Certaines mises en scènes sont
comme les bons petits plats. Plus vous les remettez sur le feu, plus vous
en révélez les saveurs pour votre plus grand plaisir. Les
spectacles de Laurent Pelly en font partie. Après une reprise euphorique
de La Belle Hélène pour Noël,
l'Opéra Garnier nous "ressert" son Platée avec une
équipe très proche de celle de la création.
Comment résumer en quelques
lignes un tel spectacle tant il fourmille d'idées ? Tout se passe
dans un salle d'opéra (ou de théatre) qui va se désagréger
tout au long du spectacle en se transformant en marécage. Pelly
peuple cet univers de personnages cocasses, déjantés, émouvants...Parmi
eux citons les dieux qui ne semblent pas venir de l'Olympe mais tout droit
de Memphis de la grande époque d'Elvis, ou bien la Folie à
l'extraordinaire costume de partitions qu'elle arrache pour les donner
aux musiciens. Et puis sur, Platée, mi femme-mi batracien et son
inénarrable sac à main en forme de nénuphar. Pour
relever le tout, les ballets de Laura Scozzi tout en dynamisme et désarticulation
renforcent le côté décalé et jubilatoire.
Cette fantaisie est d'autant plus justifiée
que Rameau s'amuse à dynamiter allègrement les conventions
de l'opéra et des ballets de son époque. Cette parodie est
portée à l'extrême dans la scène de la folie,
où Rameau se moque ouvertement des conventions musicales jusqu'à
l'impertinence. Pourtant l'émotion est souvent présente car
Rameau n'oublie pas que son personnage principal, tout en étant
un peu stupide et très ridicule, mériterait certainement
mieux que son rôle d'objet de moqueries. Son attente de l'amour est
très touchant.
Musicalement, nous sommes également
à la fête. Minkowski et les musiciens du Louvre semblent se
régaler. Grâce à eux, la musique de Rameau est claire,
balancée, incisive. Sur le plateau, les interprètes s'amusent
aussi avec en tête Paul Agnew. Sa première apparition laisse
un peu dubitatif car le chant peut sembler trop beau pour le personnage.
Mais cette impression disparaît très rapidement car son jeu
- à la fois drôle et émouvant - et les subtilités
vocales (malgré quelques toutes petites faiblesses de projection
ici et là) dont il fait preuve durant tout le spectacle sont remarquables,
à croire que son costume de grenouille est une seconde peau. Il
serait intéressant de le comparer à Gilles Ragon qui interprète
Platée en alternance (gageons que son interprétation sera
aussi d'une très grande qualité). Mireille Delunsch est une
folie ébouriffante. Yann Beuron est un Mercure goguenard mais qui
n'oublie pas de bien chanter. Vinent le Texier, malgré une voix
abîmée, est un Jupiter classe et salaud à souhait.
Laurent Naouri et Franck Leguérinel sont parfaits en comparses.
Les choeurs très sollicités scéniquement sont excellents.
Le public a visiblement savouré
ce spectacle avec délectation. Les applaudissements furent très
nourris avec un triomphe mérité à Paul Agnew. L'équipe
Pelly-Thomas-Scozzi fut également applaudie très chaleureusement.
Décidément, avec Platée
et, dans un ton plus sérieux mais tout aussi réussi, Rodelinda,
on peut se demander si le baroque ne serait pas un matériel idéal
pour la fantaisie et l'imagination, en tout cas plus que l'opéra
du XIXème siècle. Vaste sujet...