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VIENNE
28/04/2007
Natalie Dessay Juan Diego Florez
© DR
Gaetano DONIZETTI (1797-1848)
La Fille du Régiment
Opéra comique en deux actes (1840)
Livret de Jean-François Bayard et J. H. Vernoy de Saint-Georges
Mise en scène, Laurent Pelly
Mise en scène et dialogues, Agathe Mélinand
Décors, Chantal Thomas
Costumes, Laurent Pelly
Eclairages, Joël Adam
Chorégraphies, Laura Scozzi
Marie, Natalie Dessay
Tonio, Juan Diego Flórez
La Marquise de Berkenfeld, Janina Baechle
Sulpice Pingot, Carlos Alvarez
Hortensius, Clemens Unterreiner
La Duchesse de Crackentorp, Montserrat Caballé
Orchestre Philharmonique de Vienne
Chœurs de l’Opéra de Vienne
Direction musicale Yves Abel
Vienne, le 28 avril 2007
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Au théâtre ce soir
Après sa création au Royal Opera House en janvier dernier,
la mise en scène de Laurent Pelly fait escale à Vienne
avant de s’envoler pour New-York. Cette production avait
été pour moi un véritable enchantement et
revoir un tel spectacle, c’était prendre le risque de la
déception. Fort heureusement, ce n’est pas le cas et la
production supporte largement une nouvelle vision.
Faisant fi des visions convenues, Laurent Pelly s’est
livré à une véritable recréation de
l’ouvrage, prouvant que le meilleur humour est
l’œuvre de gens sérieux. Aucune vulgarité,
pas de facilités, mais une approche totalement renouvelée
des personnages, un humour visuel entre Jacques Tati et Robert
Dhéry, une direction d’acteur fine et huilée. A tel
point qu’on se demande comment la Scala a pu renoncer au dernier
moment à coproduire ce spectacle pour reprendre une production
poussiéreuse dès sa création, il y a 50 ans !
Au fil des années et de ses reprises internationales, la Fille
avait perdu peu à peu ses dialogues parlés et les airs,
duos et ensembles s’enchaînaient sans grande
continuité dramatique. On saura gré à Agathe
Mélinand d’avoir pris le parti de restaurer ou de
compléter ces dialogues, redonnant ainsi un peu plus
d’épaisseur théâtrale à
l’ouvrage. On regrettera néanmoins une certaine lourdeur
dans l’écriture. Certes, on ne demande pas à Agathe
Mélinand de faire du Guitry (ce serait un contresens au regard
de la simplicité et du naturel assumé de
l’ouvrage). Mais pour quelques répliques bien venues
(« C’est pas tout ça, mais j’ai du
linge »), que de blabla inutile (1) ! Que de blagues convenues (2) ou de redites (3) !
Dans son personnage de « Fifi-d’acier »,
Natalie Dessay est véritablement époustouflante !
Scéniquement toujours juste, la chanteuse alterne la
bouffonnerie la plus pure (mais sans vulgarité) et la tendresse
la plus touchante. A peine regrettera-t-on une leçon de chant un
peu terne par rapport au reste de l’incarnation, la scène
n’ayant visiblement pas inspiré Pelly. Musicalement, le
bilan est plus réservé, surtout si l’on
écoute les yeux fermés : les vocalises n’ont
plus l’aisance d’autrefois ; les variations
déçoivent par leur manque de
témérité ; en revanche, quelques pianissimi
sont presque « caballesques » ! Surtout, on
regrette l’incapacité du soprano français à
varier et à colorer son chant, qualité indispensable dans
ce type de répertoire, ce qui finit par créer un certain
ennui dès lors que la vitalité théâtrale ne
vient pas compenser cette carence. Compte tenu des conditions de leur
émission, on pardonnera des suraigus souvent
« à l’arraché »: à ma
connaissance, aucune chanteuse n’a jamais osé des postures
aussi acrobatiques dans de tels exploits vocaux (4).
Plus en forme qu’à Milan et largement autant
qu’à Londres, Juan Diego Florez est toujours le plus
séduisant des Tonio actuels, son charisme naturel compensant un
timbre qui manque de richesse et de ductilité. Le ténor
est d’ailleurs plus à l’aise dans les 9 contre-ut de
« Pour mon âme » (bissés, avec un
ultime ut tenu jusqu’à l’asphyxie!) que dans le
délicat « Pour me rapprocher de Marie »,
caractérisé par un legato exceptionnel mais pauvre en couleurs.
Carlos Alvarez est un Sulpice aux moyens certes importants mais au
chant un peu relâché et à la diction approximative.
Janina Baechle, quant à elle, est une marquise bien chantante
mais sans doute bridée par la tessiture (5).
Ayant fêté son 74ème anniversaire quelques jours
plus tôt, Montserrat Caballé est la cerise sur le
gâteau de cette soirée exceptionnelle. Ovationnée
avant même d’ouvrir la bouche, la diva catalane est
visiblement là pour s’amuser. Montserrat improvise
même quelques répliques pour regretter le départ
programmé du directeur Hollander ou se moquer de ses annulations
répétées. Très en voix (6),
Caballé chante avec humour sa chanson suisse, bis obligatoire
des récitals de sa grande époque. Rien que pour ce court
moment de joie et d’émotion, cette reprise valait le
voyage.
Moins poétique que Campanella à Londres, Yves Abel
conduit avec vivacité un orchestre et des choeurs parfois un peu
négligents : quelques couacs dans les cuivres peuvent
s’expliquer par la fatigue, mais que dire des décalages
avec le plateau alors qu’il s’agit de la dernière
représentation ?
Les saluts constituent un spectacle à eux seuls, les
protagonistes les ayant pour ainsi dire
« chorégraphiés » : sortie de
scène en imitant le Cygne du Lac,
attente blasée sur une banquette, applaudissements
rythmés par l’héroïne à la baguette
d’orchestre, Dessay ramenée de force en coulisse par Tonio
et Sulpice la tenant à l’horizontale… C’est
amusant. Au début. Après 30 minutes de cabotinage, on
souhaiterait que Natalie s’inspire davantage de la
simplicité naturelle et bonhomme de Montserrat.
A ces quelques bémols près, une soirée exceptionnelle.
Placido CARREROTTI
1. Par
exemple, la Duchesse de Crackentorp explique laborieusement à la
Marquise de Berkenfeld, au début du second acte, qu’elle
chantera une chanson suisse à la fête de mariage ; ou
encore les excuses alambiquées pour expliquer l’absence du
futur marié à la cérémonie ou les
références aux « obligations
olympiques » : allusion initialement formulée
par Dawn French à destination du public britannique et visant
pêle-mêle les sponsors qui se font tirer l’oreille et
l’état britannique qui ne budgétise pas les
dépenses à prévoir. Pas de quoi faire rire un
Viennois.
2. Hortensius interpelle plusieurs fois
Sulpice en l’appelant « Capitaine »,
aussitôt corrigé par le soldat qui lui répond
« Sergent ». Quand Hortensius quitte la
scène, il se retourne vers la salle pour dire :
« Pourquoi m’appelle-t-il Sergent ? ».
Est-ce vraiment drôle ?
3. A la fin du II, Hortensius
s’exclame « Ce n’est plus un château,
c’est une caserne ». Auto citation de Calchas dans La Belle Hélène
adaptée par les mêmes : « Ce ne sont plus
des offrandes, c’est Interflora ! ».
Nous nous permettrons donc de souffler quelques idées pour les
prochaines productions du tandem Pelly / Mélinand :
Carmen : « Ce n’est plus une corrida, c’est Massacre à la tronçonneuse »
Billy Budd : « Ce n’est plus un navire, c’est une back room »
Pelléas : « Ce n’est plus un
beau-frère, c’est Rocco Siffredi » (qui
remplacera avantageusement l’insipide « Ne me touchez
pas ou je me jette à l’eau »).
4. On imagine mal Joan Sutherland lancer un
contre mi bémol portée par des
« boys ». D’ailleurs, on n’imagine
pas Joan Sutherland portée...
5. Alvarez et Baechle improvisent un
instant un duo, l’un chantant « Nemico de la
Patria » et l’autre lançant
simultanément quelques vocalises
« wagnériennes » : on voit alors que
la chanteuse est plus à l’aise dans un registre aigu.
6. Malgré une puissance tout de
même fort réduite par rapport à ce dont elle
était capable il y a 20 ans, Montserrat n’a rien à
envier à Dessay ou Florez en termes de volume vocal (au
contraire) : c’est dire combien sont différents les
moyens exigés des chanteurs actuels (car on pourrait ajouter
Villazon et même Alagna à ce constat).
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