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LONDRES
31/10/2007
Richard WAGNER
SIEGFRIED
Deuxième journée du Ring des Nibelungen
Mise en scène : Keith Warner
Décors : Stefanos Lazaridis
Costumes : Marie-Jeanne Lecca
Lumières : Wolfgang Göbbel
Siegfried : John Treleaven
Brünnhilde : Lisa Gasteen
Wotan : John Tomlinson
Mime : Gerhard Siegel
Alberich : Peter Sidhom
Fafner : Phillip Ens
Erda : Catherine Wyn-Rogers
L’Oiseau de la forêt : Ailish Tynan
Orchestre du Royal Opera
Direction : Antonio Pappano
Londres, Royal Opera House, 31 octobre 2007
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UN SIEGFRIED SANS COMPLEXE
Après les chroniques (déjà anciennes) des nouvelles productions londoniennes de Rheingold et de Walküre, nous poursuivons avec ce Siegfried donné dans le cadre d’une reprise de l’ensemble de la Tétralogie.
Annoncée à grands renforts de communication (1), cette série devait être l’occasion pour Bryn Terfel
d’interpréter pour la première fois le Wanderer,
rôle qu’il avait laissé précédemment
à John Tomlinson, en se limitant aux deux premiers
épisodes du cycle. Finalement, le chanteur a renoncé
quelques semaines avant la première (2).
A 61 ans passés, le vétéran John Tomlinson
assure l’intérim. L’usure des moyens est
évidente et le style un peu relâché avec des
phrases parfois aboyées et des passages parlando. Mais
globalement les notes sont là, le timbre n’est pas trop
abimé et le vibrato
maîtrisé. Surtout, Tomlinson connaît sont Wotan sur
le bout des doigts : il sait camper un personnage
intéressant, désabusé mais un peu gouailleur,
pêchant sans doute en terme de subtilité. Reproche que
nous avions déjà adressé au Wotan de Terfel,
celui-ci ayant tout de même l’excuse de débuter dans
le rôle.
John Treleaven est
une autre bonne surprise. Certes, on est loin du heldentenor
idéal, mais le chant ne manque pas d’aplomb, la tessiture
est homogène, l’aigu facile. L’acteur est
idéal, au physique respectable, bien loin des
ténors-barriques un peu gauches auxquels nous avons souvent
droit. On regrettera seulement un petit manque de puissance et un
timbre peu caractérisé. Surtout, il forme avec Tomlinson
un excellent couple de chanteurs - acteurs.
Lisa Gasteen est
une Brunnhilde enflammée, virevoltante et agile malgré
des formes généreuses, d’une séduction
souriante. Le timbre est chaud, la voix est ronde, mais l’aigu
est à la peine et le contre-ut final franchement hors
d’atteinte (aux alentours du si bémol). La voix manque un
petit peu de puissance et surtout, les attaques ne sont pas toujours
assez incisives : cette Brünnhilde est trop humaine et il lui
manque une dimension de sauvagerie hautaine (3).
Gerhard Siegel est
un Mime un peu décevant : acteur correct mais sans plus, il lui
manque le côté
« déjanté » des Mime
d’exception. Vocalement, rien d’indigne, mais on est plus
prêt du sprechgesang que du belcanto et le timbre n’est pas très remarquable.
L’Alberich de Peter Sidhom
est plus satisfaisant : le personnage est plus original et la voix
plus intéressante en termes de puissance et de couleurs,
malgré des problèmes de justesse.
L’intérêt du spectacle réside surtout dans
une mise en scène extrêmement inventive, très
fouillée, aux multiples détails
généralement justifiés. Impossible de tout
rapporter (et même de se souvenir de tout !), mais quelques
exemples suffiront.
Pendant le prologue orchestral, on voit Mime élever Siegfried de
la poussette à l’âge adulte : chaque fois que
Mime lui forge une nouvelle épée, l’enfant la brise
sans effort. A chaque essai raté, Mime couche de nouvelles
formules mathématiques sur le rideau de scène
(« E=MP3 » à l’adolescence de
Siegfried).
Lorsque Fafner apparaît à Siegfried, c’est
d’abord sous la forme du chanteur assis sur un trône et
simplement coiffé du tarnhelm (le heaume magique étant
symbolisé par un cube recouvert façon « boule
disco »). Le chanteur disparaît dans l’ombre
quand surgit le dragon ; le dragon mort, Fafner réapparait
sous forme humaine : lorsque Siegfried lui enlève le
heaume, il n’a plus de tête. Siegfried repose le heaume par
terre ; quand il le soulève, la tête plus de Fafner
posée sur le sol pousse encore quelques râles.
Warner résout avec facilité la majorité des
indications du livret, parfois ardues à traduire
scéniquement. Un exemple : lors de son ultime dialogue avec
Siegfried, Mime alterne la vérité et le mensonge ;
en toute logique, Siegfried ne devrait entendre que la
vérité grâce aux effets magiques du sang du dragon.
Ici, Siegfried entend la vérité à chaque fois
qu’il suce sa plaie pour l’empêcher de saigner.
La scène de la forge fleure presque les Marx Brothers. Le
décor représente une carcasse d’avion de chasse de
la seconde guerre mondiale, Siegfried est vêtu d’un blouson
cuir d’aviateur. Il forge son épée dans une aile de
l’avion après avoir purgé le réservoir pour
alimenter le feu attisé par une hélice. Hilare et
déchaîné, il accompagne le rythme de la forge en entrechoquant deux petites cuillères !
Bref, on ne s’ennuie pas dans ce Siegfried résolument
placé sous le signe de l’humour, parti pris moins choquant
que dans Rheingold. Le mise en scène choquera les
wagnériens les plus sérieux, mais ce troisième
volet de la saga n’est quand même pas le plus profond
intellectuellement.
Cette vision euphorique et décomplexée est au diapason de
la direction d’Antonio Pappano, très vivante et
très enlevée. Dommage que l’orchestre de Covent
Garden soit si moyen.
Placido CARREROTTI
Notes
1. Tarifs
majorés, ventes réservés aux donateurs,
création d’un site dédié avec photos, podcasts…
tout fut fait pour faire mousser la recette et les places ont
été vendues deux ans à l’avance
2.
La raison annoncée par le chanteur fut que son fils avait
dû être hospitalisé pour une opération.
L’émotion passé, on s’aperçut que le
garçon s’était en fait cassé un doigt au
mois de juillet (soit 4 mois avant la première). Terfel aurait
été perturbé dans l’étude du
rôle et il aurait préféré renoncer que
d’offrir une incarnation inachevée. A noter que
l’annulation touchait également les Wotan de
Rheingold et de Walküre pourtant déjà chantés
précédemment ! On reste un peu perplexe devant une
telle légèreté sachant que l’annonce du
forfait ne fut faite qu’au tout dernier moment…
Moralité : ne se déplacer pour Terfel
qu’à coup sûr !
3.
L’expression « dimension de sauvagerie
hautaine » est dédiée aux lecteurs du Monde et
aux admirateurs de Marie-Aude Roux
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