C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
PARIS
18/11/03

(Ben Heppner)
Richard WAGNER

DIE MEISTERSINGER
VON NÜREMBERG 

Version concert

Hans Sachs : Jan-Hendrik Rootering
Eva : Anja Harteros
Magdalene : Nora Gubisch
Walther : Ben Heppner 
David : Toby Spence 
Beckmesser : Eike Wilm Schulte
Veit Pogner : Kristinn Sigmundsson
Herman Ortel : Ulrich Hielscher
Hans Schwarz : Scott Wilde
Hans Foltz : Michael Vier
Kunz Vogelgesang : Gunnar Gudbjörnsson
Konrad Nachtigall : Michael Nelle
Fritz Kothner : Robert Bork
Balthazar Zorn : Martin Finke
Ulrich Eisslinger : Wilfried Gahmlich
Augustin Moser : Thorsten Scharnke
Un veilleur de nuit : Nicolas Courjal

Choeurs et orchestre de l'Opéra de Paris
Direction : James Conlon

Bastille, le 18 novembre 2003



LES KILOMÈTRES CHANTEURS

Oeuvre sans doute la plus "humaine" de Wagner (par son sujet sinon par ses dimensions), Les Maîtres sont probablement aussi l'opéra de Wagner le moins prédestiné à triompher lors d'une exécution en version concert.
La présente représentation vient balayer nos appréhensions, grâce à une mise en espace très intelligente et très vivante. Quelques éléments de mobilier suffisent à recréer une scène, les interprètes sont bien dirigés et même les choeurs participent à l'action, notamment dans la scène finale où ils accueillent les Maîtres par des applaudissements, des rires ou des quolibets. Seul bémol, le programme ne mentionne pas l'auteur de ce travail extrêmement professionnel et bien supérieur à certaines productions "pour de vrai".
On n'en reste pas moins confondu que l'Opéra de Paris "n'ait pas les moyens d'une production des Maîtres Chanteurs (déclaration d'Hugues Gall en mars 2003), quand on songe que ce même théâtre accueille deux productions différentes de La Flûte Enchantée, envisage une nouvelle production de Katya Kabanova quoique la production actuelle soit une réussite, ou qu'il a dépensé des sommes folles pour monter un Guerre et Paix qui ne restera pas au répertoire...
Des théâtres parisiens aux budgets plus modestes ont pourtant relevé le défi (le Théâtre des Champs-Élysées en 1983 avec Theo Adam ou, plus récemment, le Châtelet avec José van Dam) et l'oeuvre est au répertoire des grandes salles internationales. Passons ...

Suite à des problèmes vocaux, que nous avions été parmi les premiers à signaler dans notre critique de son Walther new-yorkais, Ben Heppner avait choisi d'interrompre sa carrière durant plusieurs mois. Cette série nous permet de le retrouver, non pas au sommet de ses moyens, mais dans une prestation de grande classe.

Au premier acte, une attaque aiguë un peu scabreuse nous fait craindre le pire : fausse alerte, Ben Heppner arrivera sans encombre au bout de ce rôle meurtrier. Le volume vocal est un peu plus faible que par le passé, le timbre s'est un peu éclairci, le style et l'engagement demeurent incomparables : Heppner reste un des plus grands interprètes du rôle même s'il est cette fois sensiblement inférieur à lui-même.

Lors de son retour sur scène à l'occasion des Troyens au Metropolitan, Heppner était apparu littéralement méconnaissable en raison de son amaigrissement : sans avoir retrouvé ses rondeurs, l'artiste s'est un peu remplumé ; reste à espérer que ce yoyo calorique n'aura pas trop d'influence sur sa voix.
A ses côtés, Anja Harteros est une Eva convaincante par son engagement (un peu comme Mattila), capable de colorer sa voix avec justesse ; même si le timbre ne fait pas l'unanimité, elle emporte l'adhésion.
Toby Spence est la véritable révélation de la soirée : son David est tout bonnement exceptionnel d'ardeur et de juvénilité. L'effet théâtral est renforcé par une tenue scénique qui rappelle Stan Laurel tant par la coupe de cheveux que par le costume un peu étriqué ; si c'est fait exprès, c'est parfait !
Je ne suis pas un adorateur inconditionnel de Nora Gubisch (il y en a) ; je dois pourtant reconnaître que son Eva est non seulement ce que j'ai entendu de mieux de sa part, mais qu'elle est aussi excellente dans l'absolu : diction et intonation sont remarquables, évitant le piège classique qui consiste à "sur-dire" le texte.
Le rôle de Veit Pogner va comme un gant à Kristinn Sigmundsson : chez lui comme chez tous les "petits" maîtres, on retrouve ce mélange d'élévation et de bonhomie "populaire" qui rend cette oeuvre inclassable.
J'avais signalé le Pizarro de grande classe de Eike Wilm Schulte lors d'un Fidelio milanais, ce chanteur m'étant relativement obscur : dans le registre comique cette fois, son Beckmesser est tout simplement irrésistible de drôlerie, tout en restant parfaitement chanté. Il ne lui manque qu'un physique un peu plus avantageux (Cf. Thomas Allen à New-York par exemple), pour en faire un amoureux crédible.
Douche écossaise avec le Sachs de Jan-Hendrik Rootering, véritable somnifère vocal. Quel gâchis d'avoir proposer ce rôle central à un artiste (estimable dans des rôles moins exigeants) incapable d'en assurer la dimension !

Totalement dépourvu de la moindre expression faciale des sentiments, ne bougeant que le strict nécessaire, Rootering évoque un cachalot autiste et ensablé (à des moments, on croit même qu'il dort, notamment lorsqu'il est assis à son établi). Débit uniforme, coloration absente, timbre passe-partout, puissance à l'économie, il ne se réveille qu'à la scène finale, gagnant ses applaudissements à l'usure du public.

James Conlon fait craindre le pire au démarrage avec une ouverture proprement nullissime. Comment peut-on arriver à faire sonner l'orchestre aussi "plat" dans une page aussi brillante ? Mystère.

La suite est d'un autre niveau, en tout cas plus contrastée : les passages élégiaques (par exemple le quintette) sont rendus à merveille, l'orchestre déployant toutes ses nuances dans un raffinement de couleurs ; les passages plus vifs nous ramènent au Conlon excessivement métronomique et confondant "bruit" et "tension".
A ces réserves près, une très belle soirée à laquelle n'aura manqué qu'un Sachs digne de ses partenaires pour être exceptionnelle ; dommage et prévisible ; dommage car prévisible.
 

Placido CARREROTTI
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]