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TOULOUSE
07/05/2008
Sandrine Piau
Antonio Vivaldi (1678-1741)
La Fida Ninfa
Opéra seria en trois actes
Livret de Scipione Maffei
Oralto, Eolo : Lorenzo Regazzo
Morasto : Veronica Cangemi
Narete : Jose Manuel Zapata
Licori : Sandrine Piau
Elpina, Giunone : Barbara de Castri
Tirso : Max Emmanuel Cencic
Ensemble Matheus
Direction : Jean-Christophe Spinosi
Toulouse, le 7 mai
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La nymphe bien tempérée
Commencée à Brest, la tournée de l’Ensemble Matheus s’est donc achevée à Toulouse avec cette Fida Ninfa
vivaldienne dont l’enregistrement doit sortir à
l’automne. Si programmer un opéra inconnu en version de
concert à la veille d’un de ces ponts qui vident les
villes françaises pouvait sembler hasardeux, la foule dense
venue envahir la Halle aux grains justifiait le pari des organisateurs,
Les Grands Interprètes.
On a déjà tout dit de la complication du livret,
conçu de telle façon qu’il permet des effets en
miroir, en opposition ou en écho, avec le couple des
pères, des frères, des sœurs, des divinités
et les combinaisons possibles. Volonté de puissance et
frustration, colère et violence, machiavélisme
inefficace, craintes, douleurs secrètes, ardeur amoureuse,
nostalgie, jalousie, espoir, cynisme, apaisement, un
kaléidoscope de sentiments tournoie et se déploie tout au
long de cette version abrégée à trois heures de
musique.
Celle-ci, dès la sinfonia, se révèle d’un
intérêt et d’une qualité qui ne faibliront
pratiquement pas. D’une sobriété remarquable en
regard de sa précédente exhibition toulousaine Jean-Christophe Spinosi se
livre dans cette ouverture à sa prédilection pour les
jeux de contrastes, en particulier dans le dernier mouvement, mais la
broderie initiale des cordes est fascinante et les échos
haendéliens de la section lente séduisent et captivent.
Ensuite il va son train mais sans prendre le mors aux dents
systématiquement et grosso modo l’intention expressive reste relativement contrôlée.
Premier intervenant, Lorenzo Regazzo
est d’emblée sidérant d’autorité et de
mordant, avec une intrépidité vocale alliant
rapidité et agilité. Tout au long du concert il restera
sur ces hauteurs, exprimant la moindre des nuances des mauvais
sentiments du cruel Oralto, avant d’endosser le rôle
d’Eolo pour une scène frôlant le cocasse où
le Dieu du vent règle ses comptes avec Junon. On se
réjouit que l’enregistrement conserve la trace de cette
prestation grandiose.
Dans le rôle de la Fida Ninfa Sandrine Piau
met sa musicalité au service d’un personnage
élégiaque malmené par la situation ; entre
craintes immédiates et souvenirs douloureux, la voix passe
d’un volume un peu menu à une excellente résonance
grâce à une projection exemplaire. Les reprises sont
ornées et variées à souhait, comme on peut
s’y attendre avec pareille interprète.
Veronica Cangemi
affronte crânement la virtuosité étourdissante en
termes de rapidité et d’amplitude du rôle de
Morasto. Certes, ici ou là l’intention n’est pas
pleinement réalisée, la couleur est sacrifiée
à la vélocité, mais le cœur avec lequel
l’artiste s’élance et enchaîne les acrobaties
sans filet et sa réussite dans de nombreux numéros lui
valent des ovations méritées, y compris pour
l’intensité de son interprétation du personnage.
Pour Jose Manuel Zapata, les
soucis vocaux dont il a pu souffrir semblent tout à fait
oubliés ; nous avons retrouvé le ténor
vocalisant facilement de La gazzetta
pesaraise, avec une voix plus ample et quasiment exempte de
nasalités. Il incarne avec justesse ce personnage réduit
à l’impuissance et bouleverse dans un lamento qui semble sorti d’une Passion de Bach.
Max Emanuel Cencic
est Tirsi, le frère de Morasto, le blanc-bec entiché de
Licori qui croit se rendre irrésistible en feignant de courtiser
Elpina. Si son timbre nous séduit moins que celui de Philippe
Jaroussky, sa voix remarquablement homogène et sa maîtrise
technique lui assurent une exécution impeccable de ses deux
airs, avec reprises variées et virtuoses messe di voce.
Le point noir de ce plateau est pour nous Barbara de Castri.
L’instrument est intéressant, avec une couleur sombre
prenante, mais le chant est entaché par une articulation peu
nette, des accents surlignés qui frôlent le
vérisme, une justesse par moments approximative et des vocalises
imprécises. Et, avec tout cela, un réel manque
d’élégance dans l’expressivité.
En regard de cette faiblesse, les mérites de
l’œuvre, de sa musique, de la répartition des airs
en duos, trios, quatuor, jusqu’au sextuor final, et des autres
interprètes ont soutenu la ferveur jusqu’au milieu de la
nuit. La force et la durée des acclamations ont
été telles que Jean-Christophe Spinosi a fait reprendre
le choeur final ; le temps va sembler long jusqu’à la
sortie de l’enregistrement !
Maurice SALLES
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