Quoi de mieux que de débuter le Festival Rossini de Pesaro par un concert d’après-midi électrisant, célébrant le ténor rossinien sous toutes ses facettes ? Pour l’occasion, il ne faut pas un mais trois chanteurs sur scène, qui concluent le programme par un terzetto d’Armida « In quale aspetto imbelle » scotchant (repris immédiatement en bis avec encore plus de réussite, les artistes, plutôt figés pendant le concert, semblant se détendre).
Mais revenons au début : après une ouverture d’Armida un peu bousculée, nous sommes immédiatement plongés dans le bain avec un duetto de Ricciardo e Zoraide où Michael Spyres (qui s’est déplacé spécialement à Pesaro pour ce concert) joint sa voix à celle de Sergey Romanovsky (qui, lui, interprète Néoclès dans Le Siège de Corinthe – il chantait d’ailleurs la veille, ce qui rend sa performance d’autant plus impressionnante). Les deux ténors rivalisent d’audace, de puissance et d’agilité. Si le Russe ne peut prétendre à l’ambitus délirant de son confrère américain, il ne pâlit pour autant pas de sa proximité, ce qui est déjà en soi un exploit. Il fait montre d’une solidité du médium à toute épreuve et d’une égalité de l’émission tout au long de la tessiture qui emportent l’adhésion, le tout combiné à un volume sonore presque excessif dans le petit Teatro Rossini. Sergey Romanovsky fait également plus que tirer son épingle du jeu dans la cavatina extraite de Zelmira (opéra qu’il a interprété à Lyon), où sa hargne et sa puissance donnent tout son potentiel au scélérat Antenore.
John Irvin, David Parry, Michael Spyres, Sergey Romanovsky © Studio Amati Bacciardi
Le clou du concert reste cependant la cavatine « Minacci pur » chanté par Michael Spyres, extraite encore de Ricciardo e Zoraide : il y renouvelle la performance de son concert hommage à Nozzari en octobre dernier à Florence, en parcourant avec une apparente facilité une tessiture meurtrière et en se jouant de sauts d’octave vertigineux. Le public du Teatro Rossini lui réserve une ovation méritée. Il est d’autant plus frustrant d’apprendre que Michael Spyres ne chanterait pas le rôle l’année prochaine.
En comparaison de ces deux lions, le troisième ténor a du mal à trouver sa place. John Irvin (qui chante également dans Le Siège de Corinthe) est un ténor à la voix plus légère et au timbre plutôt nasal. La grâce du duetto « Come l’aurette placido » lui reste étrangère et l’air d’Idreno le pousse audiblement dans ses retranchements. Il sera beaucoup plus à son avantage quelques jours plus tard dans Le Siège de Corinthe.
La direction de David Parry vive et attentive (lui qui est désormais un partenaire de concert privilégié de Michael Spyres) parvient à maintenir l’intérêt dans les intermèdes musicaux (danses extraites d’Armida et Guillaume Tell). Le bilan serait on ne peut plus positif, n’était une ouverture d’Armida plombée par les multiples couacs aux cuivres de la Filarmonica Gioachino Rossini.