Variations autour de Médée
de Cherubini
Avec Laurence Dale aux commandes, la
routine n'a aucune chance de s'installer à l'Opéra de Metz.
Après avoir proposé la résurrection scénique
du Gustave III d'Auber et
la création française de l'hypothétique Gustavo
III de Verdi, il nous offre, en effet, une nouvelle production de la
trop rare Médée de Cherubini, dans la version originale
française. Cet ouvrage complexe, dans lequel certains ont voulu
voir le premier opéra romantique, a vu le jour en 1797 à
la salle Feydeau. S'il appartenait au répertoire de l'Opéra
Comique en raison de la présence de dialogues parlés, il
échappait au genre autant par son sujet tragique (une mère
infanticide qui de surcroît empoisonne sa rivale) que par son exigence
musicale. Pourtant, l'oeuvre reste méconnue. Si l'interprétation
de Maria Callas a marqué les mémoires, l'amateur d'art lyrique
oublie généralement, au-delà du Florentin, toute une
période de la musique où un certain nombre de compositeurs,
qui ne possédaient certes pas la maîtrise des grands maîtres
mais ne manquaient ni d'habileté ni d'originalité, ont jeté
un pont entre Gluck et Berlioz. C'est la raison pour laquelle nous nous
réjouissons d'entendre cette Médée qui, au
même titre que la Vestale, constitue un échelon capital
dans l'évolution de la musique lyrique française.
Le principal écueil rencontré
lorsque l'on entreprend de monter Médée réside
dans l'interprétation du texte parlé. Certains metteurs en
scène cherchent à esquiver cette difficulté. A Compiègne,
Pierre Jourdan avait décidé de doubler chaque chanteur par
un comédien rompu aux principes de la déclamation tragique.
Ici, Jean-Paul Scarpitta a décidé de remplacer entièrement
les dialogues par des textes de liaison exprimant la "voix intérieure"
de Médée, préalablement enregistrés par Fanny
Ardant. Si l'on prend plaisir à entendre l'actrice détailler
admirablement et de sa voix inimitable ces textes qui insistent parfois
lourdement sur le lien charnel unissant Médée et Jason, cette
option présente l'inconvénient de briser la continuité
dramatique de l'oeuvre et de la transformer parfois en une succession d'airs
de concert. De plus, en centrant aussi délibérément
le propos sur la seule Médée, présente en scène
de bout en bout, le metteur en scène retire vie aux autres personnages,
souvent figés dans des positions hiératiques et qui ne sont
que des instruments passifs du drame.
(Marie Devellereau)
C'est dans un cadre unique, dépouillé
et intemporel, que se meuvent les personnages. Le premier acte profite
à Marie Devellereau, qui campe une juvénile et gracieuse
Dircé. Avec sa voix fruitée et sa vocalisation facile, elle
tire parti de son air et domine brillamment l'ensemble qui suit. Jean-Marc
Salzmann est un noble Créon, à la diction soignée,
mais paraît mal à l'aise dans la tessiture et manque de relief
vocal. La jeune Canadienne Maria Soulis possède une voix de dimension
réduite, qui la place en retrait dans les ensembles, mais affirme
dans son air une belle musicalité et un grain séduisant.
Au contraire, Carlo Guido s'efforce de plier des moyens conséquents
(on annonce bientôt Samson et Calaf) aux exigences d'un rôle
qui n'en demande pas tant. Un assez large vibrato traduit néanmoins
son inadéquation. Son physique lui permet cependant de camper le
hâbleur méditerranéen voulu par le metteur en scène.
Rousse et féline, Anne Marguerite
Werster n'a pas la tâche facile dans cette production. Elle est en
permanence présente sur scène, le plus souvent prostrée
au premier plan, et se voit imposer des pantomimes parfois fastidieuses.
Son tempérament de tragédienne et ses moyens vocaux lui permettent
cependant de livrer une composition convaincante, son engagement scénique
et les nuances dont elle pare son chant rachetant largement quelques aigus
à vif. Son duo avec Jason et son monologue final ne manquent pas
d'intensité.
L'Opéra de Metz a eu la bonne
inspiration de confier la partie instrumentale à l'ensemble Opera
Fuoco, évoluant sur instruments d'époque, et de rendre ainsi
la partition à ses sonorités originelles. Le chef David Stern
dirige avec enthousiasme et énergie, tout en restant très
attentif aux chanteurs. J'ai personnellement apprécié l'alacrité
de cette interprétation, avec mention à la flûte concertante
dans l'air de Dircé, ainsi que la prestation des choeurs, relégués
hors scène. En définitive, si l'on sort quelque peu frustré
par les options du metteur en scène, en ayant l'impression d'avoir
davantage entendu des variations autour de Médée que
Médée à proprement parler, nous sommes reconnaissants
à Laurence Dale de nous avoir permis d'entendre cette partition
véritablement passionnante et servie par de jeunes interprètes
très engagés. Prochain rendez-vous : Powder her face
de Thomas Adès.
Vincent DELOGE