......
|
PARIS
20/03/2006
Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
LE NOZZE DI FIGARO
Opéra-Bouffe en quatre actes (1786)
Livret de Lorenzo da Ponte
d’après « Le Mariage de Figaro » de Beaumarchais
Mise en scène, Christoph Marthaler
Décors et costumes, Anna Viebrock
Il Conte di Almaviva, Peter Mattei
La Contessa di Almaviva, Christiane Oelze
Susanna, Heidi Grant Murphy
Figaro, Lorenzo Regazzo
Cherubino, Christine Schäfer
Marcellina, Helene Schneiderman
Bartolo, Roland Bracht
Don Basilio, Burkhard Ulrich
Don Curzio, Eberhard Francesco Lorenz
Barbarina, Cassandre Berthon
Antonio, Frédéric Caton
«Recitativiste», Jürg Kienberger
Orchestre et chœurs de l’Opéra National de prais
Direction musicale Sylvain Cambreling
Paris, Opéra-Bastille, le 20 Mars 2006
|
Un scandale bien routinier
Le moins que l’on puisse dire de ce spectacle, c’est
qu’on en sort très agacé ! Agacé car
même les quelques trouvailles réussies sont aussitôt
contrecarrées par des idées qui au mieux tombent à
plat, au pire irritent.
Il y a d’abord ces décors particulièrement
laids : une série de porte-manteaux, du papier à
fleurs, une garde robe de part et d’autre du plateau… Leur
signification, s’il y en a une, reste d’ailleurs tout
à fait obscure… Ainsi pourquoi ce guichet
d’Etat-civil en plein milieu de la scène ?
Mais c’est la mise en scène elle-même qui constitue
le véritable point noir de la production. Pour Christophe
Marthaler le comique intrinsèque de la pièce ne suffit
pas. Il faut donc en rajouter : on assiste tout au long de la
soirée une surenchère d’
« humour » qui semble plaqué sur
l’oeuvre.
Certains gags fonctionnent. Ainsi l’utilisation par le Comte
d’une perceuse sans-fil est assez croustillante. De même,
l’idée de traiter l’air de Don Basilio
« In quegl'anni, in cui val poco » à
l’acte IV, comme l’ « air de trop »
de l’opéra est plutôt drôle, Bartolo tentant
désespérément de débrancher le micro de Don
Basilio pour y mettre fin au plus vite.
On se rend pourtant rapidement compte que le but de Christophe
Marthaler est surtout de scandaliser le spectateur. Il semble en
permanence vouloir tester la résistance et la patience du
public, tentant de répondre à la question
« jusqu’où puis-je aller trop
loin ? ». Une illustration est le gag du
bégayement de Don Curzio qui n’arrive pas à
prononcer un mot… le gag est
« drôle » la première fois, moins la
deuxième… et que dire de la dixième ! Citons
encorele fait d’avoir remplacé pour l’accompagnement
des récitatifs le clavecin par divers instruments (du
synthétiseur au glassharmonica en passant par les bouteilles de
bières !) ou encore d’avoir intercalé des
morceaux musicaux supplémentaires joués au glassharmonica
et chantés par le
« récitatitiviste ». On ne peut à
ce propos que regretter la réaction d’une partie public
qui hue ou proteste bruyamment à ces provocations. Ces
réactions outrées sont inutiles(1) et sont une insulte aux artistes présents sur scène(2)
; le fameux « récitativiste » qui a fait
tant parler de lui est étonnant et n’a en aucun cas
mérité les sifflets. Il aurait certainement
récolté (et mérité) un beau succès
dans un tout autre contexte.
Ces maniaqueries auraient pu être supportables si le spectacle
avait été particulièrement remarquable par
ailleurs… Or il n’en est rien, car hormis ces
bouffonneries, la mise en scène n’a rien
d’extraordinaire ! La direction d’acteur est
médiocre, les chanteurs donnant alternativement
l’impression d’être livrés à
eux-mêmes(3) ou animés d’une frénésie sans rapport avec l’action.
Le bilan scénique des plus décevants n’est
malheureusement pas rehaussé par la direction d’orchestre,
passablement lourde et peu inspirée de Sylvain Cambreling.
Celui-ci, cela devient une coutume depuis Don Giovanni, ne viendra pas saluer seul au tomber de rideau.
Heureusement le bilan vocal est nettement plus positif.
Un coup de chapeau d’abord aux excellent comprimarii, notamment
à Helene Schneiderman qui campe un Marcelline sonore et
pimpante, à l’abattage enthousiasmant.(4)
La Susanna de Heidi Grant Murphy est, elle, d’un format
très réduit ; elle est même quasiment
inaudible dans son premier duo avec Figaro et complètement
dépassée dans son escarmouche avec Marcelline. La voix
est étroite et peu timbrée, mais elle se rattrape in
extremis par « Deh, vieni, non tardar »
très délicat. La Comtesse de Christiane Oelze
inquiète d’abord par une voix qui bouge beaucoup dans son
premier air. Tout rentre dans l’ordre par la suite avec un
« Dove sono » mélancolique, doté
d’une très belle reprise mezza voce ; il lui manque cependant un petit quelque chose pour nous emporter vraiment.
Reste le cas Schäfer : le caractère androgyne de son
Cherubino est surprenant et réussi, mais son personnage reste
malgré tout un peu effacé. Il reste que Schäfer est
beaucoup plus à sa place ici qu’en Donna Anna et
l’on ne peut que s’interroger sur ce que cette voix peu
puissante au timbre clair apportera à un rôle comme
Violetta Valery, programmé l’année prochaine sur
cette même scène.
Du côté des hommes, le Figaro de Lorenzo Regazzo laisse
une impression mitigée : tout est très bien
chanté, l’acteur essaie d’animer son personnage. Le
résultat reste cependant univoque et un peu terne. Cette voix
manque du tranchant et du brillant qui font le véritable valet
de comédie.
Il faut dire qu’il est difficile d’exister lorsque
l’on partage l’affiche avec la bête de scène
qu’est Peter Mattei. La présence est magnétique, la
voix magnifique, puissante et souple, capable du feulement et du
rugissement. Il domine de la tête et des épaules (et pour
tout dire écrase quelque peu…) toute la distribution,
déséquilibrant souvent les duos, notamment le duettino de
l’acte III avec Susanna.
Après un Don Giovanni lorgnant davantage du côté de chez Marx (Karl, pas Groucho) que de celui de da Ponte, ces Noces
démontrent malheureusement que l’Opéra National de
Paris semble prêt à toutes les absurdités pour
faire parler de lui – pourquoi ne pas miser plutôt sur la
qualité des productions ?
Antoine Brunetto
Notes
(1) Elles ne font que conforter le metteur
en scène dans sa croisade contre le « public
bourgeois ».
(2) Le fait que certains crient
« remboursez » est curieux… On ne peut pas
dire que l’on n’était pas prévenu, Marthaler
ayant déjà commis une Katia Kabanova
(qui m’avait paru certes beaucoup plus réussie) qui
dénotait déjà son goût prononcé pour
les illustrations redondantes et douteuses (notamment la fameuse
fontaine qui giclait sporadiquement pour symboliser la libido
débordante des personnages…).
(3) Par exemple, l’entrée de
la Comtesse et l’air « Porgi, amor »
à l’acte II sont théâtralement
ratés : la chanteuse semble perdue et erre sans but sur la
scène.
(4) Son numéro de music-hall sur
l’air « Il capro e la capretta » bien que
de mauvais goût (elle demande au public de taper dans les mains)
est ébouriffant !
|
|