C O N C E R T S
 
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TOULOUSE
18/02/2004

(maquette © Capitole de Toulouse)
AÏDA

Aïda : Michèle Capalbo
Radamès : Piero Giuliacci
Amnéris : Dolora Zajick
Ramfis : Giorgio Almaguer
Il Re : Luigi Roni
Ramfis : Giorgio Giuseppini
Un messager : Claude Minich
Une prêtresse : Rossana Potenza
Giusseppe Verdi : Fritz Hörtenhuber

Direction musicale : Maurizio Benini
Mise en scène, décors, costumes et lumière : Pet Halmen
Orchestre national du Capitole
Choeur du Capitole, direction : Patrick Marie Aubert
Ballet du Capitole

Toulouse, Théâtre du Capitole/Halle aux grains
18 février 2004



A l'issue de cette première représentation de la nouvelle production d'Aïda présentée à Toulouse, sifflets et huées d'une partie du public ont salué non pas le plateau, mais le metteur en scène et décorateur Pet Halmen. Est-ce à dire que c'était mérité ? Pet Halmen connaît bien Aïda pour l'avoir décoré ou mis en scène à de nombreuses reprises, notamment dans les deux opéras de Berlin et à Chicago, avec pour principe le déplacement de l'action vers notre époque.

Le procédé est devenu quasiment courant : en 2003 à Erfurt puis cette année à Monte-Carlo, Dieter Kaegi a transporté avec bonheur l'opéra dans les années 1925-30 ; Jamie Hayes à Belfast, en 1997, illustrait le même parti pris en transposant la guerre égypto-éthiopienne en guerre franco-prussienne de 1870 ; la scène du triomphe y devenait une réception bien arrosée de champagne et de danses "à l'égyptienne". Toute différente, celle de Götz Friedrich et Pet Halmen au Deutsche Oper de Berlin (1982/88) plaçait l'action dans l'univers de ruines archéologiques dans lequel vivait Mariette, avec en substrat le déroulement des guerres européennes. 

Le même Pet Halmen choisit, une quinzaine d'années plus tard, une toute autre option pour la scène plus intime du Staatsoper Unter Den Linden à Berlin (1995) : il situait l'action au tournant du siècle dernier, au milieu des vitrines "habitées" du musée du Caire. Des égyptologues s'y retrouvent, certains disparaissent mystérieusement pendant que les personnages de l'opéra quittent les vitrines. Le développement de l'intrigue trouve ainsi, entre Belphégor, les Maléfices de la Momie et les aventures d'Indiana Jones, un merveilleux champ d'action qui aiguillonne l'imaginaire de chacun des spectateurs, lui proposant ainsi de multiples lectures parallèles ou non. Son parti pris toulousain est très proche : vitrines du musée du Caire avec les objets du trésor de Toutankhamon, personnages du roi et d'Amnéris s'animant dans le musée, Radamès et Aïda étant, eux, des personnages contemporains de l'écriture de l'opéra. Avec de jolies et efficaces trouvailles, comme l'épée de guerre qui est prise dans une vitrine pour la remettre à Radamès. Deux Anubis ithyphalliques à la belle prestance, instruments du destin, accompagnent les chanteurs de leurs évolutions silencieuses. Un décor à dominante bleue, avec des colonnes baladeuses, assez gênantes pour les nombreux spectateurs placés sur les côtés, derrière la scène et l'orchestre, créent une atmosphère de type "aquarium" assez bien venue à défaut d'être nouvelle.


(maquette © Capitole de Toulouse)

Dans tout cela, jusqu'à présent, il n'y a pas de quoi fouetter un sphinx. En fait, c'est peut-être au moment des "intermèdes" que se crée le malaise. Les fameux intermèdes qui arrêtent un moment l'action pour des scènes de genre ou des tableaux spectaculaires, que les metteurs en scène ont pris l'habitude de contourner de peur de devoir les traiter au premier degré : la scène du "temple de Ptah", celle des appartements d'Amnéris, et celle du Triomphe de Radamès. Pour la première, tout un troupeau d'éphèbes est égorgé par les prêtres. Dans la seconde, quatre éphèbes (rescapés de la scène précédente ?) sont totalement dévêtus et quasiment violés par les servantes d'Amnéris dans une véritable bacchanale orgiaque. Enfin, la scène du Triomphe offre des variations tout aussi curieuses. Des guerriers, coiffés d'improbables casque à têtes d'Horus et protégés de cuirasses en forme de corps pharaoniques défilent, suivis de prêtresses d'Hathor. D'ailleurs, on a droit aussi à un combat de dieu contre déesse, Horus contre Hathor, dans la meilleure veine des films de cape et d'épée des années 1960. Arrivent enfin des bateleurs de cirque, accompagnés de la déesse Bastet - il ne manquait plus qu'elle - qui crache et griffe à qui mieux mieux pendant que ses comparses font et défont - vous l'avez deviné - des pyramides humaines. Qui plus est, tout se déroule sous le regard impassible de Verdi lui-même, qui circule un peu partout pendant toute la durée de l'opéra, comme si c'était lui-même qui signait la mise en scène (il a une table et un carnet de notes à sa disposition), parfois surpris du résultat, quelquefois même intéressé.

Émane donc de tout cela une impression de malaise, de dispersion surtout, pour ne pas dire de grand désordre intellectuel. L'attention du spectateur se dilue sans cesse, au lieu de se concentrer sur l'implacable montée de l'action ; on en arrive à se demander : "qu'est-ce qu'ils vont encore inventer ?", au lieu de frémir aux malheurs d'Aïda... D'autant que le plateau, de haut niveau, joue parfaitement le jeu. Il est dominé bien sûr par Dolora Zajick, dont la voix est toujours aussi belle, et qui maintenant prend de plus en plus plaisir à affiner des nuances subtiles. Sa troisième reprise, par exemple, de la périlleuse phrase d'Amnéris dans ses appartements, allégée au point qu'elle en devient presque murmurée, crée un grand moment d'émotion. Madame Zajick, dont on connaît la puissance et l'égalité des registres, montre ici avec maestria, comme dans le Trouvère à Paris, une autre facette de son talent de musicienne. Michèle Capalbo, Piero Giuliacci (remplaçant Jon Villars, le beau Bacchus du récent Ariane à Naxos du Palais Garnier initialement prévu) et Carlos Almaguer assurent avec aisance les trois autres rôles principaux, et l'on retrouve avec plaisir Luigi Roni qui demeure l'un des grands Rois de sa génération. Les trois autres rôles sont bien tenus, bien que ce ne soit pas encore dans cette production que l'on puisse voir un messager qui vous donne le grand frisson...

Une direction parfois lente et molle, se traduisant par des décalages entre la fosse et les choeurs, ne fait qu'accentuer tous les défauts de l'acoustique, médiocre (orchestre cotonneux, voix mates), de ce lieu difficile à tous points de vue. Que dire pour conclure ? Eh bien que, malgré tout, c'est un très beau spectacle. Et s'il n'a pas trouvé son rythme dès la première, c'est qu'il manque encore de rodage, que les choeurs et les figurants ne sont peut-être pas tout à faire (sinon du tout) entrés dans le jeu pervers de Pet Halmen...
 
 
 

Jean-Marcel HUMBERT
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