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ROUEN
08/10/2006
© Franck Galbrun
Giacomo PUCCINI (1858 – 1924)
MADAMA BUTTERFLY
Opérette en 3 actes (1904)
Livret de Giuseppe Giacosa et Luigi Illica
Mise en scène : Alain Garichot
Scénographie : Denis Fruchaud
Costumes : Claude Masson
Lumières : Marc Delamézière
Cio Cio San : Rie Hamada
Pinkerton : Evan Bowers
Sharpless : Victor Torres
Suzuki : Blandine Folio-Peres
Goro : Jean-Louis Poirier
Bonzo : Marc Belleau
Le prince Yamadori / le commissaire impérial : Ronan Debois
Kate Pinkerton : Marie-Paule Bonnemason
Chœur de l’Opéra de Rouen
Orchestre de l’Opéra de Rouen
Direction musicale : Oswald Sallaberger
Théâtre des Arts, Rouen, le 8 octobre 2006, 16h
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Puccini made in Normandie
Après une saison 2005-2006 passée au vert pour cause de rénovation, le public rouennais retrouve avec Madama Butterfly (1)
le chemin du Théâtre des Arts. Entre temps, la fosse
d'orchestre a été agrandie et recouverte d'un panneau de
bois afin d’améliorer l’acoustique de la salle. Le
résultat est flagrant. Dès les premières mesures
du prélude, la netteté avec laquelle se détache
chaque pupitre, la force et la franchise du son frappent. Le directeur
musical de l’Opéra de Rouen, Oswald Sallaberger, joue avec
un plaisir évident de ce nouvel instrument. Grisé par la
sonorité, il projette à bras-le-corps son orchestre dans
le mélodrame au point d’en oublier parfois de retenir sa
baguette. Les délicatesses de la partition, celles de la fin du
premier acte notamment, en font les frais. L’excès de
décibels entrave aussi un tant soit peu le crescendo dramatique.
A lancer ainsi dans la mêlée cordes, bois, vents et
percussions, le ressort émotionnel se brise avant
d’être tendu. Pour le reste, l’équilibre entre
la fosse et le plateau est respecté, la précision et
l’efficacité sont indéniables.
© Franck Galbrun
Mais,
plus encore que l’orchestre, ce sont les épaules de
l’héroïne, Cio Cio San, qui supportent le poids de
l’œuvre. Il est dans l’air du temps de
privilégier la couleur locale en confiant le rôle à
une chanteuse asiatique, Liping Zhang ou Hui He à Paris, Hui He encore à Bordeaux, Hiromi Omura à Metz...
Rouen ne déroge pas à la règle. Japonaise de
nationalité, Rie Hamada refuse pourtant de jouer les geishas. A
raison. L’étoffe vocale, plantureuse, ne conviendrait pas
à une fillette de quinze ans. Elle use au contraire de la
rondeur du timbre pour incarner une femme sensuelle, intensément
amoureuse. Le grave sonne naturellement, sans grossissement, ni abus de
poitrine. A l’opposé, une parfaite maîtrise de
l’émission haute éclaire les notes aigues, les
aiguise jusqu’à leur donner un vigoureux tranchant, un
éclat pur qui provoque le frisson. Le personnage, ainsi
habité sur toute la tessiture, se dessine, selon cette approche,
de manière quasiment idéale.
Le reste de la distribution n’atteint pas le même niveau
mais demeure homogène. Evan Bowers passe en force. Yankee dans
le manque de subtilité musicale, sans moelleux ni jubilation
narcissique, son Pinkerton ne se pare pas de la vile séduction
qui doit le caractériser. Reste l’homme, plus amoureux par
le geste que par le phrasé, dépassé par son
élégante inconséquence et finalement touchant par
sa faiblesse.
A ses côtés, Victor Torres confère à
Sharpless un relief vocal inhabituel et, scéniquement, une forte
présence à la Orson Welles. La Suzuki de Blandine
Folio-Peres se présente très concentrée, presque
raide. L’interprétation malheureusement souffre dans la
couleur vocale de sa similitude avec celle de Rie Hamada. Le duo des
fleurs est le premier à en pâtir. Enfin, derrière
l’excellent Goro de Jean-Louis Poirier, sinueux à souhait,
se devine la patte de son maître, Michel Sénéchal
avec lequel il partage d’ailleurs un certain éclat.
© Franck Galbrun
La
mise en scène d’Alain Garichot bénéficie
d’un beau décor, géométrique et
dépouillé sans pour autant paraître abstrait.
Après un bon démarrage, elle ne parvient hélas pas
à résoudre le problème que pose
l’enchaînement du deuxième et du troisième
acte. Le chœur à bouche fermée et l’interlude
symphonique se succèdent sans jeu de scène, ni de
lumières, comme un tunnel. L’impression de longueur qui
s’en dégage va jusqu’à amoindrir
l’effet final, le suicide de Cio Cio San, si bouleversant par
ailleurs. Il se déroule ici sans émotion derrière
un paravent, en ombre chinoise, tandis que Pinkerton demeure dans la
coulisse pour lancer ses deux « Butterfly ! ». Le
refus de souligner la relation entre la mère et l’enfant
– jamais ils ne se touchent ou ne se regardent tout au long de la
pièce – participe aussi à l’absence de
sentiments. Difficile dans ses conditions de croire au
« gioca, gioca (2)»
désespéré qui précède le seppuku
final. Beaucoup plus intéressante et inattendue semble, en
revanche, l’attitude désinvolte de la geisha avant
« Un bel di vedremo ». Elle sautille sur
scène, presque joyeuse, indifférente aux supplications de
Suzuki car profondément confiante. L’air, par contraste,
en parait plus pathétique ; il retrouve
l’intensité que son trop grand succès tend à
émousser.
Ce sont de tels moments qui font le prix d’un spectacle, qui
apportent un nouvel éclairage à un opéra
déjà connu et justifient de le revoir une
énième fois, sans ennui parce que surpris.
« Etonnez-moi « ordonnait Diaghilev
à Cocteau. Comme il avait raison.
Christophe Rizoud
(1)
Une nouvelle production de Cosi Fan Tutte a marqué en juin
dernier la réouverture du Théâtre des arts.
(2) « Joue,
joue » demande Cio Cio San à son enfant avant de lui
bander les yeux puis de se faire hara-kiri. Le livret précise
d’ailleurs : « Avec un faible sourire, elle salue
l’enfant de la main et se traîne vers lui, ayant encore la
force de l’embrasser, puis elle tombe à côté
de lui.».
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