En mal
de remplissage depuis quelque temps, l'Opéra National de Paris joue
sur du velours en programmant à Bastille cette reprise du Barbier
de Séville, dans l'excellente mise en scène de Coline
Serreau, créée en 2002 et
déjà reprise en 2003.
Pourtant, la cinéaste nous affirme ne pas être dans les papiers
de la nouvelle direction, comme si ses succès obtenus dans le domaine
de la comédie la rendaient suspecte aux yeux d'un administrateur
qui considère et affirme que l'opéra a désormais tourné
le dos à sa "fonction de pur divertissement". En tout cas, le responsable
des distributions ne s'est pas donné beaucoup de peine pour l'occasion,
puisque quatre des principaux protagonistes ont déjà participé
à cette production.
La mise en scène de Coline Serreau
est aujourd'hui suffisamment connue pour ne pas y revenir en détail
: elle a déjà fait l'objet de trois séries de représentations
ainsi que d'une télédiffusion. Je partage en tout cas l'enthousiasme
qu'avait manifesté il y a trois ans notre ami Bertrand
Bouffartigue, qui évoquait fort justement "une production où
populaire rime avec grand luxe". La direction d'acteurs est précise
et inspirée, tandis que gags et clins d'oeil savoureux se succèdent,
sans jamais faire basculer dans la charge un spectacle d'une grande cohérence
et d'une grande beauté plastique. Profitons bien de ces décors
superbes et astucieux, qui nous transportent dans l'Espagne arabo-andalouse
; nous n'en verrons pas beaucoup dans les saisons à venir puisque
le temps est venu des "créateurs d'espace scénique"... Au
risque de paraître irrémédiablement rétrograde
et passéiste, j'ai grandement apprécié cette pause
de pur plaisir dans une programmation qui se veut particulièrement
exigeante.
Je redoutais la présence dans
la fosse de Daniel Oren, chef qui s'est généralement montré
plus à l'aise dans la pompe que dans la subtilité ; j'ai
été agréablement surpris par sa direction attentive
aux chanteurs, soucieuse de nuances et de dynamique. C'était, de
plus, un spectacle en soit de voir, pendant l'ouverture, le chef se tapir
puis bondir, pour un résultat qui a emporté l'adhésion
du public. Daniel Oren nous a livré un travail tout à fait
méritoire, quoiqu'en rien comparable aux leçons d'un maître
rossinien tel qu'Alberto Zedda. Sous sa conduite, les instrumentistes de
la formation de l'Opéra de Paris se sont une nouvelle fois montrés
irréprochables. Quel dommage que le public n'ait pas la correction
élémentaire d'écouter les dernières notes d'orchestre
avant d'exploser en applaudissements...
La distribution nous a offert des plaisirs
inégaux. Il n'y a rien à redire à la pétillante
Berta de Jeannette Fischer, toujours enthousiasmante dans son numéro
chorégraphique et vocal, tandis que Dalibor Jenis rencontre à
nouveau le succès avec son Figaro extraverti. Le baryton slovaque
s'impose autant par son jeu volubile que par sa voix ample et généreuse,
bien conduite et impeccablement projetée. Je suis plus réservé
en ce qui concerne Bruce Ford. Certes, le comédien s'intègre
parfaitement à la mise en scène (il est très drôle
dans ses travestissements) et le chanteur connaît les règles
du belcanto rossinien, mais les moyens ne suivent pas : la voix
manque de puissance, l'aigu de liberté et la vocalise de netteté.
Malgré quelques moments délicats, son Almaviva ne parvient
guère à nous séduire.
Les nouveaux venus dans cette production
n'apportent rien de décisif. Le vétéran Alberto Rinaldi
profite habilement de la mise en scène pour camper un Bartolo scéniquement
convaincant, véritable protagoniste très drôle et jamais
vulgaire. Vocalement, en revanche, il affiche ses limites, en particulier
dans "A un dottor della mia sorte" qui le trouve à court de souffle,
et ne peut rivaliser avec le souvenir laissé par l'étonnant
Carlos Chausson. Quant à Vladimir Ognovenko, c'est le type même
de la basse russe, avec ses qualités et ses défauts : une
voix sonore et profonde, mais un chant parfois sommaire, des sonorités
caverneuses et un italien pour le moins exotique. Son véritable
répertoire est incontestablement ailleurs.
J'ai gardé le meilleur pour
la fin : la Rosina séduisante et délurée de Joyce
Di Donato. La chanteuse américaine se joue des difficultés
du rôle avec une aisance et un charme confondants, et s'affirme décidément
comme l'une des meilleures mezzos rossiniennes et mozartiennes du moment.
En définitive, nous avons assisté à une représentation
réjouissante, même si cette reprise n'apporte guère
par rapport aux séries précédentes. Et, au regard
de l'accueil triomphal réservé aux artistes, on est en droit
de se demander si le "pur divertissement" n'a pas encore sa place dans
le coeur du public...
Vincent DELOGE