......
|
BRUXELLES
20/04/2008
Anna Maria Panzarella
© Eric Manas
(www.annamariapanzerella.com)
Antonio Vivaldi (1678-1741)
La Fida Ninfa
Morasto : Veronica Cangemi
Licori : Anna-Maria Panzarella
Osmino : Philippe Jaroussky
Oralto, Eolo : Lorenzo Regazzo
Elpina, Giunone : Barbara di Castri
Narete : José Manuel Zapata
Ensemble Matheus
Direction : Jean-Christophe Spinosi
Bruxelles, Palais des Beaux-Arts,
le 20 avril 2008, 19h30
|
Va y avoir du sport !
Vérone, 1732. Cela fait longtemps déjà que Vivaldi
a cessé toute résistance. L’impresario a pris le
pas sur le musicien et intégré ce style napolitain qui
fait fureur. La pyrotechnie et le narcissisme vocal éclipsent
désormais l’architecture dramatique et le compositeur
renonce également à ses hardiesses instrumentales. Par
contre, il innove en multipliant les ensembles (duos, trios, quatuor,
quintette et même sextuor pour le lieto
finale) et s’offre quelques œillades malicieuses qui
annoncent l’esthétique galante. L’auteur du livret
est également le commanditaire de cette Fida Ninfa :
Scipione Maffei, aristocrate et philologue, c’est sans doute la
raison pour laquelle Vivaldi s’accommode d’une intrigue
plus alambiquée que d’ordinaire. Un metteur en
scène s’arracherait les cheveux à vouloir monter
cet opéra qui, en revanche, se prête fort bien au concert
pour peu que les musiciens émondent les récitatifs. En
l’occurrence, malgré des coupes claires dans le verbiage
du médiocre poète, l’ouvrage frôle encore les
trois heures. Et pourtant, l’auditoire ne voit pas le temps
passer, réserve un triomphe aux artistes et va jusqu’en
à en redemander !
Point de décor, de machineries fabuleuses, pas même de
mise en espace ; le spectacle jaillit des seuls gosiers. La
partition est d’une indiscutable richesse mélodique, mais
ses exigences techniques sont faramineuses. Au-delà des
qualités inhérentes aux œuvres mêmes, les
succès d’Il Giardino Armonico ou de Giuliano Carmignola
dans les concertos comme ceux de Bartoli et de Spinosi dans le
répertoire lyrique du Vénitien se nourrissent
certainement aussi de la fascination de notre époque pour la
performance et la vitesse. L’écriture de La Fida Ninfa,
qui de certains chanteurs requiert des prouesses surhumaines, ne peut
que séduire et combler le public. L’air de Licori,
« Alma oppressa », dont Cecilia Bartoli fut
longtemps la seule à oser gravir les cascades de doubles
croches, illustre cette fuite en avant qui donne le vertige et laisse
le spectateur ivre de plaisir, après avoir mis ses nerfs
à rude épreuve. Il faut voir l’attitude corporelle
d’Anna Maria Panzarella,
son extrême concentration et la tension insoutenable des muscles
de son cou et de son visage, crispé et crispant. Est-ce encore
du chant ? Mais voici déjà un autre tour de
force : le « Destin avara » de Morasto que Veronica Cangemi
aborde avec un air de défi, carnassier et rageur. Dans cette
course d’obstacles, l’Argentine remporte le trophée,
quitte à sacrifier plus d’une fois la pureté de
l’émission ou de l’intonation, sinon les paroles.
Quand les notes se bousculent à ce train d’enfer, le cri
n’est d’ailleurs plus très loin et la musique
cède du terrain. Cependant, sur le moment même,
c’est la dernière de nos préoccupations, tant nous
croisons les doigts pour que l’acrobate réussisse les
triples salto qu’elle s’impose dans les Da Capo. Vous connaissiez le canto fiorito ? Place au canto spinoso, réservé aux fakirs des cordes vocales !
Spinosi n’est bien sûr pas étranger à cette surenchère et aux tempi
diaboliques pris par les solistes. L’ouverture, nerveuse et
menaçante comme un ciel d’orage, porte déjà
sa griffe. On retrouve tout du long la fébrilité du chef,
son goût de la rupture et des contrastes violents, mais aussi les
défauts de ses qualités : l’abus des nuances
donne parfois le tournis et cette volonté forcenée de
débusquer une intention dans chaque mesure menace de fragmenter
le discours en une pléiade de microclimats. Néanmoins,
cette vivacité de tous les instants et ce fourmillement
d’idées semblent galvaniser le plateau et transportent
également l’assistance.
Leurs rôles épargnent davantage Lorenzo Regazzo et Philippe Jaroussky,
qui ne renouvellent pas le duel des sopranos. Le premier n’en
signe pas moins une composition grandiose et son « Or non
richiesto tuo consiglio cessi » attise même notre
gourmandise : on voudrait encore plus de noirceur et de puissance
dans cet extraordinaire morceau de bravoure dont on ne s’explique
pas l’absence sur l’album d’airs de basses que le
chanteur italien a enregistré avec Rinaldo Alessandrini. Les
plages de pur cantabile se
comptent sur les doigts de la main et ne ménagent que peu de
répit dans ce torrent de roulades. « Ah ! Che
non posso, no, lasciar d’amare » est la
première, dévolue au contre-ténor. « Le
chant s'élève et vous tendez l'oreille, ébloui,
incrédule, confondu par tant de lumière, de naturel et de
grâce » : à quoi bon paraphraser (1) ? Six ans plus tard, je persiste et signe. Veronica Cangemi hérite
du fugace et magnifique « Dite, oimè »
miracle de sobriété et de mélancolie qui laisse
enfin respirer l’artiste comme l’auditoire. Le ténor
rossinien José Manuel Zapata couvre
parfois ses partenaires dans les ensembles, mais il sait alléger
et doser avec art son émission pour son grand lamento « Deh ti piega, deh consenti ». Enfin, si Barbara di Castri (Elpina) avale son texte et peine dans la voltige, elle se ressaisit pour camper Junon, dea ex machina (une idée empruntée à l’Agrippina du tandem Grimani/Haendel ?) auquel l’Eole de Lorenzo Regazzo donne une réplique savoureuse.
Cette tournée de l’ensemble Matheus marque aussi la fin de son périple vivaldien. Un enregistrement de La fida Ninfa
doit paraître à l’automne avec Cangemi, Jaroussky et
Regazzo dans les rôles qu’ils tenaient déjà
au Théâtre des Champs-Élysées en 2004,
Marie-Nicole Lemieux reprenant celui d’Elpina. Stefano Ferrari
(Narete) et Sandrine Piau (Licori) complètent une distribution
plus homogène que pour ce concert et qui promet beaucoup.
|
|