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PARIS
16/10/2007
Amel Brahim-Djelloul
© Ashraf Kessaïssia
Concert « Shakespeare en Musique »
Orchestre National d'Ile-de-France
Anne-Estelle Médouze violon solo
Yoel Levi : direction
Amel Brahim-Djelloul : soprano
Sébastien Guèze : ténor
Felix Mendelssohn (1809 – 1847)
Songe d'une nuit d'été op.21 - Ouverture
Vincenzo Bellini (1801 – 1835)
I Capuletti e i Montecchi - Air de Giulietta : « O quante volte »
Giuseppe Verdi (1813 – 1901)
Falstaff : Duo Nanetta-Fenton
Hector Berlioz (1803 – 1869)
Roméo et Juliette : Scherzo de la reine Mab
Charles Gounod (1818 – 1893)
Roméo et Juliette
Cavatine de Roméo « Oui, son ardeur a troublé »
Air de Juliette « Je veux vivre dans le rêve »
Scène finale : Juliette – Roméo
Piotr Ilytch Tchaïkovski (1840 – 1893)
Roméo et Juliette - Ouverture Fantaisie
Paris, salle Pleyel
16 Octobre 2007
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LA PASSION JULIETTE
L’Orchestre National d’Ile de France
aime à concocter des programmes « à
thème », en général bien
composés – c’est d’ailleurs sa marque de
fabrique - comme celui de l’an dernier au Théâtre du
Garde-Chasse des Lilas, intitulé « Les Nymphéas ».
A Pleyel, il s’agissait cette fois d’une entreprise plutôt ambitieuse : « Shakespeare en musique ».
On le sait, Shakespeare se plaisait à introduire des parties
musicales dans ses pièces, y compris des chansons qu’il
écrivait et faisait interpréter par les acteurs
eux-mêmes. Par ailleurs, nombre de compositeurs se
passionnèrent pour son théâtre, au point
d’écrire des œuvres directement inspirées par
celui-ci.
Au premier rang Berlioz, qui, fasciné par une représentation d’Hamlet
donnée à l’Odéon, ira, cinq ans plus tard,
jusqu’à épouser Ophélie, en
l’occurrence l’actrice Henriette Smithson.
« «Shakespeare, en tombant ainsi sur moi à
l’improviste, me foudroya » écrivit-il dans ses
Mémoires. Si l’on ajoute que lors d’une excursion dans la campagne romaine qu’il fit avec Mendelssohn, tous deux évoquèrent le projet de mettre en musique Roméo et Juliette, on comprendra qu’il n’y a rien d’étonnant à les voir réunis dans ce programme, avec Verdi - auquel Shakespeare inspira trois opéras célèbres : Macbeth, Otello, et Falstaff - Bellini, Gounod et Tchaïkovski, tous admirateurs, à titre divers, du grand génie élisabéthain.
D’emblée, l’ouverture du Songe d’une Nuit d’Eté se révèle un rien clinquante, voire tonitruante dans les forte,
conforme à un des défauts majeurs de l’acoustique
de Pleyel, plus encline à favoriser l’ampleur des
orchestres que celle des formations plus réduites et des voix,
exception faite peut-être des gosiers wagnériens….
Amel Brahim-Djelloul qui
ouvre la partie vocale, en fera les frais, souvent couverte par
l’orchestre, pourtant en général au service du
chant chez Bellini…
Depuis son étonnant Valletto du Couronnement de Poppée
au TCE, cette chanteuse a fait bien du chemin et la voix s’est
étoffée, comme l’avait montré tout
récemment son formidable Yniold dans le même
théâtre. Le timbre est fruité, et son style
raffiné, sa musicalité précise rappellent
qu’elle a beaucoup - et bien - chanté le baroque. Tout au
plus lui manque-t-il un peu plus d’aisance et
d’intensité dans l’émotion. Le trac y est
sans doute pour quelque chose car, fort heureusement elle nous offrira
une charmante Nanetta, une très jolie valse de la Juliette de
Gounod, et une belle scène finale. Dans une salle de dimensions
plus réduites, comme Favart, ou à l’acoustique
mieux adaptée, comme Garnier, gageons que sa prestation aurait
eu plus de relief.
Le cas de Sébastien Guèze est
tout autre, et son choix pour le rôle de Roméo
s’avère on ne peut plus sujet à caution. Si celui
de Fenton semble ne lui poser aucun problème (que n’a-t-il
donc chanté son aria,
certainement plus dans ses cordes), le meurtrier « Ah
lève-toi, Soleil » fait apparaître tous ses
défauts de manière souvent criante :
problèmes d’intonation, tendance à pousser les
sons, voire à les crier, phrasé haché, chaotique,
diction pas toujours intelligible…. Il a, certes, des moyens,
mais ce rôle demeure pour le moment du moins, hors de sa
portée, d’autant plus - est-ce un mal, est-ce un bien, ou
les deux à la fois – que notre mémoire a
conservé à ce sujet de sérieuses
références : le prince des ténors Alfredo
Kraus, entendu à Garnier avec deux Juliette
différentes : Barbara Hendricks et Sylvia Sass, et puis, et
peut-être surtout, notre Alagna national, dont la salle Favart
garde un souvenir ébloui dans un Roméo touché par
la grâce. Interviewé cet été à la
télévision lors du Trouvère
chanté à Orange par le même Alagna et où il
tenait un petit rôle, Sébastien Guèze nous avait
paru sympathique et prometteur. En revanche, lorsque plus tard, il
entonna dans l’émission de Jean-François Zygel
consacrée à l’Opéra le fameux
« Nessun Dorma », l’entreprise nous sembla
déjà plutôt prématurée, voire
périlleuse. Malgré une scène finale qui
l’exposa moins que l’air qui précédait, sa
prestation dans Roméo confirma ce que nous pressentions :
ce jeune chanteur doit encore trouver ses marques et se montrer plus
prudent dans l’avenir.
Au finish, c’est donc
Juliette/Nanetta qui emporta la mise, dans la mesure où Amel
Brahim-Djelloul chante un répertoire qui lui convient, dans une
tessiture et un format vocal tout à fait adaptés à
ses moyens actuels.
Quant à l’orchestre dirigé avec panache par Yoel Levi, s’il fit entendre un scherzo de la Reine Mab, plus équilibré que l’Ouverture du Songe, et un vrai lyrisme pour Gounod, c’est assurément dans l’Ouverture Fantaisie
de Tchaïkovski qu’il se montra sous son meilleur jour, tant
par ses couleurs chatoyantes que par la passion débridée
de son interprétation, incarnation même du romantisme le
plus enfiévré.
Pour le coup, dans ce concert destiné à mettre en
lumière le romantisme chez Shakespeare et l’admiration que
lui vouèrent les romantiques, il avait enfin atteint son but.
Juliette BUCH
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