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PARIS
02/06/2008
June Anderson © DR
RECITAL JUNE ANDERSON
Avec Carole Bouquet (récitante),
Dima Bawab (soprano),
Naï Barghouti (flûte),
Nassim Al Atrach (violoncelle)
Accompagnés au piano par Jeff Cohen
Soirée présentée par Eve Ruggieri
Au profit du Conservatoire National de Musique Edward Saïd à Bethlehem.
Organisation : Un Enfant, Une Promesse / La Voix De l’Enfant.
En collaboration avec Mission Permanente d'Observation
de la Palestine auprès de l'UNESCO.
Et avec le soutien du Consulat Général de France à Jérusalem.
Haendel : Let the bright seraphim (Samson)
Haendel : O sleep (Semele)
Liszt : Oh ! Quand je dors
Fauré : Après un rêve
Gounod : Je veux vivre dans un rêve (Roméo et Juliette)
Carole Bouquet
« A la santé du serpent » (René Char)
Rossini : Giusto Cielo, in tal periglio (Maometto II)
Rossini : Una voce poco fa (Barbiere)
Mozart : Sull' aria (Nozze di Figaro), avec Dima Bawab
Mozart : Durch Zärtlichkeit und Schmeichein (Enlèvement au Sérail), par Dima Bawab
Bach : extraits de la suite n°2 pour flûte (menuet et badinerie), par Naï Barghouti
Popper : mazurka pour violoncelle et piano, par Nassim Al Atrach
Bellini : Casta Diva (Norma)
Carole Bouquet
« Le début d’une saison en Enfer » (Raimbaud)
et « Le Cancre » (Prévert)
Verdi : E strano (La Traviata)
Naï Barghouti : composition personnelle
Paris, Maison de l'UNESCO
2 Juin 2008
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JUNE, TOUT SIMPLEMENT
La carrière internationale de June Anderson
a démarré il y a plus de 25 ans : à
l’époque, se jugeant insuffisamment mise en valeur par le
New-York City Opera, elle décide de conquérir
l’Europe. Rapidement, le soprano américain y
enchaîne les triomphes dans le répertoire belcantiste
« élargi » : Donizetti, Rossini,
Bellini, mais aussi le Verdi de La Traviata ou
certains ouvrages français, lui siéent à
merveille. Succédant dans ce type d’ouvrages à
Sills, Sutherland ou Caballé, elle est d’emblée le
jeune espoir dont on espérait qu’il prenne la succession
de ces glorieuses aînées.
Mais telle n’était pas l’ambition de cette
artiste : elle ne voulait pas être la nouvelle Sutherland.
Non : elle voulait être June, tout naturellement.
Et elle y réussît amplement : côté
technique et moyens naturels, June Anderson en remettait à ses
devancières en matière de suraigus
stratosphériques, de variations délirantes (1) ;
elle se révélait de plus une interprète
inspirée, capable, lorsqu’en communion avec un metteur en
scène, d’incarnations proprement hallucinées.
Surtout, June Anderson savait transformer des exploits pyrotechniques,
jugés un peu gratuits par ceux qui ne goûtent pas
nécessairement le belcanto, en authentiques moments
dramatiques : jamais les variations de la cabalette finale des
« Puritains » ne sont apparues à ce point
« nécessaires » que dans son
interprétation.
On a du mal aujourd’hui à imaginer les délires
qu’ont pu provoquer ses premières apparitions : le
parterre de Favart jonché de jonquilles pour La Fille du Régiment, le bis
improvisé devant le rideau du Teatro Malibran de Venise à
l’issue de sa première
« Sonnambula » …
Derrière cette réussite, un perfectionnisme sans faille
qui lui rend vite insupportable le travail avec des metteurs en
scène médiocres ou simplement brouillons. Elle annonce
d’ailleurs qu’elle ne participera plus qu’à
des concerts. Sans mettre tout à fait son projet à
exécution, elle espace peu à peu ses apparitions
scéniques. Hélas, « loin des yeux, loin du
cœur » : le grand public oublie peu à peu
la diva. Entre temps, une nouvelle génération de
chanteurs apparait, certainement talentueuse, mais surtout moins
scrupuleuse quant au recours à des publicitaires pour vendre son
image. Anderson, ce n’est plus « hype ».
Les années ont passé et la chanteuse poursuit sa
carrière, discrètement : appréciée
d’un public de connaisseurs : fidèles et nouveaux
adeptes vite conquis ; elle choisit les théâtres
où elle se produit : La Sonnambula à Marseille en 2004, sa Norma en ces mêmes lieux en 2006, ou encore Anna Bolena et Maometto II à Bilbao témoignent d’un niveau d’excellence exceptionnel après toutes ses années.
C’est avec une certaine appréhension que nous attendions
cette rare apparition parisienne : rien de plus périlleux,
en effet, que de comparer notre June actuelle à celle de nos
souvenirs. Le présent pouvait nous décevoir ou les
souvenirs nous aveugler.
Le programme démarre par une première salve bizarrement
presque entièrement consacrée … au sommeil. Les
deux Haendel témoignent d’une agilité et
d’une maîtrise du souffle encore confondante, sans que le
soprano ne donne encore toute sa puissance. La mélodie de Liszt
est sans doute la perle de cette première partie, conclue par un
aigu piano longuement tenu. La Valse de Juliette, est chantée
avec allant et charme, et son contre-ré émis avec une
facilité confondante.
Cette première partie nous permet de faire le bilan de
l’état vocal de la chanteuse. Un timbre moins sombre, une
plus grande homogénéité mais un volume moins
généreux. La suite nous montrera que le registre aigu, au
moins jusqu’au ré, est étonnamment
préservé, même si la technique
d’émission a changé. L’aigu auparavant large
et puissant est aujourd’hui plus concentré, projeté
avec davantage de précision, mais sans être pincé
toutefois.
Après une belle prière de Pamira, Anderson nous prouve
qu’un soprano n’est pas nécessairement
déplacé en Rosine : nullement gênée
dans le registre grave, Anderson se paie le luxe de quelques variations
dans le suraigu ; les vocalises, quant à elles, sont
parfaitement en place.
« Casta Diva » est plutôt une bonne
surprise : je n’avais pas été vraiment
convaincu par l’adéquation à ce rôle lors des
représentations de 2000 à l’Opéra-Bastille.
Ici, aucune réserve.
Le duo mozartien avec Dima Bawab n’offre pas vraiment
d’intérêt, cette dernière offrant
d’ailleurs une toute autre image dans un difficile
« Enlèvement » encore un peu acide mais
techniquement bien maîtrisé.
Le grand air de Violetta est sans doute le clou de la soirée,
pour lequel on n’exprimera qu’un seul regret :
qu’il ne se conclue pas par son contre mi bémol
traditionnel ! Car pour le reste, on est halluciné par la
maîtrise technique et dramatique de la chanteuse. Des
« gioir » qui vrillent l’espace, des
vocalises interprétées avec urgence, c’est tout
simplement remarquable.
Ce concert nous démontre qu’Anderson reste une artiste
exceptionnelle dont nous ne pouvons que regretter le peu
d’exposition dont elle profite aujourd’hui. Mentalement,
j’énumérais les nombreuses sopranos mal
distribuées entendues récemment sur la scène
parisienne : quel gâchis.
Destiné à réunir des fonds pour la construction
d’un conservatoire de musique en territoire palestinien, ce
concert nous permet de découvrir deux très jeunes
artistes locaux. Naï Barghouti est déjà une jeune prodige de la flûte. Nassim Al Atrach est
déjà un violoncelliste remarquable, mais il ne dispose
pas, hélas, d’un instrument à la hauteur. Saluons
enfin la contribution de Jeff Cohen, accompagnateur attentif.
Il revenait à Carole Bouquet
le difficile exercice d’interpréter quelques poèmes
en guise d’interludes. Le mélange n’est pas vraiment
convaincant malgré le talent de l’artiste.
Alors ? Soirée de rêve ? Hélas non, en
particulier à cause du comportement du public (en tout cas au
parterre). Rarement j’aurai vu une assemblée aussi
distraite et mal éduquée. On en vient même à
regretter qu’il n’y ait pas davantage de retardataires (2).
Ces dames tapotent du SMS à longueur de soirée. Le poids
des bijoux les empêchent visiblement d’applaudir. Quant
à ces messieurs, ils n’ont rien de mieux à faire
qu’à se lever au milieu des airs pour passer des coups de
fils. C’est que « son Altesse Royale, la princesse
Haya Bint Al Hussein », a fait le déplacement pour
l’occasion : la « cour » se doit
d’être présente, pas d’être attentive.
Au passage, on espère que la princesse est également
venue pour faire un peu de shopping : le coût du trajet en
jet privé depuis les Emirats Arabes Unis est largement
supérieur aux recettes qu’on peut attendre d’un tel
concert ; ça fait désordre.
Une paille de toute façon, comparée à la facture
pétrolière mondiale : 13 milliards de dollars par
jour, soit 8 125 000 d’équivalent-violoncelles
(dont 186 875 violoncelles par jour pour les seuls Emirats).
Malheureusement, il n’a pas été possible d’en
distraire quelques miettes pour remplacer le crincrin entendu sur
scène.
Citons enfin les photographes, grossièrement campés au
milieu des allées pendant la moitié du récital,
déambulant bruyamment, toujours en retard à
l’arrivée d’une
célébrité… Et une pensée
particulière pour ce journaliste en veste de chasse, pataugas et
pantalon fripé de lin, écharpe blanche autour du cou, qui
avait visiblement confondu le gala de l’UNESCO avec un remake de
« Tempête du désert ».
Mais il y avait June !
Placido Carrerotti
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(1)
Sa « Polonaise » des
« Puritains » ou son « Dolce
pensiero » (première manière) de
« Semiramide » sont inégalés
(2)
Des invités se présentaient encore 40 minutes
après le début de la soirée … Visiblement,
les impératifs de toilette étaient plus importants que le
concert lui-même.
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