Cette production des Nozze di Figaro
du Grand Théâtre de Genève est signée du metteur
en scène Nicholas Hytner à qui l'on doit de superbes spectacles
comme La Petite Renarde Rusée de Janacek au Châtelet.
Pour une fois, l'univers du XVIII° siècle ne passe pas à
la trappe et ne le cède pas à la transposition contemporaine
(aussi réussie puisse-t-elle être, comme dans la mise en scène
de Robert Carsen). Nicolas Hytner s'en justifie en expliquant que le sujet
choisi par Mozart et Da Ponte "colle" trop à l'univers pré-révolutionnaire
français. De fait, toute allusion à l'Espagne (l'opéra
- tout comme la pièce de Beaumarchais - est censé se dérouler
à Séville) est gommée pour accentuer les références
françaises. Si une "french touch" est effectivement sensible dans
les décors (magnifiques) représentant des intérieurs,
elle est par contre absente du jardin du quatrième acte où
seuls quelques arbres parsèment la scène... rien de particulièrement
français là-dedans. Des bosquets géométriques
eussent mieux convenu et auraient permis de rendre plus crédibles
les jeux de cache-cache qui occupent l'acte.
Les décors de Maria Bjornson
ne sont pourtant pas qu'une simple évocation des styles Louis XV
ou Louis XVI. La variété des volumes (la chambre de Suzanne
et Figaro est réellement exiguë), la couleur uniforme et terne
(soulignant la grisaille, et quelque part, la routine de la vie des personnages),
l'accentuation des perspectives (qui semble enfermer plus encore les personnages)
participent à une vision presque pessimiste des choses. L'absence
de plafond aux intérieurs semble offrir un contrepoint à
ces éléments et symboliser une sorte d'"ailleurs", une échappée
possible, une vision vers un avenir inconnu ... (la société
issue de la Révolution ?).
Dans cette scénographie, les
péripéties marchent à merveille, ce que vient couronner
une très belle direction d'acteurs. Figaro est écervelé
et jaloux au point d'en devenir antipathique, Susanna se révèle
manipulatrice, la Comtesse pathétique, mais pas forcément
sympathique ("terriblement bourgeoise" dit le metteur en scène !)
tandis que Chérubin est un jeune dépucelé incontrôlable.
Il s'agit donc pour Nicolas Hytner davantage d'une guerre des sexes que
d'une guerre des classes, une vision des choses tout à fait pertinente
et ici très convaincante.
(Figaro & Susanna)
Les chanteurs réunis pour cette
reprise sont parfaitement à l'aise dans cet univers. Tous offrent
une belle caractérisation de leur personnage sur le plan scénique.
Vocalement, les hommes prennent le dessus. Luca Pisaroni est un excellent
Figaro. La beauté du timbre, l'égalité des registres
et la souplesse de la voix sont admirables. Le Comte de Christian Gerhaher
possède les même qualités. René Schirrer (Bartolo)
excelle comme d'habitude dans les rôles de composition, mais la voix
et le chant ne sont jamais sacrifiés, c'est l'oeuvre d'un grand
artiste. On remarque aussi le très bon Loïc Félix en
Don Basilio, ainsi que les convaincants Michel Lecomte en Don Curzio et
Alain Domi en Antonio.
Chez les dames, on goûtera surtout
la Susanna d'Henriette Bonde-Hansen qui fut l'an dernier, ici même,
une merveilleuse Zdenka d'Arabella. Barbara Haveman montre plus
de difficultés à s'épanouir vocalement dans l'écriture
exigeante du rôle de la Comtesse. Un manque de souplesse et de moelleux
sont sensibles. Le chant de Diana Montague est parfois un peu dur, un art
consommé rachète ces aspérités. Nora Sourouzian
est un Cherubino très vivant même si l'on souhaiterait parfois
un peu plus de rondeur. Luanda Siqueira, quant à elle, incarne une
Barberina absolument charmante.
On retrouve à la tête
de l'Orchestre Symphonique de Mulhouse l'excellent chef Dietfried Bernet
dont on apprécie la direction alerte et très soignée.
De la belle ouvrage ! On accordera enfin une mention spéciale à
la claveciniste Cordelia Huberti qui gratifie les récitatifs (sur
une superbe copie d'un Ruckers) un accompagnement d'une finesse, d'une
imagination et d'une précision tout à fait remarquables.
Pierre-Emmanuel LEPHAY
Prochaines représentations
à Strasbourg : 11, 13 février
à 20 h. et 15 février à 15 h. (03 88 75 48 23)
à Colmar : 20 février
à 20 h. et 22 février à 15 h. (03 89 20 29 02)
www.opera-national-du-rhin.com
Prochaine production de l'Opéra
du Rhin : Hans Heiling
L'est de la France nous gâte
d'oeuvres rares à la scène : après Gustave
III d'Auber, Médée
de Cherubini à Metz (voir nos comptes-rendus), et en attendant Les
Huguenots toujours à Metz et L'Africaine à Strasbourg,
il ne faut pas manquer l'exhumation d'un des ouvrages les plus marquants
du romantisme allemand pré-wagnérien, une sorte de Freischütz-bis
: Hans Heiling (1833) d'Heinrich August Marschner. Il s'agira d'une
création française. La mise en scène, les décors
et les costumes ont été confiés aux lauréats
du concours européen de mise en scène Camerata Nuova.
Notre revue reviendra sur cet événement
à ne pas manquer.
A Strasbourg : 5, 8, 11, 13, 15 et
20 mars à 20 h.
A Mulhouse : 26 mars à 20 h.,
28 mars à 15 h.