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AIX-en-PROVENCE
premier volet
du 06/07/06 au 09/07/06
Simon Rattle dirige le Berliner Philharmoniker
dans la Cinquième Symphonie de Mahler et Das Rheingold de Wagner
Journal d’un festivalier
Aix en Provence, 6 juillet 2006
Profitant de la présence à Aix du Berliner Philharmoniker,
le Festival et l’Association Cézanne-Aix 2006 avaient
imaginé pour hier soir un événement
grandiose : un concert en plein air au pied de la Montagne
Sainte-Victoire. Dans une carrière permettant de réunir
plus de dix mille spectateurs, on a monté une infrastructure
colossale : quatre tribunes, une pelouse de plus d’un
hectare, un podium gigantesque, un remarquable système
d’amplification du son, deux écrans géants, 8
parkings reliés par des navettes de bus, tout cela sorti de
terre en quelques jours, de quoi faire pâlir de jalousie tous les
organisateurs de rave parties de la planète !
Arriver jusque là ne fut pas une mince affaire pour le
festivalier au premier jour de son périple, qui ne
s’attendait pas, après une journée passée
sur les autoroutes de l’Hexagone, à devoir encore
affronter les embouteillages de la nationale 7, faire quatre tentatives
infructueuses et se heurter à autant d’escadrons de police
pour enfin trouver à garer sa voiture, parcourir de longs
sentiers poussiéreux en pleine campagne avant de rejoindre le
lieu du concert.
Les efforts, pourtant, sont largement récompensés et le
spectacle à l’arrivée est
époustouflant : dans la lumière déclinante
d’un soir de juillet, la Montagne Sainte-Victoire étale
ses formes majestueuses sur le paysage et crée un décor
d’une force incroyable. Le public très
mélangé s’est installé nonchalamment sur
l’herbe, toutes origines et toutes générations
confondues, et quelques invités privilégiés ont
trouvé place dans les tribunes. Dix mille billets gratuits
avaient été offerts et il n’en restait plus un,
paraît-il, quelques heures après l’ouverture de la
location. Cette foule colorée est étonnement calme,
silencieuse, à la fois respectueuse du lieu et du concert. Ceux
qui sont là ont délibérément renoncé
à suivre France-Portugal à la
télévision ; un tel sacrifice mérite une
certaine solennité, même si tous ne sont probablement pas
conscients de la qualité de ce qui leur est ici offert.
La musique de Mahler (cinquième symphonie dirigée par Simon Rattle),
à la fois populaire et magistrale, s’intègre de
façon idéale à un tel espace et convient
particulièrement bien à l’événement.
Interprétée avec un mélange de passion,
d’enthousiasme et de recueillement par un orchestre heureux et
fier, la partition capte d’emblée l’attention du
public. Lorsque survient l’Adagietto,
même les cigales, émues, finissent par baisser les
armes ; mené par Rattle très inspiré, un
grand moment de poésie s’empare du lieu, se répand
généreusement sur la nature, et s’enfonce dans la
nuit.
Lorsque le concert se termine, récompensé par dix longues
minutes d’applaudissements et que les portables se rallument, une
autre effervescence reprend ses droits : la France mène par
un but à zéro, il reste un quart d’heure à
jouer et on commence à y croire…
C.J.
Aix en Provence, 7 juillet 2006
L’anniversaire Mozart, à Aix, est curieusement
supplanté, tant dans les médias qu’en ville (qui
s’en plaindra), par une autre célébration :
celle du centenaire de la mort de Cézanne.
Enfant du pays dont l’œuvre a magnifié la Provence,
cette figure majeure de la peinture moderne fait l’objet de
différentes expositions, la plus importante au Musée
Granet. Un public international et contingenté envahit donc
chaque jour le petit musée provençal pour rendre hommage
au grand peintre et communier à la grand’messe culturelle
de la saison. L’exposition est très réussie, non
seulement parce qu’elle réunit des pièces
significatives issues de collections privées ou des grands
musées des quatre coins de la planète, mais aussi par la
présentation intelligente et sobre, discrètement
didactique, de l’œuvre sous ses différents aspects.
Les paysages de Provence, réduits à une explosion de
lumière et de couleurs, réunis par dizaines, provoquent
une très forte impression ; plus habile à peindre la
nature que les corps, on sent le peintre en perpétuelle
quête d’un devenir pour son art, aux portes de
l’abstraction pure, devançant avec génie le
siècle à venir.
Il y aurait sans doute de nombreux parallèles à faire entre Cézanne et Wagner,
artistes bourgeois révolutionnant leur discipline en poussant
leur intuition jusqu’aux limites, mais le festivalier craint ici
de sortir du champ de ses compétences. Il se contentera donc
d’exprimer tout son enthousiasme pour le spectacle du soir, Das Rheingold, premier volet d’un Ring qui s’étalera sur quatre années, confié à Simon Rattle et Stéphane Braunschweig.
Dès le premier tableau, on a le sentiment d’assister
à un événement important, une lecture
particulièrement dépouillée de la partition de
Wagner, une tentative de restitution fidèle qui, à force
d’intelligence, de connaissance approfondie de
l’œuvre, et surtout de sobriété, a
magnifiquement réussi son coup. Certes, cette vision presque
minimaliste a quelque chose de très français, de
très contemporain, un peu froide et objective, et sans doute
assez éloignée de l’esthétique de Wagner.
Mais elle nous parle une langue proche, celle de la raison, nous
épargne le côté abusivement interprétatif de
bien des mises en scène d’aujourd’hui, et rejoint un
universel intemporel qui convient bien à ce mythe occidental de
l’opposition entre l’amour et le pouvoir, ces deux folies
des hommes.
Réunissant un casting
quasiment sans faille, d’une qualité exceptionnelle et un
orchestre de Berlin réduit à une cinquantaine de
musiciens, la représentation tient ses promesses jusqu’au
bout, tant sur le plan scénique que musical. Un décor
unique sert aux quatre tableaux, fait d’un plancher mobile dont
les éléments montent et descendent pour figurer les
espaces du drame et animé de quelques projections vidéo
qui entraînent le spectateur tour à tour dans les
profondeurs du Rhin, au royaume des dieux, dans les entrailles de la
Terre, et sur le chemin du Walhalla. Les costumes sont contemporains,
civils et militaires, le livret est simplement déroulé.
Ainsi épurée, c’est la dimension
métaphysique de l’œuvre qui ressort principalement,
éveillant l’intelligence des spectateurs.
On se plaira à souligner la noblesse et les moyens vocaux exceptionnels de Willard White, Wotan saisissant, la subtile interprétation de Robert Gambill,
qui campe un Loge délibérément hors norme,
magicien ambigu en habit de lumière, et la présence
dramatique très intense de Mireille Delunsch
(Freia), victime révoltée de l’orgueil et de la
cupidité des hommes. Les plus petits rôles ne sont pas en
reste : voix magnifique de Joseph Kaiser (Froh), prestations très émouvantes de Anna Larsson (Erda) et Burkhard Ulrich (Mime), grandes qualités musicales des trois filles du Rhin (Sarah Fox, Victoria Simmonds et Ekaterina Gubanova), ou d’Alfred Reiter en Fafner. Les autres rôles n’ont pas démérité, Lilli Paasikivi en Fricka, Detlef Roth en Donner et Evgeny Nikitin en Fasolt. Seule réserve sur le plan vocal, l’Alberich de Dale Duesing,
qui compense par d’immenses qualités dramatiques les
quelques insuffisances de sa voix dans les registres medium et aigu.
Dans la fosse, hélas un peu étouffé par la disposition des lieux, le Berliner Philharmoniker
dirigé par Simon Rattle a donc réduit ses effectifs et
s’est mis au diapason de la simplicité, livrant avec une
aisance remarquable une interprétation très expressive
mais dépourvue d’emphase, jouant habilement sur la
diversité des timbres plus que sur le volume sonore pour
rendre les immenses richesses de la partition de Wagner ; du
très grand art par de très grands musiciens.
La production est fort bien accueillie par un public comblé et
qui attend avec impatience la suite du feuilleton l’année
prochaine.
C.J.
Aix en Provence, 8 juillet 2006
Avant d’être l’opéra-comique que l’on sait, La Périchole
est l’histoire vraie, dans le Pérou du XVIIIè
siècle, d’une chanteuse de rue séduite par le
vice-roi et entraînée par lui dans une liaison
scandaleuse, avant de se repentir au carmel. Mérimée en
fit une pièce, Le Carrosse du Saint-Sacrement,
parue en 1830, puis Meilhac et Halévy un livret, mis en musique
par Offenbach en 1868, retravaillé et élargi à
trois acte en 1875. Plus récemment (1953), Jean Renoir
s’inspira du même sujet pour tourner Le Carrosse d’Or, avec la belle Anna Magnani.
Souhaitant poser un acte créateur et ajouter sa touche
personnelle à cette histoire déjà longue, la
metteur en scène Julie Brochen
présentait hier et pour 15 représentations
consécutives, dans la cour de l’hôtel Maynier
d’Oppède, sa version de La Périchole,
adaptation libre de l’œuvre d’Offenbach. Elle avait
réuni pour ce faire une joyeuse troupe de jeunes
comédiens, quelques musiciens de rue et une vedette à la
mode, Jeanne Balibar, ainsi qu’un petit ensemble instrumental réunissant piano, clarinette et violoncelle.
Ce petit monde sympathique a semble-t-il beaucoup travaillé
– la pièce est présentée comme une
œuvre collective – afin d’imaginer un spectacle
mi-théâtral mi-chanté, qui remet La Périchole en situation historique et qui fut dès lors intitulé L’histoire vraie de la Périchole.
Le résultat de cette entreprise est tout simplement
catastrophique, et la faute en incombe à la conception
même du spectacle. Pourquoi faire chanter des comédiens
qui pour la plupart n’ont pas la formation vocale requise ?
Et qui plus est, leur faire chanter la musique d’Offenbach,
redoutable, comme on le sait, même pour des chanteurs
professionnels. Quelle est la signification de toute cette entreprise,
alors qu’on sait les efforts que le festival déploie par
ailleurs pour la formation des jeunes chanteurs au sein des
académies européennes de musique ? Pourquoi faire
parler tous les personnages à la fois, de sorte que le
spectateur ne peut suivre les dialogues et se perd dans les
dédales d’une intrigue par ailleurs sans grand
intérêt ? Qui a bien pu faire croire à Madame
Balibar qu’elle était faite pour chanter sur une
scène, et pour quelle raison s’est-elle
prêtée à ce mauvais jeu ? Sa voix est mal
placée, elle zozote, on ne comprend pas un mot de ce
qu’elle dit tant l’articulation est molle, en outre,
l’intonation est sans cesse en défaut. Ce spectacle
n’est ni drôle ni émouvant, il est simplement
consternant.
Entraîner de jeunes artistes dans cette coupable entreprise sans
leur donner la formation nécessaire est une faute.
Présenter ce spectacle dans le cadre d’un festival
international d’Art lyrique en est une deuxième ; on
n’ose imaginer ce que pensera le touriste de passage à
Aix, qui n’ayant pu obtenir de billets que pour ce seul
spectacle, devra juger du niveau général du Festival
à l’aune de cette Périchole et
des 45 € qu’il aura laissés dans l’aventure !
Traiter l’œuvre d’Offenbach de la sorte en est une
troisième ; si on aime sa musique, on la confie à
des musiciens capables de la chanter ; et si on ne l’aime
pas, on consacre son énergie à autre chose.
Pour finir sur une note positive, on se plaira à souligner la
sincérité de l’ensemble des jeunes comédiens
ainsi que l’excellente prestation du jeune clarinettiste Carjez Gerretsen et de ses comparses musiciens, Vincent Leterme au piano et François Girard au violoncelle.
C.J.
Aix en Provence, 9 juillet 2006
Parmi les lieux un peu excentrés du festival, Aix ouvrait au
public pour la première fois cette année les ateliers de
Venelles, petite salle intime aux portes de la ville. C’est
là que le festivalier un peu dépité par La Périchole
subie la veille, a heureusement pu trouver à se consoler en
allant voir le spectacle produit par les jeunes chanteurs de
l’Académie européenne de musique, Le Dido and Aeneas de Purcell, dans une mise en scène de Jacques Osinski et sous la direction musicale de Kenneth Weiss.
Une vingtaine de jeunes musiciens triés sur le volet, chanteurs
et instrumentistes, travaillent depuis plus d’un mois sous la
responsabilité de Rachel Yakar pour répéter et
mettre en place cette production, et le moins qu’on puisse dire
est que le résultat de ce travail est particulièrement
enthousiasmant. Voici des jeunes artistes qui ont déjà
atteint un niveau de compétence appréciable, qui
promettent beaucoup, et dont la destinée professionnelle semble
en de bonnes mains. Leur ardeur et leur plaisir d’être en
scène rayonnent sur le public, un véritable contact
s’établit d’emblée entre la salle et le
plateau, la magie du spectacle opère.
Les trois solistes principaux ont des voix magnifiques : Jennifer Johnston confère au personnage de Didon une émotion très intensequi culmine, bien entendu, dans le lamento
final, mais qu’elle vit avec sincérité tout au long
de la pièce. Enée est campé avec noblesse et
virilité par Adam Green, dont la voix s’accorde à merveille à celle de sa partenaire. Belinda - Judith van Wanroij - n’est pas en reste quant à la beauté de la voix, même si le vibrato
est un peu large pour l’esthétique baroque. Les autres
rôles sont tenus par des chanteurs sans doute plus verts mais non
moins engagés : Tamomi Mochizuki en magicienne, Diana Higbee et Anna Grevelius en sorcières redoutables et très drôles, Xavier Sabata en Esprit et Olivier Hernandez
en marin. Mais la réussite du spectacle doit aussi beaucoup
à la mise en scène, intelligente et
dépouillée, qui trouve sa beauté et son sens dans
la simplicité du décor, magnifique, conçu à
partir de la reproduction d’un tableau baroque en négatif
et dans les somptueux costumes de Christophe Ouvrard.
Tout cela fonctionne avec beaucoup d’aisance, laissant à
tout instant la première place à la magnifique musique de
Purcell, comme il se doit. Sur scène, l’orchestre,
réduit à une douzaine de musiciens, continuo d’un côté et ripieno
de l’autre, est dirigé depuis le clavecin par un Kenneth
Weiss omniprésent, qui soutient les jeunes chanteurs avec une
attention toute paternelle, et assure la cohérence musicale de
l’ensemble.
Claude Jottrand
Lire aussi dans la série : "Le journal d'un festivalier"
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