C O N C E R T S 
 
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BILBAO
22/01/05
June Anderson
MAOMETTO II

Opéra en 2 actes de Gioachino Rossini
Livret de Cesare della Valle

Mise en scène : Massimo Gasparon
Eclairages : Vinicio Cheli

Anna : June Anderson 
Calbo : Enkelejda Shkosa 
Maometto II: Simone Alaimo
Paolo Erisso : Stephen Mark Brown
Condulmiero : José Ruiz
Selimo : Pedro Caldern

Choeurs de l'Opéra de Bilbao
Orchestre Symphonique de Szeged

Direction : Marcello Panni

Bilbao, le 22 janvier 2005.

C'est presque à un voyage dans le temps que nous invite l'Association des Amis de l'Opéra de Bilbao (l'ABAO). En effet, le hasard des changements de distribution nous permet de voir reconstituer le couple Alaimo/Anderson réuni dans cette même oeuvre en 1988 à l'Opéra de San Francisco (1). A l'époque, la basse italienne remplaçait Samuel Ramey. Cette fois, c'est la défection d' Ildar Abdrazakov puis celle de son remplaçant initial, Filippo Morace, qui permet au chanteur sicilien de nous revenir en Maometto.

Après des incursions dans le répertoire bouffe dramatiquement réjouissantes mais vocalement discutables (au hasard : Don Pasquale à Londres ou l'Italienne à Alger à Paris), c'est un plaisir de retrouver ce chanteur en grande forme : sans être parfaite, la vocalisation reste de bonne qualité, le timbre n'a pas bougé et le graillonnement persistant de ces derniers mois a disparu ; la voix magnifiquement projetée remplit sans peine l'immense auditorium. Il campe avec autorité un chef de guerre sûr de son charme, mais parfois à la limite de l'extraverti : il y a un côté "meneuse de revue du Paradis Latin" à le voir descendre les escaliers dans une riche tenue emplumée !

Annoncée souffrant d'une bronchite, June Anderson assure néanmoins crânement la représentation. Même si elle ne donne pas toujours le maximum de puissance qu'on sait pouvoir attendre d'elle, le volume est encore largement suffisant et supérieur à celui de pas mal de sopranos en bonne santé. De temps à autre, un contre-ut vient rappeler ce dont la chanteuse est capable. Enfin, le timbre est miraculeusement intact, toujours sans vibrato. Dramatiquement, la soprano américaine nous est apparue nettement plus concernée par son personnage qu'en 88, mais sans atteindre l'engagement de la jeune Gasdia. A cette réserve près et comme la récente Sonnambula marseillaise l'a récemment démontré, June Anderson reste un des rares grands sopranos belcantistes actuels.

Autre défection, celle de Daniela Barcellona initialement programmée et remplacée pour toute la série par le mezzo albanais Enkelejda Shkosa. Que dire sinon que l'ABAO a dû se mordre les doigts pendant les répétitions... Voix confidentielle, vocalises laborieuses, aigu approximatif, cette artiste (certainement estimable dans d'autres rôles) est ici totalement dépassée par les exigences rossiniennes. Pour une fois, on en vient à ne pas regretter les reprises ornées ! De toute façon, c'est dès l'exposition qu'Enkelejda Shkosa attaque les variations : incapable de chanter les simples notes écrites, elle remplace en effet la moindre montée chromatique par des variations dans le médium. Seules deux notes aiguës réchappent à la ponceuse (on n'aurait plus reconnu l'air sinon) mais elles sont couaquées. Certes, je comprends qu'il faut bien que tout le monde vive. Certes Bilbao n'est ni New York ni la Scala. Mais gagne-t-on vraiment à se produire publiquement dans de telles conditions ? Pour ce soir, la chanteuse aura ramené un cachet ; à plus long terme, elle peut dire adieu à tout espoir d'être réengagée dans ce répertoire.

Déjà entendu à l'Opéra de Lyon dans le role de Cléomène (l'équivalent d'Erisso pour la version parisienne de l'ouvrage, Stephen Mark Brown assure le service minimum : une voix blanche, sans problème notable dans le haut médium, des vocalises juste correctes. On pense à Gregory Kunde à cette notable différence que le chanteur du jour a malheureusement tendance à s'étrangler dans ses rares aigus (2 contre-ut). En dehors des passages périlleux, cela reste bien chanté compte tenu d'une tessiture épouvantable. En revanche, inutile de chercher ici les émotions que pouvait nous procurer un Chris Merritt.

Signalons enfin, pour en terminer avec les solistes, d'excellents José Ruiz et Pedro Calderon dans les rôles respectifs de Condulmiero et Selimo.

Les choeurs chantent à peu près correctement, mais font preuve de certaines limites à l'occasion : côté ténors, on joue d'ailleurs souvent "SOS Fantômes" dans les passages aigus, où l'on entend (au mieux) un ou deux pupitres faire les notes écrites.

Marcello Panni n'était pas particulièrement connu pour ses incursions dans le répertoire belcantiste et cette représentation nous permet de comprendre pourquoi : la direction est pesante et pas toujours précise, alors que cette partition exige énergie et légèreté pour ne pas être vite indigeste (voilà bien d'ailleurs un des ouvrages du Rossini seria qu'on serait heureux d'entendre sur instruments anciens). A noter que les reprises sont généralement coupées, une hérésie dont on ne pensait plus avoir l'occasion de ce plaindre au XXIème siècle.

La performance de l'Orchestre de Szeged (2) n'est d'ailleurs pas en cause : une belle sonorité et une parfaite exécution ne peuvent pas grand-chose contre une mauvaise battue.

Ancien assistant de Pier Luigi Pizzi, Massimo Gasparon nous gratifie d'une production qui rappelle celles de son ancien maître dans les années 80 : colonnes et escalier monumental blancs, vêtements aux couleurs vives où le rouge domine ; seul bémol, les moyens de l'ABAO sont un peu limités et, si les costumes sont superbes, les décors sentent un peu les restrictions budgétaires ; d'autant que les éclairages sont un peu violents(3) , mettant en évidence le côté un peu sommaire de la réalisation technique.
 
 

Placido CARREROTTI


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Notes

1. Les reprises modernes de Maometto II ne sont pas particulièrement nombreuses et on peut faire rapidement un survol de quelques productions de ces 20 dernières années.
On doit à Claudio Scimone et à l'édition 1985 du Rossini Opera Festival de Pesaro la première et triomphale résurrection dans une distribution sans doute jamais égalée : Samuel Ramey obtint un tel succès qu'il hésita longtemps à reprendre cet emploi, de peur de décevoir ; Lucia Valentini- Terrani restera inégalée à ce jour dans le rôle de Calbo ; à l'aise dans cette tessiture, Cecilia Gasdia est une Anna impliquée et vocalisant avec aplomb ; Chris Merritt, enfin, triomphe d'une tessiture insensée.
En 1986 et toujours avec Scimone, le public parisien est gratifié d'une version concert au Châtelet : Alaimo est un Maometto de belle stature auquel on ne peut guère reprocher que de ne pas avoir la voix... de Ramey ! Cecila Gasdia renouvelle sa performance de l'année précédente accompagnée d'un Chris Merritt vocalisant jusqu'à un contre mi-bémol vertigineux ; plus en retrait, le Calbo un peu en force de Margarita Zimmermann peine dans les aigus mais suscite la sympathie par un bel engagement.
Sur le papier, on frôle la perfection avec l'édition 1988 de San Francisco, Samuel Ramey devant reprendre le rôle ; mais le théâtre veut réutiliser son vieux fond de décors et décide de programmer la version italienne de l'édition remaniée pour Paris ; prétextant qu'il n'a plus le temps d'apprendre L'Assedio di Corinta, Ramey se retire du projet ; quand le théâtre revient sur sa décision, la basse américaine a déjà conclu un nouvel engagement et c'est Simone Alaimo qui chausse ses babouches.

Très attendue, June Anderson déçoit quelque peu par une interprétation, certes vocalement éblouissante, mais dramatiquement lymphatique. Pour Marilyn Horne, c'est également un peu tard : les vocalises restent étourdissantes d'intelligence et de virtuosité, mais les aigus sont tendus et pas toujours très justes. Quant à Merritt, il semble un peu fatigué. Alberto Zedda, lui, a du mal à bien équilibrer son orchestre, vents et grosses caisses émergeant exagérément de la fosse.
Espérant sans doute renouveler le succès de la première édition, Pesaro reprend son Maometto (au Palafestival cette fois). Hélas, Gian Luigi Gelmetti et le belcanto ont toujours fait mauvais ménage (le "scandale" de la Lucrezia de Fleming en sera un autre triste exemple), ce chef s'ingéniant à diriger ces ouvrages comme du Verdi de jeunesse, brusquant les tempi dans des accélérations imprévues et refusant aux chanteurs la liberté qu'appelle un tel répertoire. Si ceci n'est pas pour déplaire à Ramon Vargas, traditionnellement avare d'aigus ou à Cecila Gasdia dont le déclin est amorcé, le spectateur reste sur sa faim, d'autant que Pertusi est une basse bien chantante mais dont le manque de projection nuit à l'autorité du personnage. Dans cette relative déception, le contraltino de Gloria Scalchi, a priori stylistiquement déplacé, tire remarquablement bien son épingle du jeu.

Répondant finalement aux demandes de la Scala, Samuel Ramey reprend du service en 1994. La voix a malheureusement perdu de sa souplesse, mais la basse reste impressionnante d'autorité et de style ; quant au vibrato, il n'est pas encore rédhibitoire. Le spectacle est surtout handicapé par la direction molle et lourde de Gabriele Ferro, incapable d'imprimer l'énergie nécessaire à un ouvrage facilement pesant. Gasdia est un peu en retrait par rapport à elle-même ; Ford a pour lui une belle ligne de chant, mais ni le volume ni les aigus renversant de Chris Merritt, Scalchi confirme quant à elle sa performance pesarese.

2. Comme chacun sait, la ville de Szeged est surtout réputée pour son paprika hongrois, cultivé dans les environs.

3. D'un autre côté, l'auditorium est vaste et particulièrement allongé : un éclairage puissant est sans doute nécessaire pour les spectateurs des balcons.

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