Il y a comme une histoire d'amour
entre le public britannique et l'opéra-bouffe italien : Rossini,
Donizetti y sont montés régulièrement, avec intelligence,
soin et humour, et souvent des distributions de qualité.
Ce Don Pasquale ne fait pas
exception à la règle ; on peut même dire que le Royal
Opera n'a pas lésiné sur les moyens en reprenant la spectaculaire
production imaginée par Jonathan Miller pour le Mai Musical Florentin.
Un décor unique, mais monumental : une tranche de maison, sur trois
étages, délimitant pas moins de neuf espaces scéniques
différents : cuisine où végète une domesticité
un peu fanée ; chambre de Pasquale et son lit à baldaquin
; bureau où le vieux garçon fait ses dévotions devant
le portrait de sa mère ; chambre d'Ernesto ; escalier central, etc.,
l'ensemble s'ouvrant ou se refermant comme une immense boîte, par
exemple pour la scène du jardin.
Bémol, de taille : ce décor
a été conçu pour le Teatro Communale de Florence,
où tous les spectateurs sont de face. Ca ne colle plus dans la salle
à l'italienne du Covent Garden, d'autant que l'action se situe en
général sur les côtés et en hauteur ; un grand
nombre de spectateurs n'auront donc pu apprécier les interprètes
que de manière très épisodique : ainsi des stalles
de côté, qui coûtent tout de même dans les 160
euros... La direction s'est même résolue à revoir à
la baisse le prix de certaines places, dans la pratique "aveugles". Jonathan
Miller ne devrait pas s'étonner qu'on ne fasse plus appel
à ses services...
L'Ernesto de Juan Diego Florez est
certainement l'attraction de la soirée. Le ténor péruvien
incarne avec talent un jeune premier fougueux, captivant l'auditoire à
chacune de ses apparitions. Son premier air, "Cerchero lontana terra",
est chanté avec romantisme et poésie, sans afféterie
; la cabalette "E se fia che ad altro oggetto" est interprétée
avec sentiment et vaillance, l'artiste se payant le luxe d'orner la reprise
de délicates variations et de couronner le tout d'un splendide ré
bémol longuement tenu. Un vrai feu d'artifice, digne du grand rossinien
qu'est Florez. A ce stade de sa carrière, il manque toutefois à
Juan Diego les variations de couleurs, les mezza voce et la morbidezza
des grands interprètes de Donizetti ; une absence qui rend un peu
"froids" certains passages comme la sérénade "Com'è
gentil".
Visuellement, Jonathan Miller ne l'a
pas gâté : perruque blonde et maquillage excessif de "précieuse
ridicule" le rendent physiquement méconnaissable. Le metteur en
scène britannique n'a pas non plus réussi à lui donner
un peu plus de naturel en scène : les grands airs sont incarnés
les jambes écartées, les bras vers l'avant, une pose qui
tient plus de l'haltérophilie que de l'opéra. Ces réserves
sont peu de choses face à un chant de cette qualité : le
public ne se trompe pas et c'est à lui qu'il réservera un
triomphe final aux saluts.
En vieux routier habitué des
barbons comiques, Simone Alaimo en fait des tonnes en Don Pasquale : compte
tenu de son état vocal actuel, c'est sans doute la seule option
qui lui reste ; en effet, la voix a du mal à suivre, accompagnée
continuellement d'une espèce de graillon (et particulièrement
dans les récitatifs), défaut qui était déjà
notable lors du Viva la Mamma
de Monte Carlo. Le souffle est parfois un peu court, l'obligeant par exemple
à reprendre bruyamment sa respiration par deux fois au cours de
la strette "Aspetta, aspetta cara sposina" tandis que son compère
Corbelli ne l'a reprend qu'une seule fois et fort discrètement.
Scéniquement, Alaimo en rajoute donc dans le grotesque, virevoltant
et grimaçant à la manière de Louis de Funès
dans Oscar ; il n'est pas certain que Donizetti ait imaginé
ainsi son héros, mais le public semble apprécier.
Alessandro Corbelli est l'exact inverse
de son compatriote : un chant quasi parfait (un peu nasillard néanmoins)
et une interprétation toute en finesse, quoiqu'un peu terne à
la longue.
La jeune Tatiana Lisnic dispose certes
d'une belle voix, riche en harmoniques, toutefois, elle est techniquement
limitée avec des trilles régulièrement escamotés,
des variations inexistantes et un aigu un peu tendu ; la reprise de son
duo avec Malatesta, "Vado, corro al gran cimento", est d'ailleurs éludée.
Si la chanteuse fait bien passer quelques émotions dans son chant,
il n'en est pas de même de son interprétation dramatique :
on aura rarement vu un visage aussi inexpressif sur une scène d'opéra,
hormis celui de la poupée des Contes d'Hoffman ! Rien de
franchement scandaleux (Norina n'est pas Lucia) mais c'est un peu dommage
de ne pas avoir fait appel à une soprano au niveau de son ténor.
Bruno Campanella dirige sans génie
particulier, avec quelques décalages et une pâte orchestrale
un peu molle, due à une battue imprécise. Les tempi
sont toutefois suffisamment enlevés et un brin de métier
suffit à assurer une soirée sympathique.
Placido Carrerotti