Après
de superbes représentations de Parsifal et une version concertante
de Rheingold sur instruments anciens en août dernier (voir
notre compte-rendu), le Festspielhaus
de Baden-Baden continue à vouloir s'imposer comme un scène
wagnérienne de première importance avec deux concerts présentant
des actes d'opéras du maître de Bayreuth en version de concert
et dirigés par Christian Thielemann.
Nous avons assisté au premier
d'entre eux. Le programme était assez original puisqu'à l'habituel
premier acte de Walküre était préféré
le troisième, auquel on a associé le deuxième de Parsifal.
La distribution était alléchante et présentait des
personnalités émergentes (Susan Anthony, Endrik Wottrich)
à côté de valeurs sûres (Linda Watson, Robert
Hale). C'est pourtant la doyenne de l'équipe, Luana DeVol, qui remporta
tous les suffrages. L'immense talent de cette artiste trouve toute sa mesure
dans le répertoire germanique.
Après une extraordinaire Elektra
à Strasbourg il y a 2 ans, la voici campant une Kundry d'anthologie.
Rarement on aura entendu absolument toutes les notes et tous les mots de
ce rôle. La netteté du chant et la prononciation laissent
en effet pantois. A cela s'ajoutent un sens des nuances admirable (la chanteuse
n'abuse jamais de la puissance de sa voix) et une implication dramatique
extraordinaire. On pourra certes regretter des aigus plus tranchants tels
ceux dont Waltraud Meier nous gratifia ici même en août
(le stupéfiant si aigu sur "Lachte" à la fin du deuxième
acte). Mais c'est là bien peu de choses quand on reçoit tant
d'adrénaline, et de plus, dans une version de concert. Immense triomphe
pour la chanteuse aux saluts.
Parsifal n'était autre que celui
qui tient le rôle en ce moment à Bayreuth, Endrik Wottrich.
Doté d'une voix barytonale, dont on pourrait peut-être attendre
des aigus plus lumineux, son Parsifal a de la prestance et ne démérite
nullement devant le monstre sacré Luana DeVol.
Hartmut Welker, qui fut un superbe
Alberich à Bayreuth, nous offre un magnifique Klingsor. Il confère
une véritable épaisseur au personnage, le chant est là
encore net et la prononciation impeccable.
Si l'on ajoute à cela une superbe
équipe de filles fleurs, on pourrait penser que le bonheur eut été
total. Hélas, c'était sans compter avec Christian Thielemann
dont la direction lénifiante ne donne absolument aucun relief, aucune
urgence dramatique à un acte qui ne manque pourtant pas de contrastes
et de revirements. Le discours défile ainsi de manière désespérément
plate et uniforme et l'orchestre, visiblement tétanisé, ne
sonne absolument pas. Au moins saura-t-on gré à Thielemann
d'être très attentif aux chanteurs (ce n'est pas si courant
dans le milieu de l'opéra) ou de soigner quelques traits de l'écriture
orchestrale, mais cela ne suffit pas pour rendre sa lecture suffisamment
intéressante.
Lorsque débute, après
l'entracte, la célébrissime "Chevauchée des Walkyries",
on a l'impression que ce n'est plus le même chef qui dirige. Voici
enfin du relief, de la vie, voire de l'urgence dramatique. Aucune lourdeur
dans un discours clair et qui avance et l'orchestre sonne enfin, un vrai
bonheur ! Les Walkyries sont absolument admirables, notamment les premières
sopranos aux voix bien projetées, épanouies et aux aigus
sûrs.
La (très) blonde Susan Anthony
campe une fort belle Sieglinde dont la timbre fait parfois penser à
celui de Leonie Rysanek avec des aigus mats, dont, pour notre part, nous
regrettons qu'ils ne s'épanouissent davantage.
Avec Linda Watson en Brünnhilde,
nous avons droit à un professionnalisme impeccable. Rien à
reprocher, si ce qu'on regrette peut-être ce "plus" qui fait les
grandes incarnations... Décevant, par contre, le Wotan de Robert
Hale, dont la voix manque de puissance et, là encore, de personnalité.
En outre, la direction de Christian
Thielemann (à la gestique brutale très particulière)
redevient au fil de l'acte bien molle, parfois un peu écoeurante
avec des rallentendo à la limite du mauvais goût, et
que l'orchestre affiche des insuffisances surprenantes et peu excusables
à ce niveau (plusieurs fausses notes à découvert de
la clarinette basse par exemple), la déception gagne progressivement
l'auditeur.
On retiendra donc surtout de cette
soirée la mémorable Kundry de Luana DeVol, qui, à
elle seule, valait le déplacement.
Pierre-Emmanuel LEPHAY