Troisième et dernière
oeuvre présentée cette année au festival de Pesaro
(si l'on excepte un Viaggio a Reims proposé par l'Academia
Rossiniana), ce Turco in Italia est également l'opéra
le plus connu des trois. Et comme souvent, les productions données
au Teatro Rossini demeurent très classiques. Pas question donc de
faire de Selim un roi du pétrole ou de Prosdocimo un programmateur
de logiciels, la mise en scène, dans un décor très
dépouillé, est sans surprises, mais pas pour autant sans
idées, et avec une excellente direction d'acteurs, spécialement
dans les ensembles. Le point culminant en est la bagarre entre Fiorilla
et Zaida dans le final du premier acte, véritable moment d'anthologie.
Excellente direction musicale d'un
Riccardo Frizza fort inspiré, qui nous offre un Turco in Italia
pétillant
comme du champagne. Malheureusement, cette production a souffert d'un terrible
handicap : la catastrophique Fiorilla de Patrizia Ciofi. Fiorilla est un
rôle extrêmement difficile, il ne doit être confié
qu'à des artistes qui possèdent une technique impeccable.
Or, le timbre de Ciofi est voilé dans le médium, ses aigus
criés, ses vocalises dans les épaules et sa respiration incontrôlée...
C'est d'autant plus triste que le reste
de la distribution est, lui, franchement à la hauteur, avec une
réserve toutefois concernant le Narciso de Matthew Polenzani, ténor
au timbre ingrat ne sachant pas chanter pianissimo, mais néanmoins
acceptable dans le rôle. Si Alessandro Codeluppi se tire honorablement
de l'air (pas si facile) d'Albazar et Marisa Martins nous campe une fort
charmante Zaida, c'est une fois de plus du côté des voix graves
que nous trouvons notre principal sujet de satisfaction, avec l'impressionnant
Selim interprété par le colosse bulgare Ildar Abdrazakov,
basse profonde parfaitement à l'aise avec les vocalises rossiniennes,
et l'excellent poète de Roberto De Candia que l'on aurait néanmoins
souhaité un peu plus présent vocalement, comme il sied à
celui qui tire toutes les ficelles dans l'opéra. J'ai gardé
pour la bonne bouche l'extraordinaire Alessandro Corbelli (Geronio), qui
domine toute la distribution de la tête et des épaules. Une
voix magnifique, une technique parfaite et une présence telle qu'il
éclipse tout le monde dès qu'il est sur scène : Corbelli
valait à lui seul le déplacement.
Bref, en dépit de quelques faiblesses
qui font que ce Turco in Italia reste légèrement en
deçà de la Pietra del Paragone
du premier soir, ce fut une superbe soirée !
Antoine Bernheim
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Lire aussi la critique de la
Pietra del Paragone (Pesaro, 21 Août 2002) et de l'Equivoco
Stravagante (Pesaro, 22 Août 2002)