Le Comunale
de Bologna propose, du 7 au 19 mai, en coproduction avec le festival de
Pesaro, le premier des grands opéras "sérieux" écrits
par Rossini pour le San Carlo de Naples et représenté en
octobre 1815. Le livret de Giovanni Schmidt, auteur originaire de Livourne,
exploite la vogue des sujets issus de l'histoire d'Angleterre, à
partir d'un drame intitulé Le Page de Leicester que le dramaturge
Carlo Federici avait tiré d'un récit filandreux, The Recess,
or a tale of other times, de la romancière Sophia Lee.
Faisant fi de la vérité
historique, l'oeuvre met en scène la jalousie d'Elisabeth Première
à l'égard de son favori Leicester, coupable de s'être
marié secrètement avec la fille cachée de Marie Stuart.
Elle les fait jeter en prison et ils sont condamnés à mort
; tout est donc en place pour un final tragique, mais un événement
inattendu fait basculer le dénouement. Condamné à
l'exil par Elisabeth à qui il a révélé la "trahison"
de Leicester, Norfolk complote pour la renverser et tente de l'assassiner.
Sauvée par ceux qu'elle allait faire exécuter, la reine leur
accorde son pardon, et retrouve ainsi la magnanimité propre à
son statut.
Destiné à des chanteurs
parmi les plus brillants de l'époque, les ténors Garcia et
Nozzari, respectivement Norfolk et Leicester, et les soprani Colbran (Elisabetta)
et Dardanelli (Matilde), les quatre rôles principaux accumulent les
difficultés, spécialement celui d'Elisabetta. A l'exception
de Mario Zeffiri, qui chantait Norfolk, les interprètes étaient
les mêmes qu'à Pesaro.
On a donc retrouvé, avec un plaisir accru parce que la tension perceptible
l'été dernier avait disparu, la Matilde de Mariola Cantarero,
ses beaux sons filés et des aigus plus sûrs, sans la dureté
métallique qu'ils peuvent avoir lorsque l'émission est en
force. Bruce Sledge, naguère Lindoro à Montpellier, reste
un Leicester crédible dramatiquement et sa prestation vocale est
un délice ; à aucun moment on ne sent l'effort et à
l'éclat des aigus, à la solidité du medium et du grave
s'ajoute la netteté des passages d'agilité. Sonia Ganassi,
quant à elle, renouvelle sa performance théâtrale et
musicale, donnant l'impression d'une totale liberté tant elle les
maîtrise les écueils du rôle : aigus glorieux, accents
incisifs, virtuosité dans l'exécution des ornements, agilità
di forza ou canto di maniera, noblesse du rondo final, c'est
une interprétation magistrale dont nous sommes les heureux témoins.
Heureuse surprise aussi en ce qui concerne
Mario Zeffiri, dont la prestation dans la Cantate Il
Vero Omaggio ne nous avait guère satisfait en août
dernier. Confronté à un rôle qui exige la mise en oeuvre
de moyens exceptionnels, il réussit, après un air d'entrée
peu convaincant - aigus serrés, à la limite du détonnant
- un très beau duo avec Elisabetta à l'acte I, et un autre
avec Leicester à l'acte II, où il surmonte également
l'air terrifiant Deh troncate i ceppi suoi avec l'agilité et l'ambitus
nécessaires.
Manuela Custer retrouve le travesti
d'Enrico, le frère de Matilde, et Gianluca Pasolini est Guglielmo,
le capitaine de la garde royale, deux rôles secondaires où
l'un et l'autre font valoir a qualité de leur timbre.
Les choeurs, efficaces et précis,
sont soumis, comme les protagonistes, à ce qui pour nous reste le
point faible de cette production, l'installation scénique de Giovanni
Carluccio. Durant toute la durée de l'opéra, le fond et les
côtés de la scène sont occupés par deux étages
de praticables reliés par des escaliers. Ce dispositif, souligné
par de gros tubes métalliques, jure avec les costumes d'époque,
et surtout impose une mise en scène à base de défilés
compassés et de positions statiques. De Pesaro à Bologne
nous restons sur la même impression ; même si cette mise en
scène permet de composer des tableaux séduisants, il les
fige et prive le spectacle de vie.
Reste l'orchestre du Comunale, qui
avait participé à la production de Pesaro et retrouve celui
qui l'y avait dirigé, Renato Palumbo. L'alchimie est renouvelée
et dans la fosse du Comunale la partition de Rossini brille de toutes ses
couleurs, dès la Sinfonia, qui, on s'en souvient, est la
même que celle du Barbiere di Siviglia, tandis qu'entre l'orchestre
et le plateau aucun déséquilibre ne porte préjudice
au chant.
A la fin de la représentation,
le public salue les interprètes par des ovations et de longs applaudissements
rythmés, Sonia Ganassi recevant à juste titre un tumulte
d'acclamations.
Maurice SALLES