C O N C E R T S
 
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ROUEN
21/03/2004

(© Elisabeth Carecchio)
W. A. MOZART (1756-1791) 

DIE ENTFÜRUNG AUS DEM SERAIL

Singspiel en trois actes, sur un livret de Gottlieb Stéphanie d'après une pièce de Bretzner
Créé au Burg Theater de Vienne le 16 juillet 1782

Direction musicale : Marc Minkowski
Chef de Choeur : Laurence Equilbey
Mise en scène : Jérôme Deschamps et Macha Makeieff

Décors : Miquel Barcelo
Costumes et accessoires : Macha Makeieff
Lumières : Dominique Bruguière, Thierry Fratissier 

Orchestre de l'Opéra de Rouen
Choeurs de l'opéra de Rouen /Accentus

Konstanze : Madeline Bender
Blonde : Magali Léger
Belmonte : Matthias Klink
Pedrillo : Loïc Félix
Osmin : Wojtek Smilek
Selim Bassa : Shahrokh Moshkin-Galam

Comédiens :
Jean-Marc Bihour, Robert Horn-Wilson,
Hervé Lassince, Patrick Thibaud, Luc Tremblais

Théâtre des Arts de Rouen
21 Mars 2004



MOZART A LA SAUCE DESCHIENS OU L'ART DE L'INUTILE...

Cette production est, après celle de Traviata, la deuxième du Festival d'Aix en Provence 2003 à être accueillie au Théâtre des Arts de Rouen, ces spectacles devant être repris cet été lors de la prochaine édition 2004, si tout va bien...

Dés l'ouverture, la direction de Marc Minkowski à la tête de l'orchestre de l'Opéra de Rouen est plutôt une bonne surprise, car, malgré quelques tempi hyper rapides et une tendance assez nette à abuser des percussions, elle sonne globalement nettement mieux que celle de son Enlèvement de Salzbourg et n'est pas sans rappeler la fameuse battue vertigineuse de Sir Thomas Beecham.

Mais c'est sur le plan scénique que les ennuis commencent : dès l'ouverture, un enfant entre en scène suivi de toute une série de personnages... comme si l'écoute de l'ouverture d'un opéra devait être "meublée" d'objets et de personnes chargés d'occuper le regard du spectateur...

Hélas, le reste de la réalisation est à l'avenant, Macha Makeieff et Jérôme Deschamps semblent obsédés par la nécessité de vouloir occuper l'espace à tout prix.


(© Elisabeth Carecchio)

On connaît bien le travail de Jérôme Deschamps depuis ses débuts, ses qualités et aussi ses limites, apparues surtout il y a quelques années dans ses créations plus récentes. D'aucuns pourront y trouver un certain charme, dont la nostalgie n'est pas absente, mais comment peut-on envisager une seconde de lui confier une mise en scène d'opéra, et précisément celle-ci ?

Ce singspiel, on le sait, est d'une absolue perfection musicale et constitue aussi un hymne à sa chère épouse Constance, prénom de l'héroïne. En un mot, il s'agit d'un chef-d'oeuvre, dont un critique de Hambourg dira en 1783 qu'il "regorge de beautés", un de ses sommets étant le fameux quatuor du deuxième acte, d'une virtuosité rarement atteinte. Il convient par ailleurs rappeler aussi que le rôle de Constance, unanimement reconnu comme l'un des plus difficiles du répertoire, nécessite une grande vaillance alliée à un art consommé de la colorature.

C'est aussi à propos de cette oeuvre que l'Empereur Joseph II avait dit "Cela est trop savant pour nos oreilles, cher Mozart, je trouve qu'il y a trop de notes !"

Une telle musique se suffit à elle-même et vit avant tout par ses interprètes, pour qui la jouer n'est pas chose facile. La mettre en scène demande du tact, du doigté et une solide connaissance musicale, qualités que possédait Giorgio Strehler, dont j'ai eu la chance de voir la légendaire production sous la direction non moins légendaire de Karl Böhm. Sans être trop passéiste, on peut au moins exiger une sorte de "minimum syndical", ne serait-ce qu'en termes de respect vis-à-vis de l'ouvrage et de sa partition...


(© Elisabeth Carecchio)

Las, nous nous trouvons dans un tout autre univers où gags et onomatopées sont ajoutés à la musique, parfois même au coeur de celle-ci, et alors que les chanteurs s'évertuent à ... chanter. On n'hésite pas non plus à y adjoindre des instruments orientaux et des percussions, sans doute pour faire "couleur locale", comme si l'Orient n'existait pas d'ores et déjà dans l'écriture de Mozart.

L'orientalisme revêt d'ailleurs ici des aspects quasiment caricaturaux, façon "souks de Marrakech revus par le club Med", l'un d'eux consistant à coiffer d'un turban les musiciens de l'orchestre .

Visiblement, Deschamps n'a pas compris, comme Gilbert Deflo pour le récent Serse du TCE, que la Turquie de Mozart, comme la Perse de Haendel, était revisitée par l'imaginaire de l'époque - friand de "turqueries" alors très à la mode - et par la force des choses stylisée, qu'il s'agissait plus une évocation que d'une reconstitution naturaliste.

Les auteurs de cette mascarade, sans aucune vergogne, n'hésitent pas à "en rajouter" , comme le témoigne le fait de confier le rôle du Pacha Selim, habituellement tenu par un comédien dont certains furent très célèbres - comme tout récemment Klaus Maria Brandauer - à un danseur... Le fait qu'il arrive, entouré de sa suite, en ... dansant devant son peuple, a pour premier inconvénient d'en faire un personnage ridicule, ce qui est un contresens, le deuxième étant que le malheureux Pacha, après quelques "entrechats" arrive totalement essoufflé pour dire son texte, lequel est dès lors réduit à un murmure... Certes, il est des monarques qui prisaient fort la danse, comme Louis XIV, lequel aimait à se produire en public. Mais de là à arriver devant son peuple en dansant, il y a une marge que les Deschiens n'hésitent pas à franchir allégrement.. C'est d'autant plus inepte que le Pacha Selim, tout à la fin de l'opéra, fait preuve de grandeur d'âme et de noblesse en graciant Constance, Belmonte, Blonde et Pedrillo, annonce déjà le Titus de la Clémence (1791). 

Mais il est vrai aussi que ce spectacle n'est pas avare de ces travers, comme au deuxième acte, lorsque un des Deschiens, en l'occurrence le comédien Jean-Marc Bihour, se livre à ses habituelles pitreries et à un de ses fameux gags, celui de la vaisselle brisée, qui a pour effet de faire un bruit d'enfer et de déclencher le rire du public pendant le sublime air de Belmonte....

On se demande comment le chef et les chanteurs ont pu accepter ces gags lourds, éculés, déjà difficiles à supporter pendant les dialogues parlés ou dans les silences, et insupportables pendant la musique, et quelle musique !

Certes, tout n'est pas à jeter dans cette production, quelques costumes sont seyants, les éclairages raffinés et poétiques, les décors et les toiles peintes de Miquel Barcelo, dans de chaudes tonalités rouge orangé, comme gorgés de soleil, plutôt plaisants à l'oeil, 

Le vrai bonheur vient fort heureusement des chanteurs, jeunes, agréables à contempler et qui ont tous en commun une grande fraîcheur, beaucoup de grâce, et, à défaut de moyens vocaux importants, suffisamment de style et de savoir-faire pour venir à bout d'une partition redoutable, malgré la gestuelle parfois aberrante à laquelle ils sont souvent contraints.

En tête, Madeline Bender, en dépit d'une voix sans doute trop légère pour Constance, vient à bout de ce rôle crucifiant, en particulier dans son "Marten alle arten" (qu'on a la bonne idée de lui faire chanter allongée, du moins en partie !) et "Ach Ich Liebte", même si sa vaillance et la dynamique semblent moindre dans "Traurigkeit" et dans les duos et ensembles.

Comme on pouvait s'y attendre, Magali Léger est une Blonde magnifique, musicale, piquante et malicieuse, qui assume ses deux airs et les ensembles avec apparemment beaucoup de facilité.

C'est aussi une vraie bonne idée d'avoir fait d'Osmin non pas le barbon habituel, mais un homme jeune au physique avantageux, doté d'une belle présence et d'une bonne voix, plus claire que d'habitude. Si ses aigus sont claironnants (il en ajoute d'ailleurs un, non écrit par Mozart), ses graves sont en revanche parfois difficiles. Mais le personnage campé par Wojtek Smilek est truculent à souhait, sans vulgarité aucune, et pour le coup tout à fait crédible.

Le Belmonte de Matthias Klink a fière allure, la voix est belle, malgré quelques aigus parfois un peu tirés. Il a de toute façon le mérite de conserver noblesse, prestance et dignité, même dans les situations ridicules où le plonge la mise en scène.

Enfin, le Pedrillo vif, intelligent et bien chantant de Loïc Félix est quasiment héroïque, puisque Jérôme Deschamps n'hésite pas à l'accrocher à une tour pendant ses airs, chantés souvent sur fond d'onomatopées et de cris intempestifs.

Les choeurs de l'Opéra de Rouen, menés par Laurence Equilbey, n'appellent aucun reproche.

Que dire de Shahrokh Moshkin-Galam, qui tient le rôle de Selim Bassa ? Qu'il est fort beau, élégant et qu'il danse fort bien... même si l'on a du mal à voir en lui un monarque rallié à la mansuétude des Lumières.

En conclusion, on ne peut que saluer le chef et les chanteurs qui ont brillamment ont survécu au rouleau compresseur Deschiens, et leur souhaiter que cet été, peut-être, les metteurs en scène procèdent à quelques "allégements" d'ordre scénique et, surtout, auditif.

Une telle décision, profitable à tous, sans aucun doute, aurait aussi l'avantage de rehausser la fraîcheur et la jeunesse qui sont le principal atout de ce spectacle et s'inscrirait dans le prolongement des propos tenus en 1818 par Karl-Maria von Weber sur l'Enlèvement au Sérail : "Je crois voir en cette pièce ce que sont pour chaque homme ses joyeuses années de jeunesse, dont il ne peut plus jamais retrouver telle quelle la moindre floraison".
 
 
 

Juliette BUCH
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