A C T U A L I T E (S)
 
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Patricia Petibon
la soprano tranquille



 Patricia Petibon © DR
Malgré ses airs frivoles, Patricia Petibon mène sereinement une carrière qui flirte de plus en plus régulièrement avec l'excellence. Des choix audacieux et parfois critiqués qu'elle revendique et assume sans langue de bois, avec pour seul objectif : faire partager sa passion de la musique, par tous les moyens.



Lorsqu'on regarde vos engagements, on a l'impression que vous menez deux carrières distinctes et le travail que vous menez depuis plusieurs années à Vienne avec Harnoncourt semble passer totalement inaperçu en France. Comment l'expliquez-vous ?

En fait, j'ai plusieurs vies ! Du moins, c'est ce que je me plais à répéter... Le problème en France, c'est qu'il faut correspondre à une seule image. Or moi j'aime brouiller les cartes, sortir des structures traditionnelles et explorer d'autres répertoires. J'aime bien changer régulièrement d'image : être quelqu'un à un moment donné et puis passer à quelque chose de totalement différent. C'est en faisant appel, tant du point d'un point de vue théâtral que vocal, à une large palette que l'on peut enrichir son jeu et son interprétation.
Ce n'est pas parce que j'ai recours à l'humour dans mes récitals que je n'exploite pas mes possibilités tragiques, comme c'est le cas à Vienne avec Harnoncourt.

(Patricia Petibon dans les Indes Galantes - Rameau - Paris)

Vous ne craignez pas d'être cataloguée ?

Je crois que je le serai forcément par une catégorie de personnes qui manquent d'imagination et pour qui il est beaucoup plus simple de réduire les gens à des étiquettes. Mais ce n'est pas propre à moi. Regardez les grands comiques à qui on a reproché de ne pas être de bons comédiens sous prétexte qu'ils faisaient rire.

A partir du moment où l'on propose quelque chose avec légèreté, cela crée une fissure. Or sur scène, c'est vrai que je m'amuse beaucoup, surtout en récital. Mais ce n'est qu'un aspect. Lorsque je chante Giunia dans Lucio Silla, je n'arrive pas sur scène avec un nez de clown... J'ai eu la chance de travailler avec de nombreux metteurs en scène aux côtés de qui j'apprends énormément et qui savent tirer de moi des choses que je n'aurais pas forcément trouvées par moi-même.

Vienne a presque l'exclusivité de vos grands rôles. Les rares que vous ayez chantés en France, Mélisande et Sophie, ce fut à Lyon et non à Paris...

Oui, mais c'est en fonction de ce qu'on me propose. A Vienne, je vais reprendre la poupée des Contes d'Hoffmann, de même qu'il y a beaucoup de Mozart de prévus. Il y aura aussi la Sophie du Rosenkavalier...

Chanter ce rôle dans ce théâtre, ça vous fait quel effet ?

C'est impressionnant, évidemment. Mais c'est davantage dû au fait qu'on a très peu de répétitions. J'ai énormément regardé le DVD de cette production [mise en scène par Otto Schenk] et j'essaye d'utiliser l'espace pour que le rôle devienne quelque chose d'instinctif, qu'il y ait des réflexes. Même si ma tête s'en va quelques secondes – avec une musique pareille ! – il faut que mon corps soit en pilote automatique.

C'est un exercice particulier et difficile, et en même temps une grande expérience : l'orchestre est tout de même fabuleux, et chanter ce répertoire à Vienne est une grande chance. D'ailleurs, malgré les risques que cela comporte, j'ai tout de suite accepté.

De toute manière, il faut bien se lancer. Je n'envisage pas ma vie d'artiste sans me confronter à mes limites, quitte à faire des erreurs. Un récital sans surprise, sans effort sur soi-même, cela n'a pas d'intérêt.

Que vous apporte le travail régulier avec Harnoncourt ?

En côtoyant quelqu'un comme Harnoncourt, on comprend tout de suite quel est le but de la musique. Cet homme a pris des risques toute sa vie et maintenant il nous passe le relais, nous inculque tout son savoir. Ce qui est formidable avec des chefs de son envergure, c'est qu'il y a un vrai dialogue avec les musiciens, à tous les points de vue. Il reste un jeune homme, d'une humanité infinie et à qui on peut tout dire, tout confier. Ses faiblesses comme ses atouts. A partir de là, il va tout faire pour vous mettre en valeur et vous aider pour que tout se passe au mieux. C'est assez rare pour le souligner.

Avec lui, on ressent cette passion de la musique, le bonheur de la surprise. Lorsque j'ai chanté le Directeur de théâtre, j'ai mesuré à quel point on pouvait s'amuser avec lui. Si on lui fait une farce, même pendant le concert, il adore ça et il rebondit sur ce qu'on vient de faire. D'ailleurs, dans son enregistrement du Directeur, c'est lui qui chante le rôle du Bouffe parce que le chanteur était malade... C'est cette façon brute de voir la musique qui me plaît chez lui. Ne pas tenter d'édulcorer les choses ou de soigner le son...

Pourtant, on a l'image du musicologue perdu dans ses traités et ses écrits théoriques sur la musique...

C'est un musicologue, certes, mais qui n'oublie pas sa créativité. Bien sûr il y a la recherche, mais cela reste de la musique vivante ; et pour nous chanteurs, c'est un régal en même temps qu'une leçon de courage et d'opiniâtreté. Lorsque j'entends ce qu'il fait, j'ai moi aussi envie de suivre cet exemple même si c'est pas facile parce que dès qu'on tente quelque chose de nouveau, il y a des réactions très extrêmes (négatives mais aussi positives) parce que sans le savoir on peut froisser soit les musicologues, soit le public.

Mais comment faire autrement ? Comment bien faire ce métier sans aller au fond des choses ? Ne serait-ce que pour ne pas avoir de regrets ensuite. Sinon, on resterait toute sa vie des élèves de conservatoire. Il y a un moment donné où il faut savoir s'extraire de ses professeurs, de l'enseignement. Je ne veux bien sûr pas dire qu'on n'a plus rien à apprendre, mais il faut devenir un animal et se fier à son instinct de musicien. Ce n'est qu'à cette condition qu'on pourra explorer les espaces qu'ouvre une partition et auxquels on a droit en tant qu'interprètes.

D’ailleurs, nous ne sommes pas que des interprètes, nous avons aussi un devoir de transmettre un patrimoine et pour cela, il nous faut être au coeur de notre société.

(Patricia Petibon dans Pelléas et Mélisande - Debussy - Lyon)

Avez-vous l'impression d'avoir atteint une certaine maturité en tant qu'artiste ?

J'ai la chance d'avoir la liberté artistique d'évoluer à mon rythme, de faire de nombreux récitals, de choisir les productions scéniques qui me plaisent. C'est déjà une première preuve d'indépendance.

En outre, je sens que je suis entrée dans mes années de maturité. A la fois physique et vocale. Entre 20 et 30 ans, une voix se construit, se cherche. Même si elle reste toujours fragile, à partir de 30 ans, elle prend une autre couleur. La décennie jusqu'à la quarantaine est déterminante. On prend de l'assurance et les choix qu'on fait décident de la suite.

Je sens que je suis entrée dans mes années fortes où la voix change énormément. Il faut évoluer de façon intelligente, sans être pressé. La voix est fragile et il faut être très respectueux vis à vis d'elle. Le temps ne doit pas être un ennemi. On demande beaucoup aux jeunes chanteurs, tout tout de suite. Moi ça me fait peur. Il ne faut pas oublier de vivre à côté, trouver un équilibre. Nous ne sommes pas des TGV, ni même des macintoshs...

Surtout que même un macintosh peut bugger...

Exactement, un instrument, ça bugge. Pourtant les gens ne se rendent absolument pas compte de la difficulté de chanter. Parce que la voix, ça semble naturel. Or ce qui semble naturel, comme la musique de Mozart, c'est ce qu'il y a de plus difficile à entretenir. C'est beaucoup de contraintes dans la vie quotidienne.

Cette image un peu espiègle, primesautière qu'on a de vous, ça vous correspond ou c'était une manière de vous exprimer à un moment donné ?

Bien sûr que ça me correspond. Mais c'est une petite facette, parmi beaucoup d'autres. Et même si je joue avec cette image, je ne comprends pas qu'on en parle tellement. Quel est le problème si je privilégie cette image sur certaines photos ou pochettes ? Ce n'est pas parce que je m'amuse beaucoup que ma personnalité n'est pas plus complexe. Entendre une salle rire, c'est toujours un grand plaisir. En plus, c'est une manière de communiquer avec le public. Mais ça fait partie d'un tout. Si on isole une farce alors que j'ai chanté des mélodies sérieuses avant, ce n'est pas représentatif.

Vous vous reconnaissez pourtant dans cette image ?

Oui. Parce qu'il faut dire que je suis quand même bien allumée ! Ma folie, elle est là et je fais avec. Ne serait-ce que parce qu'elle renferme aussi une dimension plus obscure, plus inquiétante. Lorsque j'ai fait Lucio Silla à Vienne, il paraît que je n'ai pas fait beaucoup rire... C'est justement cela qui est intéressant : de voir jusqu'à quel point on peut être quelqu'un d'autre. Ca dépend aussi de l'environnement culturel. Par exemple les récitals que je fais n'ont rien de déroutant aux Etats-Unis où les chanteurs « lyriques » font régulièrement des incursions dans d'autres répertoires.

Et chanter avec Florent Pagny, c'était une sorte de pied-de-nez ?

Là aussi, on en a fait toute une histoire ! Pourtant je ne crois pas avoir fait de concession.  J'ai rencontré un public à qui il n'était pas évident de faire connaître la musique classique. Ca a fonctionné et je trouve que c'est la meilleure façon d'introduire la musique classique : non pas en la vulgarisant, mais au contraire en proposant quelque chose de qualité.

C'est une expérience que j'ai d'abord acceptée par curiosité parce que c'était une manière nouvelle pour moi d'utiliser la voix. Au début j'ai simplement enregistré un duo sans penser que je pourrai faire une tournée de concerts ensuite. Je suis jeune et ce sont des expériences que je veux faire maintenant et pas lorsque j'aurai 70 ans... Florent Pagny m'a fait l'honneur de me demander de chanter avec lui. Je ne vois pas pourquoi je n'aurais pas dû accepter. Je n'ai pas envie d'être aristocrate dans ma façon de penser et je suis persuadée qu'on a à apprendre de tout le monde, et ce fut le cas.

Je me suis fait plaisir mais en même temps j'ai joué le jeu et je pense l'avoir fait très sérieusement. Et puis après, que cela s'appelle « Baryton » alors qu'il chante des airs de ténor... je ne crois vraiment pas que ce soit essentiel comme polémique !

Quels sont vos projets avec Harnoncourt et en cette année Mozart ?

Je vais bientôt retrouver Nikolaus Harnoncourt. Surtout pour du Mozart justement. On va donner Die Schuldigkeit des ersten Gebotes, un oratorio peut connu qui date de la période de Lucio Silla. Sinon il y aura Susanna à Nancy en début de la saison prochaine. Je dois également chanter un programme d'airs de concert au prochain festival de Salzbourg avec Harding. Il y aura les airs écrits pour Aloysia – mais pas Popolo di Tessaglia, qui est superbe, mais où tout le monde attend les contre-sol ! Finalement, il y aura beaucoup de Mozart, et j'en suis très contente.

Et des projets discographiques ?

J'ai chanté Angelica dans l'Orlando paladino de Haydn dirigé par Harnoncourt. L'enregistrement devrait paraître bientôt. Sinon, je n'ai pas tellement de projets discographiques. J'ai envie de prendre mon temps. Un récital se prépare, se construit avec le temps. Il faut avoir quelque chose à raconter et le faire dans de bonnes conditions. J'ai fait pas mal d'enregistrements et cela ne m'intéresse pas de les enchaîner. Je ne suis pas pressée.

En revanche, je sens que les enregistrements live me correspondent de plus en plus. Parce qu'on aura beau faire et refaire en studio, l'opéra est un quelque chose qui se fait face à un public. On se donne différemment, de façon plus vraie. Plus encore qu'en studio, les enregistrements publics nécessitent une grande préparation. Même si il y a toujours des imperfections, il faut les limiter au maximum. C'est une photographie d'un moment mais elle reflète la réalité d'un vrai concert et non pas des heures passées en studio sur une même mesure. Il y a de très belles choses à faire au dvd, en créant une atmosphère, en soignant l'image... afin de revenir à quelque chose de plus naturel, de plus direct.

J'ai envie d'approfondir, voir ce qu'il est possible de faire en concert, jusqu'où je peux aller. Parce que finalement, rien ne vaut une bonne trouille !

Propos recueillis par Sévag Tachdjian
le 27 janvier 2006

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Lire également la critique du DVD French Touch

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