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PARIS
08/11/2007 & 19/06/07
Giuseppe VERDI
LA TRAVIATA
Violetta : Christine Schäfer
Alfredo : Stefano Secco (8/11), Jonas Kaufmann (19/06)
Germont : José van Dam
Flora : Hélène Schneiderman
Gastone : Ales Briscein
Baron Douphol : Michael Druiett
Marquis D'Obigny : Igor Gnidii
Dr. Grenvil : François Lis
Annina : Michèle Lagrange
Giuseppe : Gzregorz Staskiewicz
Un messager : Slawomir Szychowiazk
Direction Daniel Oren (8/11) & Sylvain Cambreling (19/06)
Production Christoph Mathaler
Décors Anna Viebrock
Costumes Anna Viebrock & Dorthée Curio
Lumières Olaf Winter
Paris, Palais Garnier, les 8/11 & 19/06/07
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Néant
Les représentations d’opéra restent rares à
Garnier, et encore plus les grands « tubes » du
répertoire. Cette nouvelle production du chef
d’œuvre de Giuseppe Verdi constituait donc un des
événements de la saison passée, l’ouvrage
n’ayant plus été donné en ces lieux depuis
1986. Les réactions des spectateurs des premières
représentations ont été vives, à la mesure
sans doute de leurs frustrations. Pour cette reprise, avec une
distribution quasiment identique, l’ambiance est toute autre, et
la corrida de l’été dernier a fait place à
une indifférence polie. On aura d’ailleurs rarement
assisté à Paris à une représentation de Traviata aussi peu vivante : pratiquement aucun applaudissement non plus pour les airs ou les duos.
Mais ce spectacle mérite-t-il davantage ?
Metteur en scène fétiche de Gérard Mortier (mais pas vraiment du public parisien !), Christoph Marthaler signe ici sa troisième production au Palais Garnier. Après une Katia Kabanova cohérente à défaut d’être pertinente, et des Noces de Figaro dont les provocations de potaches cachaient mal l’absence d’imagination, cette nouvelle Traviata
nous confirme dans notre impression initiale : le metteur en
scène suisse considère qu’il n’est pas
là pour servir un ouvrage, mais pour s’en servir, quitte
à raconter une histoire différente.
Marthaler transforme cette fois Violetta en Edith Piaf et Alfredo en
Théo Sarapo. Violetta/Piaf est ainsi la figure de
l’artiste qui se consume sur scène pour un public
indifférent.
Le vaste plateau de Garnier propose un décor unique de salle des
fêtes d’Allemagne de l’Est (pour ne pas changer). Une
faune bigarrée de jet setters y évolue aux premier et
deuxième actes. La petite robe noire de Violetta,
« à la Piaf », souligne la solitude du
personnage. L’effet est renforcé de temps à autre
par des coups de projecteurs (analogues aux
« poursuites » qui éclairent un chanteur
de variété en récital) alors que le reste du
plateau s’obscurcit. Un effet qui finit par lasser par sa
répétition. Comme à son habitude, Marthaler meuble
les scènes de foule d’interventions supposées
comiques : l’inévitable break dance, le serveur
maladroit, le coupon de vestiaire en guise de flûte à
champagne pour le brindisi … Au second d’acte, Annina
repasse le linge et Alfredo répare une tondeuse à gazon.
Au dernier acte, Violetta meurt en scène (un
théâtre dans le théâtre, au pied duquel le
sol est jonché de fleurs fanées). Comme on le voit (du
moins j’espère) à cette rapide évocation, le
parti de Marthaler n’a rien de très original ; sa
réalisation ne l’est pas davantage et ne surprendra que
les spectateurs peu curieux car rien ici ne diffère
franchement des productions habituelles de ce metteur en scène.
En dépit de sa cohérence, je n’ai pas
adhéré à cette vision réductrice, et
même anecdotique de l’œuvre de Verdi. Violetta est
une courtisane comme il y en a beaucoup à l’époque,
destinée à être entretenue par de jeunes rentiers
hypocrites qui épouseront plus tard une provinciale bien
dotée : Piaf est sortie de sa condition grâce
à son art ; c’est elle qui entretient son amant
Théo Saparo. Violetta, fêtée dans les salons,
n’en est pas moins ostracisée de la société
bourgeoise : Piaf était une artiste appréciée
de tous, l’exemple de la réussite d’un petit bout de
femme à force de travail et de talent. Alfredo dépense
l’argent de papa, Théo celui de mémé. Piaf
se consume publiquement sur scène (songeons à son grand
retour parisien pour sauver l’Olympia ou son
évanouissement en plein spectacle à New-York) :
c’est lorsqu’elle se retrouve dans la solitude que Violetta
meure. On n’en finirait pas d’énoncer les faux
parallèles entre ces deux vies.
Comme je l’écrivais plus haut, la production a
été fort mal accueillie à sa création, et
les motivations du public méritent qu’on s’y
arrête ; en effet, il y a plusieurs façons de ne pas
apprécier Marthaler : parce qu’il ne fait pas du Zeffirelli
(et c’est tant mieux) ; ou parce que son travail ne sert pas
l’œuvre mais s’en sert pour une création
personnelle sans originalité ni cohérence. Si le public
parisien hue, c’est essentiellement pour la première
raison ; mais ce n’est pas le cas de la majorité de
la critique, et d’une partie du public. Il s’en suit une
incompréhension qui vient conforter l’équipe de
production dans son estime d’elle-même : elle pense
son travail incompris parce que trop moderne, alors qu’il est
critiqué justement en raison de son manque total
d’originalité.
Décevante en termes de mise en scène, la production alterne le meilleur et le pire au niveau musical.
Vocalement, on appréciera la voix charnue et puissante de la pulpeuse Hélène Schneiderman, Flora d’une vulgarité assumée de bimbo.
Ales Briscein est un Gastone de remarquable allure, à la voix bien projetée.
On retrouve avec émotion Michèle Lagrange
à qui nous devons tant de beaux souvenirs dans de grands
rôles sur cette même scène, et en particulier son
Alice de Robert-le-Diable. La voix a certes perdu de sa superbe, mais a encore de beaux restes.
L’ensemble des comprimari serait d’ailleurs à citer et on se contentera de mentionner le Giuseppe de Gzregorz Staskiewicz et le messager de Slawomir Szychowiazk aux moyens largement plus impressionnants que ceux des solistes (1).
Voilà pour le meilleur. Passons au pire.
Christine Schäfer
était sur le papier une improbable Violetta : qui a
d’ailleurs entendu parler d’une grande Traviata qui serait
également un grand Cherubino (2)
? La scène vient confirmer nos appréhensions.
Dépourvue d’aigus et de graves, manquant de largeur,
incapable de vocaliser, le soprano est tout sauf une Violetta. Son air
du premier acte est un supplice pour les oreilles. Et ne parlons pas de
l’incapacité à colorer, ou simplement à
varier, qui rend sans intérêt le second couplet de
« Ah forse lui ». Au second acte, c’est
surtout l’absence de largeur qui est dérisoire :
« Amami Alfredo » en devient presque risible.
Heureusement, le dernier acte lui convient un peu mieux et
« Addio del passato » déclenche enfin les
applaudissements du public visiblement anesthésié par la
médiocrité générale.
Nous devons d’immenses soirées à José van Dam.
Mais, même au zénith de ses moyens, il n’a jamais eu
le format d’un Germont. Que diable a-t-il donc été
faire dans cette galère ? A la peine sur une bonne
moitié du registre, le baryton-basse pousse
systématiquement toutes les notes un peu aigües, donnant
l’impression d’un chanteur aviné. La soirée
culmine avec un « Di Provenza »
(opportunément privé de sa cabalette)
émaillé de plusieurs couacs (aux mêmes endroits et
tous les soirs) dont l’un fait même éclater de rire
ma voisine. L’artiste nous a encore prouvé
récemment qu’il était encore capable de grands
moments (par exemple son Mephisto à Pleyel sous la baguette de
Levine) : pourquoi ne se trouve-t-il pas un proche pour le
déconseiller lorsqu’il se fourvoie ainsi ?
Jonas Kaufmann
incarne le en juin un jeune premier idéal. Musicalement, je
n’ai pas grand-chose à ajouter par rapport à ses Alfredo new-yorkais
: la voix est insuffisamment projetée, sans éclat,
l’aigu difficile, avec, cette fois, une tentative ratée de
contre-ut à la fin de la cabalette. J’attends toujours du
« ténor glamour » une prestation vocale
à la hauteur de sa notoriété.
Nouveau « ténor à tout faire » de la maison (3), Stefano Secco
lui succède pour la reprise. Barbe rasée, calvitie
camouflée par une perruque abondante, le ténor est
physiquement méconnaissable. Musicalement, c’est comme
d’habitude. Plus aigüe et bien projetée, la voix fait
davantage impression sur l’instant. Mais on en sent vite les
limites au bout de quelques scènes : fatigue
prématurée, diction et legato se relâchant au fil
de la soirée et aigus sur le fil (l’ut de la cabalette
n’est pas tenté cette fois). Air et cabalette sont
accueillis par un silence de mort. Rien de vraiment indigne, mais rien
qui n’éveille l’attention.
Sous la baguette de Sylvain Cambreling,
l’orchestre de l’ONP est, en juin, absolument somptueux.
Très analytique la direction fait ressortir de multiples
détails d’orchestration, de nuances (l’alternance staccato/largo/staccato pour
la clarinette dans le final de l’acte II, par exemple).
Même la musique de scène, habituellement traitée
comme une fanfare municipale, est ici en état de grâce.
Malheureusement, cette interprétation est aussi
dénuée de toute théâtralité :
c’est à une symphonie avec voix que nous assistons, pas
à une représentation d’opéra. Enfin, comme
à son habitude, le chef français n’hésite
pas à couvrir régulièrement les chanteurs.
Avec Daniel Oren, le
résultat est inversé. L’orchestre est assez
négligent (mais est-ce la seulement la faute du chef ?)
mais au moins les chanteurs sont préservés.
Dramatiquement enfin, il ne se passe pas grand-chose et la direction
manque de tension. Etonnant de la part d’un chef pourtant capable
de « mettre le feu » aux Arènes de
Vérone.
Bref, cette série de Traviata
ne laissera pas beaucoup de souvenirs positifs. Dommage :
après la production exagérément décorative
de Franco Zeffirelli au milieu des années 80, et la
médiocre mise en scène de Jonathan Miller pour Bastille
à la fin des années 90, il y avait une place pour un
spectacle original et moderne. Espérons que la prochaine fois
sera la bonne.
Placido CARREROTTI
Notes
1.
Avec des noms plus simples à orthographier, ils feraient sans
doute les têtes d’affiche !
2. Mais on peut être mauvais dans les deux rôles.
3.
Après « Bohême »,
« Boccanegra », « Roberto
Devereux » (au TCE) et « la
Traviata », nous devrions l’entendre dans
« Don Carlo », « Macbeth »
et « Rigoletto » : n’en jetez
plus !
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