Le Bon, la Brute et quelques "couacs"
On l'attendait avec délectation
ce premier récital parisien de Juan Diego Florèz, dont les
apparitions à Garnier dans L'italiana in Algeri et La
Cenerentola nous avaient enthousiasmés, et la foule se pressait
nombreuse devant les portes du Théâtre des Champs-Elysées
qui affichait salle comble. Pourtant, à la sortie, on pouvait difficilement
cacher une certaine déception.
Le programme, alléchant au demeurant,
était centré sur les trois maîtres du bel canto italien,
Rossini, Bellini et Donizetti, répertoire de prédilection
du ténor péruvien mais, il est vrai, peu familier de l'Orchestre
National de France. Cela ne justifie pas pour autant la mise en place approximative,
les nombreux décalages au niveau des choeurs, brouillons à
souhait, ni surtout le festival de fausses notes auquel nous avons eu droit
tout au long de la soirée (Ah, les cors dans l'ouverture du Barbiere,
un vrai supplice pour les oreilles !). Est-ce dû à un nombre
insuffisant de répétitions ? Peut-être, mais la faute
en incombe essentiellement au chef qui nous a donné à entendre
ce qui se fait de pire dans cette musique : dès la sinfonia
du Signor Bruschino on frémit ! Monsieur Mazzola confond
crescendo rossinien et marche militaire. Celle du Barbiere,
on l'a dit est à ajouter à la liste des souvenirs à
effacer d'urgence de notre mémoire tout comme celle des Capuleti,
d'une légèreté toute pachydermique. Cerise sur le
gâteau, le finale de l'ouverture de la Fille du régiment
ferait passer n'importe quel orphéon tonitruant de sous-préfecture
pour un orchestre de chambre raffiné ! Dans les arias on
n'est guère plus gâté, mais fort heureusement, la voix
du ténor parvient à racheter (partiellement, du moins) tout
cela.
A tout seigneur, tout honneur, la première
partie du récital est entièrement consacrée à
Rossini, compositeur fétiche de Florèz, depuis ses débuts
en 1996 au Festival de Pesaro dans Matilde di Shabran (c'est également
à Rossini que le chanteur a dédié son premier
album publié chez Decca, CD unanimement salué par la
critique).
Dès qu'il entre sur le plateau,
on tombe immédiatement sous le charme indéniable du jeune
et fringant ténor. Si l'extrait du Signor Bruschino paraît
quelque peu appliqué, Juan Diego Florèz nous livre une interprétation
quasi anthologique du second air d'Idreno (Semiramide) : séduction
irrésistible du timbre, sens de la nuance, et suraigu triomphant.
La salle est conquise. Enfin, il se joue avec panache de toutes les difficultés
du terrifiant "Cessa di più resistere" (1) qui
met les spectateurs en délire et confirme son incroyable facilité
à exécuter les vocalises les plus périlleuses, ce
que le disque nous avait déjà laissé pressentir.
Plus à son affaire dans les
morceaux d'agilité (l'extrait de Rita est à ce titre
d'une bonne humeur communicative) que dans l'élégie ( la
"furtiva lacrima" a paru quelque peu extérieure et privée
de legato), le ténor péruvien achève son programme
avec un ébouriffant "Ah ! mes amis", l'air aux neuf contre-ut, admirablement
projetés, qui lui vaudra une ovation debout (2)
de la part d'un public qui en redemande encore.
Trois bis, parmi lesquels une
"Donna è mobile" bâclée, tout entière tournée
vers l'aigu final et l'inévitable "Granada" concluent ce récital
qui nous laisse malgré tout sur notre faim.
Juan Diego Florèz ne manque
pas de qualités vocales, musicales et techniques ni de présence
scénique, mais il est certain que sous une autre baguette, il aurait
probablement su donner le meilleur de lui-même, ce qui n'était
pas tout à fait le cas en ce soir du 20 octobre.
Christian PETER
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(1) Cet air, qu'Almaviva
chante au dernier tableau du Barbier de Séville a longtemps
été coupé, à la scène comme au disque.
Il est aisé de comprendre pourquoi. Depuis que Rockwell Blake l'a
rétabli dans les années 80, de nombreux ténors ont
tenu à l'interpréter avec plus ou moins de bonheur.
(2) Pour le chef, d'aucuns
auraient sans doute rêvé d'une ovation... de boue !