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ROUEN
07/10/2007
© Sigrid Colomyès
Giuseppe VERDI (1813 – 1901)
RIGOLETTO
Opéra en trois actes, créé à la Fenice de Venise le 11 mars 1851
Livret de Francesco Maria Piave d’après Le Roi s’amuse de Victor Hugo
Mise en scène Guy Joosten
Assistant mise en scène Carlos Wagner
Scénographie Johannes Leiacker
Costumes Karin Seydtle
Lumières Wolfgang Schünemann
Rigoletto Victor Torres
Le duc de Mantoue Jean-François Borras
Gilda Marina Lodygensky
Maddalena Sophie Pondjiclis
Sparafucile Fernand Bernadi
Monterone Rubén Amoretti
Marullo Vincent Deliau
Borsa Avi Klemberg
Ceprano Alain Herriau
La comtesse Charlotte Baillot
Le Page Marina Haquet
Giovanna Pia Wigner
L’huissier Jean-Marc Savigny
Choeur et Orchestre de l’Opéra de Rouen
Direction musicale Oswald Sallaberger
Rouen, Théâtre des Arts, le 7 octobre 2007, 16h00
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Interdit aux moins de 16 ans
En inaugurant comme l’année dernière (*)
sa nouvelle saison par une œuvre populaire, l’Opéra
de Rouen affirme sa volonté de séduire un large public. A
une centaine de kilomètres de là, le mélomane
parisien, nourri depuis un certain temps par Gérard Mortier au
biberon de l’avant-garde, laisse échapper un sourire
méprisant. A tort, parce que la production de Rouen
apparaît aussi moderne que celles de l’Opéra de
Paris et, qu’en plus, elle s’avère intelligente.
Rigoletto
tend pourtant plus d’un piège au metteur en scène.
Il faut pour satisfaire le livret débrouiller des situations
délicates à représenter :
l’enchaînement des duos au premier acte,
l’enlèvement de Gilda par son propre père, le
quatuor du III… Autant de difficultés que Guy Joosten
réussit à résoudre sans perdre le fil de la
narration et, en sortant, qui plus est, des sentiers battus. Sa mise en
scène surprend d’abord car elle se joue des
époques. On passe allégrement des pourpoints de la
Renaissance dans le premier acte au blouson noir des rockers dans la
taverne de Sparafucile. La transposition nous vaut d’ailleurs une
« Donna est mobile » désopilante avec un
duc sans complexe qui se prend pour Mick Jagger. Mise en scène
surprenante donc mais esthétique aussi - l’une
n’empêche pas l’autre - qui se réclame des
films de Peter Greenaway en privilégiant la plastique des images
et en jouant sur la symbolique des couleurs : rouge pour le duc et
sa cour, bleu pour Rigoletto et sa fille, vert pour Sparafucile et sa
sœur. L’autre référence
cinématographique, assumée tout aussi crânement,
est celle de Quentin Tarantino avec des gestes ou des postures qui
peuvent par leur crudité heurter les âmes sensibles, des
éclairs de violence aussi qui zèbrent la
représentation, par exemple Monterone exécuté sans
condition après avoir brisé sauvagement les vitres du
palais. Ces effets, même s’ils choquent, ne sont pas
gratuits ; ils apportent leur pierre à
l’édifice dramatique. Certains passages, en revanche,
représentés de manière grotesque (le duo
entre Gilda et le duc chanté « la main sur le
cœur », « zitti, zitti »
chorégraphié comme une clownerie) laissent perplexe mais
là n’est pas l’inconvénient :
l’ensemble reste cohérent.
L’inconvénient, c’est que l’on ressent peu
d’émotions ; les tourments de Gilda
intéressent, interpellent mais laissent l’œil sec. A
qui la faute ? A la mise en scène trop
étudiée pour vraiment toucher, aux interprètes,
à soi-même ? On s’interroge sans trouver de
réponses…
© Sigrid Colomyès
L’inconvénient
c’est aussi que la personnalité des interprètes
s’accommode plus ou moins bien de telles contraintes
scénographiques. Le Sparafucile de Fernand Bernadi et la Maddalena obscène de Sophie Pondjiclis se régalent d’un troisième acte plus « trash » que de raison ; Victor Torres
semble moins à la fête. Le baryton a pourtant enrichi son
interprétation depuis sa prise de rôle il y a huit mois
à Bordeaux. La phrase
mieux sculptée, la palette de nuances plus large attisent
le « Pari siamo », donnent aux récitatifs
une autre ampleur. Paternel, bonhomme presque, son Rigoletto n’en
demeure pas moins un grand introverti, un serpent dont on a scié
les crocs que le « voi congiuraste » trouve
à court de fiel et le « Cortigiani, vil
razza » à bout de rage, une moitié de
personnage en quelque sorte. On regrette aussi l’absence de notes
finales aigues, systématiquement escamotées à la
tierce ou à l’octave en dessous, celle sur
« Follia » qui doit balayer d’un coup de
main les affres de « Pari siamo », celle sur
« Addio » qui doit jeter le père dans les
bras de la fille à l’issue de leur premier duo, celle qui,
héroïque, doit couronner le « Si
vendetta » et enflammer la salle.
On le regrette d’autant plus que Marina Lodygensky
fait montre de la même frilosité. La voix riche en
harmoniques laisse au départ deviner une Gilda plus charnelle
qu’ingénue, loin des sopranos en apesanteur à
l’émission haute et aux suraigus
perlés auxquelles on peut être habitué. On
accepte alors les insuffisances techniques, les défauts de
justesse dans « Oh quanto dolor » et la prudence
qui bride « Caro nome ». On attend le moment
où la fille, devenue femme, descendra de ses sommets pour
délivrer un chant plus incarné qui semble mieux
correspondre à sa nature vocale. Hélas, après un
« Tutte le feste » délicat et
habité, la chanteuse perd ses marques dans « Piangi
fanciullia » pour finir le deuxième acte
balayée par l’ardeur de « Si
vendetta ». La tempête sonore du trio « Ah
piu non ragiono » la trouve tout autant démunie.
L’agonie finale, subtilement murmurée, ne réussit
pas à effacer le sentiment de déception.
Tout compte fait, malgré un « Questa o
quella » approximatif et une zone de passage à
risque, c’est Jean-François Borras
qui emporte la préférence. Le ténor, ne manque pas
d’aisance scénique, voire de sex-appeal. La ligne de chant
pourrait être plus élégante mais la quinte aigue
est vaillante et le medium solide, plus corsé même que
celui d’un duc de Mantoue ordinaire. Dans ces conditions, on
profite d’un « Ella mi fu rapita » de haute
volée, cabalette comprise, assurément l’un des
meilleurs moments de la matinée.
Comme Victor Torres, comme Jean-François Borras, Oswald Sallaberger
peine à prendre ses marques. Problème de rythme
rapidement surmonté car passé le premier tableau; il
s’empare du récit et le conduit d’un trait sûr
et fluide jusqu’à son terme, tragique il n’est
pas inutile de le rappeler après avoir entendu durant
l’entracte un groupe de spectateurs vanter la gaîté
et la légèreté de la musique de Verdi.
Christophe RIZOUD
Note
(*) Madame Butterfly
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