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PARIS
27/12/2007
© Elisabeth de Sauverzac
Marcel Lattès (1886-1943)
Arsène Lupin banquier
Opérette policière en 3 actes
Version pour 10 musiciens et 10 chanteurs
Livret : Yves Mirande d’après Maurice Leblanc
Lyrics : Albert Willemetz et Charles-Louis Pothier
Mise en scène, Philippe Labonne
Assistant à la mise en scène, Thomas Gornet
Scénographie, Florence Evrard
Costumes, Elisabeth de Sauverzac
Lumières, Philippe Lacombe
Chorégraphie, Jean-Marc Hoolbecq
Chef de chant, Nicolas Ducloux
Vidéos, Frédéric Pannetier
Francine : Marie-Bénédicte Souquet
Flo : Emmanuelle Goizé
Liane / Mme Legrand-Jolly : Isabelle Mazin
Bourdin : Loïc Boissier
Arsène Lupin : Gilles Bugeaud
Millepertuis : Gilles Favreau
Le Boucher / Claude : Thomas Gornet
Gontran : Flannan Obé
Le Caissier / M. Legrand-Jolly : Alain Trétout
Compagnie Les Brigands
Direction musicale : Christophe Grapperon
Paris, Théâtre Athénée – Louis Jouvet,
le 27 décembre 2007, 20 heures
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L’étoffe des héros
« On choisit ses amis mais rarement sa famille » dit la chanson. Marcel Lattès, lui, n’a pas trop à se plaindre. Il doit à son oncle, Maurice Leblanc, d’avoir été désigné d’office compositeur de l’opérette « Arsène Lupin Banquier ».
A cette époque - les années 30 - le gentleman cambrioleur
fait figure d’ami public numéro un. Sa popularité
déborde le cadre littéraire et lui vaut
d’être porté à la scène (1), à l’écran (2)
et même mis en musique le 7 mai 1930 aux Bouffes-Parisiens.
L’idée vient des deux directeurs du théâtre,
Gustave Quinson et le fameux Albert Willemetz auquel la compagnie Les Brigands, après Ta bouche et Toi c’est moi, rend pour la troisième fois hommage en exhumant cette œuvre oubliée.
Le livret, signé Yves Mirande, tire sur les mêmes ficelles
que les romans de Maurice Leblanc. Lupin use comme toujours de son
intelligence, de sa séduction et du déguisement pour
prêter secours à l’innocence
persécutée, en l’occurrence Francine, la
nièce du banquier véreux Bourdin dont les malversations
mettent en péril le mariage avec le fils d’un riche
diamantaire. Face à la détresse de la charmante
demoiselle, le sang et le cœur du « plus grand des
voleurs » ne font qu’un tour ; il entreprend de
détrousser le futur beau-père pour redresser la situation
de l’oncle. Il y parviendra, évidemment, trois actes et
une bonne vingtaine de numéros plus tard, d’une
manière suffisamment inattendue pour que l’histoire se
déroule sans ennui.
A ce récit troussé d’une main habile, il manque sur
le papier le brin de fantaisie qui fait les meilleures comédies,
musicales ou non. A défaut, la mise en scène de Philippe
Labonne se charge d’ébouriffer le propos en introduisant
chaque fois que l’intérêt retombe des anachronismes,
des singeries vocales et même un trépidant numéro
de claquettes, totalement gratuit mais d’autant plus emballant
qu’il n’a pas de raisons d’être. Pour le reste,
un décor simple mais judicieux, une scénographie
précise servent à animer le récit tout en
évitant l’excès de frénésie qui
nuisait par exemple à Toi, c’est moi.
Le manque de folie, on le trouve aussi dans la partition de Marcel
Lattés, raffinée, subtile – on entend le disciple
de Messager, on entend même dans le prélude du
troisième acte le thème du feu de La Walkyrie
– rythmée mais à peine assez inspirée. On
espère en vain l’air tendre qui fait chavirer, le tube
qu’on fredonne trois jours durant et les ensembles
endiablés qui donnent envie de taper dans les mains. Christophe Grapperon a
beau conduire bon train ses dix musiciens, jouer le mouvement et les
couleurs (belles sonorité des cuivres notamment) : à
l’impossible, nul n’est tenu.
Et
pourtant, l’esprit souffle, celui de l’opérette et
du Music-hall, léger, vivifiant, entraînant. Le spectacle
décolle porté par une équipe qu’on a plaisir
à retrouver, Emmanuelle Goizé
la première qui, dans le rôle de Flo, la maîtresse
de Lupin, réussit l’une de ses plus belles compositions,
garçonne facétieuse d’abord – l’on
songe à Fragoletto des Brigands - puis femme fatale, sensuelle et vénéneuse – c’est alors Maricousa de Toi, c’est moi qui revient en mémoire.
On reconnaît aussi avec plaisir Alain Trétout et son faux air de Jean Benguigui, Gilles Favreau, éternel caissier, Isabelle Mazin amusante en grue puis en bécasse. On regrette que Loïc Boissier
se limite au – trop – petit rôle de Bourdin ; on
aurait bien aimé le voir et l’entendre en Lupin ;
peut-être parce que Gilles Bugeaud, formidable Comte du Pas de Vis dans Ta Bouche,
parait moins à son avantage en gentleman cambrioleur, un peu
trop bonhomme, plus paternel que galant, vocalement tendu, comme
fatigué de ses propres aventures.
Du coup, il se fait bousculer par les nouveaux venus, Thomas Gornet, irrésistible en fils de famille hébété ; Marie- Bénédicte Souquet,
qui, bel exploit, parvient à interpréter sans
mièvrerie – et avec beaucoup de finesse - un rôle de
jeune première et surtout Flannan Obé dont
le Gontran fait bien plus que jouer les
« com-parses ». De simple acolyte au
départ, il occupe rapidement le premier rang, scénique et
musical. Derrière la silhouette juvénile du titi
gouailleur et insolent – le rôle fut créé par
Jean Gabin - on voit se profiler l’homme déterminé,
carnassier, l’amant redoutable, le séducteur
intrépide, l’aventurier ambigu et fascinant auquel il
faudrait juste un peu plus de manières pour devenir gentleman
cambrioleur, le prochain Arsène Lupin en somme… Et la
preuve que les héros sont éternels.
Christophe RIZOUD
Notes
(1) Dès 1908, avec
« Arsène Lupin », une pièce en 4
actes de Maurice Leblanc à laquelle collabora Francis de
Croisset et qui fut d’ailleurs créée à Paris
dans ce même théâtre de l'Athénée.
(2)
L’année 1932 voit la sortie aux USA de
« Arsène Lupin », un film de Jack Conway
dans lequel John Barrymore incarne le rôle titre. En France,
Jules Berry chausse le monocle en 1937 avec « Arsène
Lupin Détective » réalisé par Henri
Diamant Berger. « Les Aventures d'Arsène
Lupin », le célèbre film de Jacques Becker
avec Robert Lamoureux en gentleman cambrioleur date lui de 1956.
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