Un jour d’oisiveté, allez rendre visite à Monsieur le Maire-Adjoint, délégué
aux Affaires culturelles de la bonne ville de Metz, vice-président de la
Communauté d'Agglomération de Metz Métropole, en charge des Équipements
Culturels (ouf !) et devant lui prononcez ces mots : censure, fait du prince,
arbitraire, Bastille, atteinte à la liberté de parole. Digne enfant de son
temps, il blêmira, se scandalisera, se récriera. Parce qu’en plus il se mêle de
culture officielle, vous le verrez probablement hurler à la mort, faire circuler
des pétitions, faire barrage de son corps, vous réciter la Déclaration des
Droits de l’Homme et du Citoyen, brandir 1789 ! Victor Hugo ! Soljenitsyne !
convoquer la presse, la télévision, l’abbé Pierre, Djamel Debbouze ! Lui vivant,
jamais Metz ne serait le théâtre de la moindre manifestation de censure,
fût-elle larvée, rampante, obscure. Pouah !
Tolérance ! Ouverture ! Amour ! Dans une de ses tribunes flamboyantes, Monsieur
le Maire-Adjoint, délégué aux Affaires culturelles de la bonne ville de Metz,
vice-président de la Communauté d'Agglomération de Metz Métropole, en charge des
Équipements Culturels
résume de manière saisissante sa foi dans l’universalité et le respect de
l’autre : « La passion des uns a besoin de celles des autres ».
Mais lorsque l’on quitte le terrain des grands mots, il semble que la passion du
maire-adjoint s’accommode en réalité assez mal celle des autres.
Pire : la passion de Monsieur le maire-adjoint serait-elle de faire taire celle
des autres ?
C’est ce que pourrait nous faire croire ce courrier adressé à notre
correspondante quelque temps après sa critique négative du spectacle l’Amant
Anonyme :
Objet : invitations pour les
spectacles
Madame,
J'ai le regret de vous informer
qu'à compter du 1er janvier 2006, l'octroi de places gratuites sera limité aux
journalistes accrédités ainsi qu'aux agences de presses locales ou nationales
ayant un bureau à Metz.
Il ne nous sera donc plus
possible désormais de vous accueillir gracieusement pour nos spectacles
lyriques.
Je vous prie etc.
Par cette lettre signée de Monsieur le Maire-Adjoint, délégué aux Affaires
culturelles de la bonne ville de Metz, vice-président de la Communauté
d'Agglomération de Metz Métropole, en charge des Équipements Culturels est donné
par cette lettre à Forum Opéra et à sa correspondante Sophie Roughol,
journaliste reconnue s’il en est.
Quoi ! Metz nous refoule, Metz nous châtie, Metz nous exclut !
Qu’on
ne nous dise pas, comme a voulu nous le faire croire le directeur
artistique de l’Opéra, joint à ce sujet,
qu’il s’agit d’une mesure budgétaire ! Le
dieu Budget joue ici le rôle de l’ardente
Némésis. Car j’ai moi-même été
joint en décembre, peu après l’Amant Anonyme, par une secrétaire de l’Opéra,
totalement étrangère aux relations avec la presse, désireuse de m’adresser un
courrier ; au même moment, Sophie Roughol recevait un mail dans le même but.
C’est finalement elle qui a reçu à son domicile le courrier signé du
Maire-Adjoint. Budget, mon œil ! Les Erynies avaient lancé leur chasse
infernale !
A-t-on pourchassé de la même façon tous les journalistes concernés ? Ladite
secrétaire est-elle payée à recueillir les adresses qu’il suffirait de demander
à l’attachée de presse ? Pourquoi l’attachée de presse, qui connaît bien notre
correspondante, ne s’est-elle pas chargée elle-même de cette besogne ? Pourquoi
Monsieur le Directeur artistique de l’Opéra de Metz n’a-t-il pas eu la
courtoisie de s’en expliquer directement ?
C’est très simple : cette grotesque course-poursuite téléphonique visait à
produire un courrier usant des dehors d’une mesure générale pour mieux masquer –
mais avec quelle balourdise ! - une décision spécifique, ad hoc et
ciblée.
J’avoue m’être bien amusé à leur indiquer que Forum Opéra n’a pas d’adresse,
puisque nous n’avons pas de statut juridique. J’imagine le désarroi de nos
censeurs, restant sur le sable avec leur courrier leur brûlant les doigts ! Mais
leur vendetta a trouvé bon port, et Monsieur le maire-adjoint (etc.) a pu signer
de ses petits doigts rageurs son verdict en forme de circulaire administrative.
Ce
même Maire-adjoint (etc.) déclarait
récemment : « J’ai un certain nombre
d’idées pour Metz. Ce n’est pas le cas de tout le
monde ». Sans doute est-ce au nom de ses
« idées » qu’il nous fait la
courtoisie de bâillonner les nôtres ? Entre
l’affaire Dale et la censure qui aujourd’hui nous frappe,
comment ne pas reconnaître la marque de fabrique d’un
homme ?
Souvenez-vous de l’affaire Dale. L’espace de quelques mois, l’Opéra de Metz
avait semblé relever la tête. Sous la houlette de Laurence Dale, cette
ronronnante maison avait retrouvé de l’énergie, des idées, de la vision. Tout
n’était pas facile, tout n’était pas toujours pleinement abouti. Mais déjà, l’on
parlait de cet opéra comme la maison la plus prometteuse de nos provinces de
France.
C’était sans compter avec Monsieur le Maire-Adjoint, délégué aux Affaires
culturelles de la bonne ville de Metz, vice-président de la Communauté
d'Agglomération de Metz Métropole, en charge des Équipements Culturels. A Metz,
il fallait qu’on se le dise, il n’y avait qu’une personne compétente en matière
lyrique : lui. Il prit donc l’initiative de contrer Monsieur Dale sur le terrain
de la programmation, de le doubler, de le désavouer. C’est peut-être que
Monsieur Dale lui faisait de l’ombre et osait afficher des désaccords
artistiques… Monsieur Dale fut mis à la porte avec des méthodes d’une
roublardise qu’on ne détaillera pas ici. Avant lui, Madame Ory avait fait les
frais de ces mœurs-là.
Les choses rentrèrent dans l’ordre dans la bonne ville de Metz.
On
nomma à la direction artistique de l’Opéra un très honorable décorateur, qui
avait du reste officié pour Monsieur Dale. Bien entendu, tout honorable qu’il
fût, Monsieur Eric Chevalier – car c’était lui – devait bien sentir l’effet sur
lui de la mirifique générosité de son bienfaiteur, j’ai nommé Monsieur le
maire-adjoint (etc.). Sauf par quelque monstrueux phénomène d’ingratitude, il
était certain que l’on tenait là un parfait obligé, qui laisserait le
Maire-Adjoint savourer toute la plénitude de son potentat lyrique.
Tout se passa comme prévu. Et les productions déclinèrent. La routine revint.
Mais, ô miracle de l’immanente Justice, c’est Nancy – la voisine, la rivale -
qui obtint la promotion tant rêvée par tout opéra de toute bonne province de
France : devenir Opéra national. Quel affront !
Or
donc, les choses n’allaient pas fort dans la bonne ville de Metz. Les
spectateurs venaient sans grande passion et la presse sans grande conviction.
Les spectateurs, voilà qui n’est pas trop grave. Il suffit d’ajuster les
spectacles. Par exemple, de programmer pendant la même saison Irma la Douce,
La Route Fleurie, Trois Valses. Roulez jeunesse !
La
presse, c’est plus ennuyeux. On veut bien faire bas de gamme, mais il ne faut
pas que cela se sache.
C’est pourquoi, et on le comprend, Monsieur le Maire-Adjoint (etc.) a trouvé la
solution imparable : maintenant, il faut mériter sa place de presse. Et le seul
apte à choisir ses amis, c’est Monsieur le maire-adjoint.
Il
est vrai que nous ne faisions pas partie de ses amis. Nous n’en faisons toujours
pas partie. Et nous nous félicitons de ne pas frayer avec ceux qui usent des
dehors pimpants de la Culture pour entretenir les bouffissures de leur ego, et
dissimulent derrière les apparences de l’ouverture culturelle le conservatisme
le plus morbide.
C’est que ce « fringant fonctionnaire des finances », comme le décrit un
hebdomadaire à grand tirage, a circonscrit son royaume : l’art. L’art est sa
chose. La musique est sa chose. Et l’Opéra est son jouet. Ce n’est pas le maire
de Metz, Jean-Marie Rausch, un maire bourru et sans prétentions culturelles (son
seul ouvrage obtint le prix du Livre de Micro-Informatique en 1987 – pas très
« lyrique »), qui lui contestera ce pré carré.
Monsieur le Maire-adjoint (etc.) se démultiplie, il concentre, il dirige, il
surveille, il contrôle, il régente, il décide, il impose, il s’immisce – et il
s’en vante ouvertement dans la presse. Par exemple, qui fera la conférence de
présentation d’Onéguine cette saison? Lui ! (Quel meilleur spécialiste
choisir des duels qui tournent mal ?) Et qui a signé la lettre adressée à Sophie
Roughol ? Encore lui ! Au fait, qui a composé Eugène Onéguine ? Euh… non,
pas lui…. Pas eu le temps, sans doute…
Tout cela est le signe de la plus rétrograde des manières de faire, de la plus
tristement provinciale, de la plus évidemment petite-bourgeoise, sous les
couleurs, bien souvent, d’un parisianisme « in » qui se croit de bon aloi. Ne
croyez pas que nos chers Messins soient dupes : à droite comme à gauche,
beaucoup se sentent dépossédés d’une vie culturelle destinée manifestement à
servir de faire-valoir au roitelet qui en ordonne les fastes.
Les Messins le savent, Monsieur le Maire-Adjoint, délégué aux Affaires
culturelles de la bonne ville de Metz, vice-président de la Communauté
d'Agglomération de Metz Métropole, en charge des Équipements Culturels fait
toujours le même cauchemar la nuit.
Les TGV-Est part de Paris à pleine vapeur. Il s’arrête à Nancy, puis fonce vers
Strasbourg… mais, horreur ! il ne marque pas l’arrêt à Metz ! Le Maire-Adjoint
se réveille en nage, les membres tremblants. Il contemple dans la nuit les
étoiles indifférentes et écoute la rumeur de la ville, remâchant en prophète les
malheurs qui bientôt la frapperont.
C’est sans doute par une de ces nuits de délire pythique qu’il conçut le
pharaonique projet « Centre Pompidou-Metz », qui a causé bien des remous dans la
majorité municipale. C’est que le budget de Metz n’est pas extensible, et ce
coûteux joujou que Monsieur Rausch a accordé un peu imprudemment à son
maire-adjoint risque de peser durablement sur les finances de la ville et sur le
portefeuille de ses habitants.
Comment un maire aussi ancré dans la réalité, qui revendique son statut de
minotier, a-t-il pu sombrer dans un parisianisme aussi déraisonnable ? Meunier,
tu dors !
Or
donc, ô lecteurs, vous n’entendrez plus parler dans nos colonnes de l’Opéra de
la bonne ville de Metz. Nous pourrions certes continuer à couvrir ses spectacles
à nos frais,
mais nous ne voulons pas imposer à Sophie Roughol le triste devoir de porter une
fausse moustache et une perruque de carnaval que dissimulerait à peine un
chapeau à larges bords destiné à masquer ses lunettes noires.
Du
reste, vous n’en entendrez presque plus parler du tout. Car à l’évidence, cette
salle n’attire plus l’attention. Elle n’intrigue plus. Elle ne séduit plus. L’Opéra
qui aujourd’hui a retrouvé toutes ses lettres de noblesse, c’est Nancy. Et celui
qui, non loin de là, maintient un niveau exceptionnel avec des équipes hors-pair,
c’est Strasbourg. Disons-le tout net : entre ces deux phares de la vie lyrique
et musicale française, Metz ne fait plus figure en la matière que de relais
d’étape.
Monsieur, vous avez réussi l’exploit de nous faire préférer aux censeurs à la
mode du jour les petits censeurs de jadis. Leur autosatisfaction était sans
malice et leur étroitesse sans replis. Jamais ils ne se seraient donné le
ridicule de punir une journaliste s’exprimant sur un opéra dont le compositeur
est devenu l’emblème de la liberté d’expression!
C’est que leur esprit, certes étroit, ne se compliquait pas alors, comme dans le
cas présent, des manières rustaudes d’un narcissisme tatillon ajoutant à
l’arbitraire brutal l’odieux remugle d’une flatulente vanité.
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