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LONDRES
20/01/2007
 
© DR
Gaetano DONIZETTI (1797-1848)

La Fille du Régiment

Opéra comique en deux actes (1840)
Livret de Jean-François Bayard et J. H. Vernoy de Saint-Georges

Mise en scène, Laurent Pelly
Mise en scène et dialogues, Agathe Mélinand
Décors, Chantal Thomas
Costumes, Laurent Pelly
Eclairages, Joël Adam
Chorégraphies, Laura Scozzi

Marie, Natalie Dessay
Tonio, Juan Diego Flórez
La Marquise de Berkenfeld, Felicity Palmer
Sulpice Pingot, Alessandro Corbelli
Hortensius, Donald Maxwell
La Duchesse de Crackentorp, Dawn French

Orchestre et chœurs du Royal Opera House
Direction musicale Bruno Campanella

Londres, le 20 janvier 2007

Ah ! mes amis, quel jour de fête !


Autant le dire tout de suite, ce fut un triomphe ! Standing ovation et même trépignements… De quoi se demander où était passé le légendaire flegme british !

Et ce triomphe est mérité, c’était une de ces soirées magiques où tout fonctionne et d’où l’on sort ravi en se disant que l’on a assisté à une représentation qui fera date.

La Fille du Régiment n’est pas forcément un chef d’œuvre du niveau d’une Lucia de Lammermoor, mais la partition comporte de nombreux morceaux charmants tels le tube « Ah ! mes amis… » ou poignants telle l’aria « Il faut partir » chantée par Marie à la fin du premier acte. C’est donc une œuvre légère, mais c’est surtout un véhicule magnifique pour des artistes qui savent non seulement chanter mais aussi jouer la comédie.

Et ce soir, aucun doute, les deux étaient réunis !

On partait confiant, le tandem Pelly-Dessay ayant déjà été éprouvé lors d’une série de représentations d’Orphée aux Enfers d’Offenbach ébouriffantes à l’Opéra de Lyon il y a quelques années. Depuis, Laurent Pelly a montré qu’il maîtrisait parfaitement les mises en scènes d’opéras comiques, qu’ils soient d’Offenbach (1) ou de Donizetti (2).

Pourtant, ce n’était pas forcément gagné d’avance. Monter un opéra comique français à Londres, avec  les dialogues en français, avec en prime un grand air patriotique, le brillant « Salut à la France ! »… il fallait oser !

Mais après une brève scène d’exposition (3), on sent dès l’apparition de Marie que le pari sera gagné… Imaginez une Fifi Brin d’Acier  débarquant en culotte courte au milieu du camp, portant une bassine de linge plus grande qu’elle, qui se met à repasser (avec fer à repasser électrique et table à repasser évidemment…) les sous-vêtements de tous ses « papas » du régiment, le tout en entonnant « Au bruit de la guerre ». La réalisation est brillante et l’effet hilarant, Natalie Dessay vocalisant au rythme de son repassage (et inversement). Dès le début du spectacle, le public est conquis.

L’ensemble de la mise en scène est à l’image de cette première scène, cohérente, drôle et pleine de trouvailles, et les décors (4) ou encore les chorégraphies des soldats ne sont pas en reste !

Cette inventivité est relayée par une équipe des chanteurs-acteurs excellents, au premier rang desquels Natalie Dessay, qui confirme ici son talent comique inné, mais aussi un Corbelli méconnaissable et une Felicity Palmer endiablée, qui rendent avec verve aussi bien les parties chantées que les dialogues.

On est ravi de retrouver Natalie Dessay à son meilleur après sa Somnambule en demi teinte au Théâtre des Champs Elysées en novembre dernier. L’incarnation est étonnante, l’investissement total, notamment dans les parties parlées. Dans le détail, la prestation vocale appellerait quelques réserves mineures ; à côté de vrais bonheurs (un « il faut partir » d’une grande douceur), certaines tensions dans la voix font parfois craindre un accident. Pourtant ceci est vite oublié face à cette incarnation de garçon manqué ahurissante de naturel… aurait-elle été vivandière dans une vie antérieure ?

Et Juan Diego me direz-vous ? On lui trouvera bien quelques défauts - qui sont l’exact opposé des qualités de sa partenaire, notamment une présence scénique plutôt timide (mais est-ce forcément déplacé pour ce personnage de gentil garçon un peu benêt ?) et une prononciation française vraiment exotique dans les dialogues. Mais ici encore, ces remarques ne pèsent guère à côté du plaisir que l’on éprouve à l’écouter. Les neufs contre-uts de son grand air ne lui posent évidemment aucun problème ; le « ah mes amis » est chanté avec un naturel et une facilité tellement déconcertants qu’on en oublierait totalement sa difficulté. L’ovation a été à la mesure de la performance… et pourtant on n’avait encore rien vu : la romance « Pour me rapprocher de Marie » nous a fait passer de la performance technique éblouissante à une véritable émotion. Là, dans un français retrouvé, le timbre solaire se combine à un chant tout en délicatesse
(5) pour faire rendre les armes au spectateur le plus insensible; cet air a-t-il jamais été aussi bien chanté ?

Il ne faut pas oublier un Corbelli au français châtié, merveilleux chanteur et comédien, et Félicity Palmer, voix puissante mais sur laquelle les ans ont laissé des traces, qui rend le personnage de la Marquise tour à tour burlesque et émouvant.

Après tout cela qu’importe que Bruno Campanella doive être davantage félicité pour son accompagnement attentif des chanteurs que pour son imagination et son dynamisme, que certains petits rôles soient moyennement tenus…

Un conseil, essayez de trouver d’urgence les quelques places restantes pour cette même production qui sera reprise à Vienne en avril prochain ! Et pour les malheureux qui n’auront pas cette chance, il faudra se ruer sur le DVD qui, n’en doutons pas, immortalisera cette production euphorisante !



Antoine BRUNETTO


Notes

(1) Avec l’Orphée aux Enfers précité, mais aussi La Belle Hélène ou plus récemment La Grande Duchesse de Gerolstein au Châtelet.

(2) L’Elixir d’Amour monté la saison dernière à Bastille brillait d’ailleurs davantage par sa mise en scène que par ses qualités musicales.

(3) Présentant les villageois tyroliens apeurés par ces « Brigands de Français [qui] ne respectent rien » !

(4) Composés au premier acte d’une carte d’état major géante froissée, créant un relief montagneux, et au second acte par une maison vue en transparence, où seuls apparaissent les portes, fenêtres et quelques cadres.

(5) L’air est intégralement chanté en mezza voce.

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