C O N C E R T S
 
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PARIS
14/12/2005
1er rang: Lionel Muzin, Carl Ghazarossian, Loïc Boissier
2e rang:Marie-Louise Duthoit, Francine Romain, Gilles Bugeaud,
Emmanuelle Goizé, Camille Slosse,Jennifer Tani, Gilles Favreau
© Elisabeth de Sauverzac
Moïse SIMONS (1888 - 1945)

TOI C'EST MOI

Comédie musicale en deux actes (1934)
Livret : Henri Duvernois
Lyrics : Albert Willemetz, Bertal-Maubon et Chamfleury

Version pour 10 chanteurs et 10 musiciens
Orchestration : Thibault Perrine

Mise en scène : Stéphane Druet
Scénographie : Florence Evrard
Costumes : Elisabeth de Sauverzac
Lumières : Philippe Lacombe
Chorégraphies : Alma de Villalobos
Chef de chant : Nicolas Ducloux

Le garçon de café, Pedro Hernandez : Gilles Bugeaud
Le speaker, Maricousa : Emmanuelle Goizé
La Panouse, Robinet : Gilles Favreau
Viviane : Jennifer Tani
Pat: Loïc Boissier
Bob : Carl Ghazarossian
Honorine : Marie-Louise Duthoit
Pfitz : Lionel Muzin
Loulou, Bédélia : Francine Romain
Lily, Carmen : Camille Slosse

Compagnie Les Brigands
Direction musicale : Benjamin Lévy

Paris, Théâtre Athénée - Louis Jouvet
le 14 décembre 2005, 20 heures
 

C'est ça la vie, c'est ça l'Athénée

L'habitude est désormais prise : une fois l'an, la compagnie Les Brigands ravive la flamme de la musique légère sous la coupole dorée du Théâtre Athénée-Louis Jouvet. L'aventure commence en 2002 avec Jacques Offenbach, le compositeur des origines (1), Geneviève de Brabant d'abord puis Le Docteur Oxl'année suivante. Mais c'est Maurice Yvain qui ouvre grand les portes de la renommée. Ta Bouche, présenté l'hiver dernier et repris trois mois après au Théâtre de La Madeleine, fait un carton. Le spectacle est nommé aux Molière et décroche le prix SPEDIDAM. La médaille a son revers. Après un tel succès, il faut transformer l'essai, exhumer la perle rare, surprendre encore, amuser toujours. 

Le choix se porte alors sur Toi c'est moi, comédie musicale oubliée d'un compositeur inconnu, Moïse Simons (2). Oublié, inconnu ? Pas tout à fait, le tube "Sous les palétuviers" résiste vaillamment à l'épreuve du temps et Susan Graham, à la recherche des trésors perdus de l'opérette française, déniche en 2002 les deux airs de Viviane, "Vagabonde" et surtout l'euphorique "C'est ça la vie, c'est ça l'amour" dont elle délivre au disque une interprétation de référence.

L'auteur de la pièce, Henri Duvernois (3), est lui aussi ignoré des dictionnaires. Le livret aura du mal à réparer cette injustice car il ne propose rien de nouveau sous le soleil des tropiques. Bob, beau, jeune, noctambule, dilettante, abuse des richesses de sa tante Honorine et de la naïveté de son ami Pat. Envoyé par la première dans une plantation des Antilles, il propose au second d'échanger leurs identités (d'où le titre de l'oeuvre) afin d'échapper aux durs travaux qui l'attendent. Cette situation ne manquera pas d'engendrer les quiproquos sur lesquels reposent une bonne partie de l'intrigue. Sans sombrer dans la morosité ou pire l'ennui, le sujet prête plus à sourire qu'à vraiment s'esclaffer.
 
 

© Elisabeth de Sauverzac

La partition, réorchestrée par Thibault Perrine, vient au secours de la fable en métissant joyeusement les rythmes nord et sud américains, les harmonies classiques et modernes. La mélodie, généreuse, s'appuie sur des structures savantes. Refrains, couplets, duos, trios, ensemble, la variété des formes achève de séduire. Cette musique n'en demeure pas moins fragile mais Benjamin Lévy est désormais un expert en la matière et sait, mieux que quiconque, la dynamiser sans la disloquer, l'encanailler sans sombrer dans la vulgarité, trouver le ton et le tonus, les insuffler avec brio aux dix musiciens de l'orchestre et, sur scène, aux dix chanteurs de la troupe.

Car c'est ici l'esprit d'équipe qui prévaut, la qualité du jeu et de la diction, l'engagement, la sincérité, même si, au-delà, s'exprime de manière plus ou moins remarquable la personnalité de chacun. Ainsi, on n'empêchera pas Emmanuelle Goizé et Gilles Bugeaud, déjà applaudis dans Ta bouche, d'emporter la préférence. Parce qu'ils sont les mieux chantants en terme de musicalité, de projection, d'articulation, les mieux dansants, les plus naturels tout simplement.


Marie-Louise Duthoit et Gilles Bugeaud
© Elisabeth de Sauverzac

Francine Romain aussi impressionne favorablement. Elle n'a qu'un air pour convaincre, celui de Bedelia coquinement imagé ("moi chanter la chansonnette, souffler dans clarinette et claquer castagnettes"). La voix, sensuelle et ronde, comme un chocolat chaud, ainsi que l'expression, torride, le transmuent en brise étouffante, moite et brûlante.

Parmi les autres membres de la famille, Jennifer Tani parvient en Viviane, avec des moyens moindres, à conjurer le fantôme de Susan Graham. L'âge de Marie-Louise Duthoit joue en la défaveur de sa Tante Honorine, trop jeune, trop fraîche, trop mince.
Aux côtés du sympathique Pat de Loïc Boissier, Carl Ghazarossian manque de carrure, de volume et de séduction pour incarner ce fripon de Bob.

Encore faudrait-il, pour qu'il puisse déployer tout son charme, lui donner le temps d'enjôler. Mais Stéphane Druet ne permet pas aux comédiens de s'installer dans leur rôle. Dès le début, sa mise en scène se construit sur le mouvement, dans l'exaspération. Ca tourne, ça glisse sans arrêt sur le plateau incliné, ça frappe, ça bouge dans tous les sens. C'est trop ! Le premier acte laisse le public sur les rotules, abasourdi. Et si il parvient à reprendre son souffle durant la deuxième partie, c'est parce que l'air de Bedelia déjà mentionné, le duo de Pat et Viviane "Pourquoi donc lorsqu'on s'aime" et surtout le grand ensemble "En utilisant la gamme" freinent la machine. Fougue de la jeunesse, l'affirmation de la modernité à travers l'énergie, à tout prix, trouve ses limites.

Au terme du voyage, la bonne humeur de la troupe emporte malgré tout la partie. L'exploit de Ta bouche n'est certes pas renouvelé mais qui rentrerait mécontent d'un séjour aux Antilles en plein coeur de l'hiver quand il est proposé avec tant d'entrain ?

Christophe Rizoud

Notes

(1) La compagnie Les brigands doit son nom à l'opéra bouffe d'Offenbach. Fondée en 2000 par une quinzaine de membres du choeur des Musiciens du Louvre, sa première production fut une version "légère" du Barbe Bleue de... Jacques Offenbach.

(2) Moise Simons est né à Cuba en 1888. Débarqué dans le Paris des années folles sans parler un mot de français, il fut le premier à faire entendre au public français la conga. Outre Toi, c'est moi, il est au moins l'auteur d'une autre opérette Le chant des tropiques. Il mourut totalement oublié à Madrid en 1945.
(3) Henri Duvernois (1875-1937), écrivain prolixe, a notamment publié en 1919 Maxime, roman adapté au cinéma par Henri Verneuil en 1958 avec Michèle Morgan, Charles Boyer et Arletty. Son oeuvre, abondante, fut couronnée par le Grand prix de la littérature de l'Académie française en 1933. Il est l'auteur de plusieurs livrets d'opérette et de comédies musicales.

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