C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
....
......
PARIS
17/10/04
 


Patricia Ciofi (Poppea) & Anna Caterina Antonacci (Nerone)
(© Alvaro Yanez)

Claudio MONTEVERDI

L'INCORONAZIONE DI POPPEA
Opéra en un prologue et trois actes (1642)
sur un livret de Gian Francesco Busenello,
d'après le livre XIV des Annales de Tacite.

Poppea / Fortuna : Patrizia CIOFI
Ottavia / Virtù : Anne Sofie VON OTTER
Valletto / Amore : Amel BRAHIM-DJELLOUL
Ottone : Lawrence ZAZZO
Nerone : Anna Caterina ANTONACCI
Arnalta / Mercurio : Tom ALLEN
Nutrice / Famigliaro I : Dominique VISSE
Seneca : Antonio ABETE
Damigella / Pallade : Mariana ORTIZ-FRANCES
Drusilla : Carla DI CENSO
Liberto / Soldato II / Tribuno I : Enrico FACINI
Lucano / Soldato I / Console / Famigliaro II : Finnur BJARNASSON
Littore / Famigliaro III / Tribuno II : René LINNENBANK

CONCERTO VOCALE
Direction musicale et réalisation : René JACOBS

Mise en scène : David McVICAR
Décors : Robert JONES
Costumes : Jenny TIRAMANI
Lumières : Paule CONSTABLE
Chorégraphies : Andrew GEORGE

Nouvelle production,
en co-production avec l'Opéra National du Rhin,
le Staatsoper Unter den Linden
et le Théâtre Royal de la Monnaie.

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 
les 13, 15, 17*, 19, 21 et 23 octobre 2004.
Diffusion sur France-Musiques le 8 novembre

Lire aussi le point de vue de Mathilde Bouhon

UN COURONNEMENT KITSCH, TOC ET CHOC...

Au début, les choses s'annoncent plutôt bien, avec ce grand rideau de scène bleu et or s'ouvrant sur le Prologue : Fortuna - Patricia Ciofi, étrange et chauve dans une robe dorée et clinquante - et Virtù - Anne-Sofie von Otter perruquée de blanc et vêtue d'une sublime robe argentée style Renaissance, apparaissent dans une très belle lumière bleutée. Leur jeu est un peu hystérique, surtout celui de la Vertu, mais leur chant est superbe, en particulier celui de von Otter, royale.

Apparaît l'Amour qui, comme dans Semele l'an dernier est un gracieux petit marquis aux yeux bandés, cette fois vêtu de noir, alors que l'autre était en rouge, et plus joli. C'est charmant, mais un peu déjà vu...

Hélas, Fortuna, Amore et Virtù s'éloignent à travers les panneaux mordorés d'un assez beau décor laissant entrevoir une grande fesque où un couple d'amoureux dénudés s'étreignent sous l'oeil malicieux du petit dieu ailé. Et alors les choses se gâtent sérieusement, surtout à l'arrivée d' Ottone en jeune cadre dynamique portant un attaché-case et brandissant un pistolet.

A partir de ce moment, tout bascule, et le spectateur va vite comprendre que la réussite d'Agrippina, et même celle déjà plus modeste de Semele ne va pas se reproduire. Dès lors, il se retrouve bombardé d'images branchouillées mode, style télé-réalité people, qui font hélas son quotidien : la pub, les boys top model, le showbiz, les débats en direct, les déclarations d'amour par mobile interposé, l'atmosphère d'ennui des bars "tendance", la drogue, le sexe, la violence, rien ne manque à l'inventaire.

Tout ce bric-à-brac donne la fâcheuse impression que McVicar n'a pas de véritable lecture de l'oeuvre, ni de projet d'ensemble, mais qu'il la traite comme une succession de scènes de musicalou de cabaret dont le but principal est de faire rire ou d'aguicher le spectateur à tout prix, même quand cela est hors de propos...

Et là où Peter Sellars par exemple propose une véritable vision artistique et une conception souvent sociale ou politique, McVicar évacue toute émotion et ne laisse que le vide.

En un mot, c'est une mise en scène qui fait le trottoir et escamote la constituante fondamentale de l'opéra baroque à savoir l'alternance harmonieuse du cocasse et du sublime. Ici de sublime, il n'y en a point, ce qui fait que les moments majeurs sur un plan dramatique : le premier duo Néron - Poppée, la mort de Sénèque, le duo Damigella-Valletto, la scène d'ivresse avec Lucano et l'extatique duo final sombrent tour à tour dans la parodie inutile, la vulgarité crasse, le racolage et la gratuité.. 

Qu'on en juge plutôt par ces quelques exemples : Nerone, coiffé d'une perruque rasta, est une sorte de junkie perpétuellement shooté portant tatouages, jeans, santiags et accusant une démarche un peu chaloupée.

Quant à la malheureuse Poppée, elle devient un mélange de midinette écervelée et de femme enfant qui gambade, trépigne et court dans tous les sens en nuisette ou en pyjama, dans des appartements kitsch décorés tout en léopard, du rideau de scène aux coussins sans oublier un ahurissant canapé en forme de serpent. 

La nourrice Arnalta, sorte de géante vêtue de rose, est un clone de Mrs Doubtfire, le Valletto un rappeur de banlieue, la Damigella une pute, la douce Drusilla une sorte de cruche, et Sénèque un pédant prétentieux.

Quant à la fameuse scène de l'ivresse de Néron avec Lucano, à laquelle participent également les gitons qui s'étreignent sur le cercueil de Sénèque, elle fait irrémédiablement penser à "Thriller", le clip de Michael Jackson, "All that jazz" de Bob Fosse pour le côté comédie musicale, et "Entretien avec un vampire" pour le côté "gay pervers".

Seule, épargnée par on ne sait quel miracle, par ce jeu de massacre en règle, émerge la noble et superbe Ottavia, habillée d'une somptueuse robe de soirée noire très "années cinquante" et ensuite successivement de deux magnifiques tailleurs, parée de bijoux en strass et artistiquement maquillée, et dotée d'une gestuelle élégante et expressive.Comme un ilôt de beauté et de poésie dans un fleuve de boue...

Je pourrais encore mentionner la scène de la mort de Sénèque, transformée en débat télévisé avec écrans vidéo, et celle de l'accusation de Drusilla où l'on voit les infos de CNN passer et repasser en boucle, le numéro de "drag queen" digne de chez Michou, d'Arnalta en rose fuschia levant la jambe sous la "poursuite" des projecteurs et garder pour la bonne bouche le dernier duo où l'on voit Poppée et Néron, transformés en sapins de Noël (ça tombe bien, les fêtes approchent) avancer du fond de la scène et descendre l'escalier comme dans le final d'un show... 

On est bien loin ici des mises en scène de Ponnelle, Bondy et de celle, pourtant éreintée par une partie de la critique, de Klaus Michael Grüber en 1999 à Aix, totale antithèse de celle-ci, spectacle épuré et transcendé, où von Otter/Néron et Delunsch/Poppée nous offrirent, dans la magie de la nuit aixoise, un des plus beaux "duo final" jamais vu et entendu...

Dieu merci, au Théâtre des Champs-Elysées, si ce que l'on voit fâche quelque peu, ce que l'on entend vous réconcilie, même partiellement, avec l'Opéra et Monteverdi...

En tête l'Ottavia de von Otter, qui, délaissant le costume de Néron (Aix en 1999) retrouve le rôle qu'elle enregistra, déjà magnifiquement sous la direction de Gardiner, il y a quelques années. Totalement investie et habitée, elle est un modèle de déclamation baroque dont, à vrai dire, elle est une grande spécialiste. La prosodie monteverdienne où la phrase musicale est totalement assujettie au texte, et inversement, n'a visiblement plus de secret pour elle. Très en voix, elle fait montre, comme toujours d'un art consommé de la coloration et de l'expression. Sa tenue en scène est admirable de dignité et de théâtralité et elle porte ses magnifiques costumes comme personne. Tout au plus pourrait-on reprocher à son interprétation de se situer plus souvent dans le registre de la véhémence et de la colère que dans celui de la déploration et de la douleur, ce qui donne à son incarnation quelque chose d'un peu hystérique. Sans doute, David McVicar n'est-il pas étranger à ce travers, qu'on peut regretter quand on songe à ce que faisait à Aix du rôle d'Ottavia la formidable Lorraine Hunt, incandescente de souffrance et de désolation.

Patrizia Ciofi possède une jolie voix ronde, lumineuse et fruitée, une allure gracieuse et juvénile, mais a beaucoup de mal à faire exister son personnage insignifiant et touchant de baby doll attardée. On a peine à voir en elle cette créature ambitieuse et redoutablement persuasive qui parviendra à ses fins et vaincra tous les obstacles.

De même, Anna Caterina Antonnacci, si belle et si féminine dans les Troyens au Châtelet n'arrive pas à rendre crédible l'improbable Néron que lui demande McVicar. et cherche souvent à vouloir faire "virile" alors qu'en fait l'empereur était un monstre d'ambiguité. Elle possède une voix efficace , certes, mais un style de chant plutôt "brut de décoffrage", sans grande nuance ni coloration, avec une fâcheuse tendance à poitriner les graves et à grossir certains traits, ce qui évoque plus le vérisme que chant baroque de cette époque. Gageons qu'elle sera sans doute bien plus à sa place dans le rôle de Poppée en janvier 2005.

Cependant, elle et sa compatriote Ciofi font montre, dans leur langue maternelle, d' une diction plus floue, moins projetée et moins précise, surtout, que celle de von Otter, pourtant Suédoise, mais il est vrai très rompue à ce genre de répertoire. ... 

Lawrence Sazzo possède toujours les qualités qu'on lui trouva dans Serse l'an dernier, dommage que son "look" de golden boy maniant avec maestria le téléphone mobile parvienne difficilemenl à faire croire à son personnage d'amoureux transi. Heureusement, René Jacobs a rétabli dans son intégralité la partition de son rôle, souvent amputé dans d'autres versions.

On peut saluer Dominique Visse, qui, comme toujours, est absolument inénarrable en nourrice d'Ottavia façon "bourgeoise coincée ravagée par le démon de midi" d'une étourdissante drôlerie où pointe - et c'est tout l'art de ce chanteur exemplaire - un soupçon de mélancolie et de réserve...

Tom Allen est bien truculent en Arnalta mais manque d'émotion dans l'air sublime du songe de Poppée où Jean-Paul Fauchécourt à Aix était bien plus convaincant...

Malgré le traitement qu'on fait subir au philosophe et homme d'état, Antonio Abete reste digne et bien chantant en Sénèque, bien que certains de ses graves soient parfois difficiles.

Une mention pour la touchante Drusilla de Carla di Censo et le gamin effronté et très "accrocheur" d'Amel Brahim-Djelloul dans le double rôle d'Amore et de Valletto.

Enfin tous les autres rôles sont très bien tenus, tant sur le plan scénique que vocal et on peut remercier tous les artistes de leur performance et de leur endurance pendant ces quatre longues heures d'un spectacle on ne peut plus imparfait où, von Otter exceptée, leur ego dut quelque peu être mis à mal .

Curieusement, le Concerto Vocale dirigé par René Jacobs nous a semblé fluide, joli, gracieux et attentif aux chanteurs, mais comme en sourdine, absent, et peu concerné par ce qui se passait sous ses yeux...

Sincèrement, compte tenu du contexte, on peut être tenté de le comprendre...

 

Juliette BUCH
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]