans qu’aucun ne prenne vocalement le dessus. Le livret, à la versification laborieuse, compte les efforts de Blondel pour libérer Richard, emprisonné par Léopold V d’Autriche. Blondel, qui se fait d’abord passer pour aveugle pour ne pas attirer les soupçons, découvre l’existence d’un prisonnier dans la forteresse de Linz grâce à deux compatriotes, Laurette (courtisée en secret par le gouverneur de la prison) et son père Sir Williams (qui n’apprécie pas la chose). Détail amusant, le gouverneur de la prison s’appelle… Florestan ! La comtesse Marguerite d’Artois, amoureuse du roi Richard, est de passage dans le village : Blondel s’en fait reconnaitre en lui chantant une romance que le roi avait composé pour elle. A l’acte suivant, Blondel utilise le même subterfuge pour se faire reconnaitre du roi. Une fête est organisée au dernier acte, à laquelle Florestan se présente pour courtiser Laurette : les amis de Richard en profitent pour attaquer la place et délivrer le roi.
© Agathe Poupeney
La musique est constamment plaisante, quoique sans mélodies particulièrement entêtantes. Parmi la bonne vingtaine de numéros musicaux, citons « Ô Richard, ô mon roi », interprété par Blondel à l’acte I : l’air fut chanté le 1er octobre 1789 par les gardes du corps du roi à l’arrivée de Louis XVI et de Marie-Antoinette venus les saluer alors que la troupe tenait un banquet à l’Opéra royal. L’événement ne fut pas au goût des révolutionnaires, lesquels emmenèrent la famille royale à Paris dès le lendemain. La page devint un signe de ralliement des royalistes. L’air de Laurette, « Je crains de lui parler la nuit », est connu des amateurs de Tchaikovsky : c’est celui que chante la vieille comtesse de La Dame de Pique, lorsqu’elle se remémore sa visite au roi de France à Versailles. Le rôle fut créé par la célèbre Madame Dugazon, royaliste fervente qui réussit à garder la tête sur les épaules malgré des sentiments qu’elle ne cachait pas. Notons également l’amusant ensemble « Quand les bœufs vont deux à deux, le labourage en va mieux » ou la délicate romance de Richard, « Une fièvre brûlante ». L’architecture de la partition est pleine de surprises : airs, duos, trios, ensembles, interruptions par des dialogues parlés… Il y a là une liberté formelle étonnante, imprévisible. L’orchestration de Grétry est au diapason, pleine d’imagination, et l’on comprend l’enthousiasme du chef Hervé Niquet envers le compositeur liégeois, comme pour ce Richard Coeur de Lion qu’il voit comme un ancêtre de la comédie musicale.
Le spectacle de Marshall Pynkoski, co-directeur artistique de l’Opéra Atelier de Toronto, est tout simplement parfait, dramatiquement sans temps morts. L’expression théâtrale est soignée, le metteur en scène ayant par ailleurs choisi de légèrement outrer l’expression des sentiments en la soulignant par des postures adaptées, sans pour autant faire sourire. Les décors d’Antoine Fontaine, à base de toiles peintes en trompe l’oeil, sont un absolu ravissement et la scénographie est parfaitement mise en valeur par les superbes lumières d’Hervé Gary. Jeannette Lajeunesse Zingg, également co-directrice artistique de Opéra Atelier de Toronto, signe une vraie chorégraphie classique, exigeante et superbement exécutée par le Ballet de l’Opéra Royal. Les brillants escrimeurs, dont les combats sont impeccablement réglés par Dominic Who, nous font revivre le temps des films de cap et d’épée. Les beaux costumes de Camille Assaf sont dans l’esprit du XVIIIe siècle.
En Blondel, Rémy Mathieu est une sorte de Figaro virevoltant et omniprésent, compensant par sa prestation dramatique des moyens vocaux un peu limités, en particulier dans le haut médium, un brin nasal. La diction est impeccable, le timbre agréable, et sa composition emporte l’adhésion. Melody Louledjian est une Laurette tour à tour délicate et impétueuse, avec un beau timbre de soprano. Pierre Derhet offre une belle voix de ténor et sa composition, d’une belle noblesse, est du meilleur style. Marie Perbost interprète le rôle travesti d’Antonio puis celui de la Comtesse, parfaite dans ces deux rôles. Geoffroy Buffière est un amusant Sir Williams et Jean-Gabriel Saint-Martin sait subtilement rendre les diverses facettes du gouverneur, implacable gardien de prison mais aussi amoureux de la belle Laurette. Tous les autres solistes sont également à saluer. Les chœurs sont excellents. Elément clé du succès de cette résurrection, Hervé Niquet emporte le spectacle dans un véritable tourbillon musical, à la tête de son Concert Spirituel dans une forme éblouissante. Aux saluts, l’équipe reçoit un accueil chaleureux d’une salle quasiment pleine.
[EDIT] A l’issue de la représentation du 11 novembre, Marshall Pynkoski et Jeannette Lajeunesse Zingg ont reçu les insignes d’Officiers de l’Ordre des Arts et des Lettres.