LES
BONS COMTES FONT LES BONZES AMIS
Ces dernières saisons ont vu
se succéder un certain nombre de mises en scène transposées
dans l'Italie des années 50, en particulier pour des ouvrages
de Rossini.
La présente production ne fait
(presque) pas exception à la règle, puisqu'elle nous ramène
elle aussi à cette période, mais en France cette fois : une
petite placette, la terrasse d'un café, des robes à fleurs
et des chapeaux pour les dames, des casquettes pour les messieurs... une
scénographie élégante mais sans véritable rapport
avec le contexte de cette histoire. D'autant que le metteur en scène
fait d'Ory (un ermite au premier acte) une sorte de gourou de secte fornicatrice,
mi-bonze mi-Demis Roussos, plus proche de l'époque actuelle que
des années 50 : cela nous vaut pas mal de scènes amusantes,
mais au détriment d'une certaine cohérence avec le parti
pris esthétique.
Tout change au second acte, situé
dans la chambre à coucher commune des épouses esseulées.
L'action fourmille alors de gags visuels, pour certains à peine
appuyés (on pense presque à Jacques Tati), pour d'autres
dignes des slapsticks du cinéma muet. Quant aux chevaliers
grimés en bonne soeurs (jupe plissée grise, corsage blanc
et coiffe grise), ils sont tout à fait irrésistibles, certains
interprètes frisant eux-mêmes le fou rire, comme le public
du reste : en ce qui me concerne, je n'avais jamais autant ri à
une représentation d'opéra et je me vois au regret d'avouer
mon impuissance à décrire l'effet comique de cet acte.
© Johan Persson
La poésie n'est pourtant pas
exclue : le trio final Ory/Adèle/Isolier (1), éclairé
par une lumière bleutée comme celle d'un clair de lune, est
remarquablement traité.
Principal atout vocal de cette soirée,
le Comte Ory du jeune ténor sud africain Colin Lee, d'une aisance
confondante dans l'aigu. L'émission rappelle de manière étonnante
celle de William Matteuzzi, la justesse en plus, mais sans disposer toutefois
d'un registre aussi étendu. Un peu instable au démarrage,
la voix gagne rapidement en assurance et le chanteur assure bravement sa
tessiture meurtrière jusqu'au final. Particulièrement gâté
par la mise en scène, il campe un personnage désopilant,
mais avec retenue (un peu à la manière d'un Buster Keaton
ou d'un Stan Laurel). Assurément, un artiste à suivre.
Juanita Lascarro est une comtesse bien
chantante, à l'aise dans les vocalises, mais la voix manque un peu
d'impact (d'autant que le rôle est un peu terne) : on songe à
une Vivica Genaux soprano, d'autant que le physique de l'artiste est tout
à fait séduisant.
Victoria Simmonds campe un Isolier
un peu vert, mais déjà bien abouti techniquement : vocalises
et roulades ne lui font pas peur. Le personnage est drôle et le travesti
convaincant.
© Johan Persson
Le Gouverneur de Dean Robinson est
nettement plus en retrait, limité dans l'aigu et dans le grave,
le timbre un peu sec. Malgré une bonne vocalisation, il fait vraiment
trop pâle figure (en particulier face au souvenir de Samuel Ramey
dans la version italienne de sa cabalette, tirée du Viaggio a
Reims).
On pouvait craindre le même effet
avec le Raimbaud de Miljenko Turk qui hérite lui de "l'air du catalogue"
; certes, le chanteur ne fera pas oublier Ruggero Raimondi, mais sa prestation
est suffisamment convaincante pour exister par elle-même. L'ai est
donné avec un certain abattage, une voix particulièrement
saine : il ne restera guère que la prononciation française
à travailler.
Enfin, Anne-Marie Owens complète
idéalement la distribution dans le rôle un peu sacrifié
de Ragonde.
Choeurs vocalement impeccable et traités
individuellement sur le plan théâtral : il faudrait revoir
plusieurs fois le spectacle pour en apprécier tous les détails
burlesques.
La réussite ne serait pas complète
sans l'énergie déployée par David Parry qui emporte
ce Comte Ory extravagant vers un succès final amplement mérité.
Le Garsington Opera aura démontré une fois de plus qu'il
n'est pas nécessaire de disposer de moyens exceptionnels pour organiser
un festival crédible (2).
Placido CARREROTTI
Notes
1. Dans l'obscurité,
Ory courtise Isolier croyant avoir affaire à Adèle ; Adèle,
convaincue par Isolier, se laisse faire, sans réaliser que c'est
Isolier qui l'accable de ses caresses et non Ory : une situation qui pourrait
être d'une grivoiserie extrême, on s'en doute !
2. Le petit village
de Garsington est situé à proximité d'Oxford. Les
représentations sont données devant un peu plus de 500 spectateurs
(tenue de soirée obligatoire), installés sur des gradins
protégés par une tente partiellement ouverte sur les jardins.
Malgré ces conditions un peu rustiques, l'acoustique (un rien sèche)
est tout à fait satisfaisante. La saison dure un mois (de mi-juin
à mi-juillet) et proposait également des Noces de Figaro
ainsi qu'Arabella (pour un historique des lieux, voir la critique
du Barbier de Séville
)