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STRASBOURG
18/04/2008
© Alain KAISER
Richard WAGNER (1813-1883)
Die Walküre
Première journée du Ring des Nibelungen
Poème et musique du compositeur
Créé le 26 juin 1870 au Hoftheater de Munich
Direction musicale : Marko Letonja
Mise en scène : David McVicar
Décors et costumes : Rae Smith
Lumières : Paule Constable
Chorégraphie : Andrew George
Masques : Vicki Hallam
Siegmund : Simon O’Neill
Wotan : Jason Howard
Hunding : Clive Bayley
Sieglinde : Orla Boylan
Brünnhilde : Jeanne-Michèle Charbonnet
Fricka : Hanne Fischer
Gerhilde : Karen Leiber
Ortlinde : Kimy McLaren
Waltraute : Annie Gill
Schwertleite : Katharina Magiera
Helmwige : Sophie Angebault
Siegrune : Linda Sommerhage
Grimgerde : Sylvie Althaparro
Rossweisse : Varduhi Abrahamyan
Grane : David Greeves
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Nouvelle production
Strasbourg, 18 avril 2008
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La force de l’évidence
« Vite, la suite ! » disions-nous dans notre compte-rendu dithyrambique du Rheingold
de l’an dernier tant ce volet introductif du Ring alsacien
nous avait comblé, musicalement et scéniquement. Et bien,
nous n’avons pas été déçus. Cette Walküre semble augurer d’un Ring marquant dans l’histoire scénique de l’œuvre.
Pour ne pas paraître pompeux, nous éviterons de citer
d’autres grandes mises en scène du cycle (attendons le
Götterdämmerung pour cela), et pourtant, il ne nous semble
pas avoir connu quelque chose d’aussi beau et intelligent depuis
belle lurette.
Nous parlions d’ambiance « primitive » et
de vision « multi-civilisationnelle »
à propos de Rheingold qui évitait ainsi les
clichés éculés des costume-cravates et des
uniformes militaires. Nous retrouvons tout à fait cette ambiance
intemporelle (« Il m’a semblé qu’il
était temps de replacer le Ring sur un plan
abstrait » dit d’ailleurs le metteur en scène),
ainsi que des éléments de décors vus dans
Rheingold tels ces masques, dont l’un d’eux, immense,
symbolise les Dieux. Doré dans Rheingold, il est à
présent noir et triste, et en morceaux. Quant aux larges pans
argentés symbolisant le Walhalla, ils sont à nouveau
là, mais l’un d’eux est écorné comme
pour évoquer le début de la fin.
Comble de l’exploit, McVicar réussit à respecter le
livret et son bagage mythologique (armures, casques, char de
béliers pour Fricka, chevaux pour Walkyries etc.) sans que cela
n’apparaisse ridicule, bien au contraire et il respecte de
même la musique car l’empathie entre ce que l’on voit
et ce que l’on entend est proprement admirable, la mise en
scène étant véritablement à
l’écoute de la musique ce qui est un vrai bonheur.
Ainsi, Hunding, tel un samouraï entouré de ses hommes,
violente sa femme, l’embrasse et lui caresse la poitrine tout en
regardant Siegmund pour bien lui montrer qu’elle est sa
« propriété ». Tout cela colle
parfaitement avec le thème de Hunding, sec et brutal, et le
débit haché du personnage. Pour un peu, à la fin
du 2° acte, alors que Wotan est à terre près du
cadavre de Siegmund, Hunding se verrait comme un Dieu, fier avec sa
lance, mais Wotan met une fin brutale à cette vision.
Autre exemple marquant, cette chevauchée qui en est vraiment
une : chaque Walkyrie possède une monture sous la forme
d’un figurant coiffé d’une tête de cheval
stylisée et disposant d’échasses à ressort
(dont la forme rappelle d’ailleurs le pied et le sabot de la
bête) ce qui permet une
« élasticité » des
déplacements de ces sortes de
« centaures » assez extraordinaire. Notons de
plus la remarquable direction d’acteurs de ces figurants
absolument déchaînés et dont le jeu évoque
parfaitement le comportement de chevaux fougueux. Les Walkyries quant
à elles sont de vraies hyènes furieuses excitant leur
monture ou gigotant à travers toute la scène. Moment
sublime de théâtre, de fusion musique-action donc que
cette chevauchée. L’excitation qui se dégage de la
fosse et de la scène fait que l’on tient difficilement sur
son siège ; quelques applaudissements naissent
d’ailleurs ici ou là dans la salle, preuve de la force
exceptionnelle de cette chevauchée.
Au
début du 2° acte, Brünnhilde était
déjà apparue avec sa fière monture, la jeune
Walkyrie jouant avec lui et lui adressant son chant jodlé
(à noter d’ailleurs dans le programme un texte très
intéressant de Mathieu Schneider sur Wagner et le jodle).
Rarement d’ailleurs on aura vu Brünnhilde aussi jeune et
enfantine. On en comprend d’autant mieux que Wotan ne songe pas
à elle pour sauver les Dieux. On admirera tout du long la
relation, tantôt tendre tantôt tendue, entre le père
et sa fille qui réservera de superbes moments, tel ce geste de
Wotan qui, avant de l’endormir, coupe une mèche de cheveux
à sa fille, comme pour lui arracher son pouvoir, un Wotan qui
d’ailleurs a lui-même « perdu » sa
longue chevelure qu’il arborait dans Rheingold.
C’est une Brünnhilde véritablement transformée
qui apparaît au 3° acte, loin de l’adolescente
fougueuse du début du 2°. Son contact avec Siegmund
l’aura métamorphosée : l’image de
l’homme était auparavant symbolisée par le
père, tout puissant, il est remplacé par la figure de
l’homme jeune dont le baiser qu’il offre à
Brünnhilde à la fin de la scène de la
prophétie, semble révéler à la jeune
Walkyrie à la fois une nouvelle image de l’homme mais
aussi sa féminité, il s’agit de son passage
à l’âge adulte en quelque sorte.
On retrouve donc dans toute cette Walküre
toute la subtilité qui faisait le prix de Rheingold, tel encore
le jeu sur les masques (retiré par Wotan dans son grand
monologue du 2° acte, récupéré par
Brünnhilde, brisé par Siegmund - geste annonciateur de la
lance qui sera brisée par Siegfried). Il est d’ailleurs
significatif de sentir une multitude de détails qui placent
cette Walküre dans le prolongement du Rheingold de l’an dernier et annoncent la suite du Ring :
ainsi, Wotan quitte sa parure à la fin du 3° acte et enfile
une large et sombre houppelande. C’est le début du
Crépuscule. Non fier de son pouvoir (régler la
destinée des humains, endormir sa fille, cerner le rocher de
feu), il quitte la scène penaud, traînant la lance. De
même, les flammes entourant le rocher sont bien rouges comme il
se doit, mais elles passent peu après dans des teintes (vert,
bleu) qui semblent non pas symboliser le feu protecteur mais un feu
froid et sinistre…
Des décors somptueux (l’arbre tout droit sorti d’un
film de Tim Burton, l’immense masque noir, les pans
argentés symbolisant le Walhalla), magnifiés par des
éclairages splendides (dont beaucoup à contre-jour)
parachèvent ce travail scénique absolument fascinant.
Musicalement, on est au même niveau que l’an dernier. On
retrouve d’ailleurs les mêmes chanteurs pour les
personnages toujours présents dans cette première
journée du Ring.
Jason Howard est
encore un Wotan somptueux de timbre. En cette première, il
paraît quelques fois gêné (un petit graillon est
perceptible dans la voix sur certains aigus), mais tient la route
jusqu’aux fameux adieux en gardant de superbes graves et de
solides aigus.
La Fricka de Hanne Fischer affiche
toujours un aussi bel organe de mezzo, plutôt clair aux aigus
percutants, ce qui est parfait pour sa dispute avec Wotan. Son
investissement en rajoute dans la caractérisation de
véritable furie et pourtant cela ne nuit jamais à la
ligne.
La Brünnhilde de Jeanne-Michèle Charbonnet
affiche elle aussi un timbre superbe qui fait merveille notamment dans
la scène de la prophétie. L’aigu est plus
problématique, il semble provenir d’une autre voix,
instable et touché par un vibrato
lent. Malgré cela, Jeanne-Michèle Charbonnet gère
bien les terribles vocalises du début de l’acte II.
C’est surtout une interprète prenante lors du dialogue
avec son père au 3° acte.
Les Walkyries sont superbes de tenue et affichent des timbres assez
différenciés ce qui est très appréciable.
On a certes l’impression d’une meute mais cette richesse de
timbres donne une personnalité à chacune.
On gardera tout particulièrement en mémoire le premier
acte car il fut absolument magnifique musicalement grâce aux
trois chanteurs qui s’y illustrent. Le couple que forment le
Hunding de Clive Bayley et la Sieglinde d’Orla Boylan
est tout en contrastes. Lui, fantastique, en impose avec un timbre noir
et incisif, une présence écrasante ; elle, tout en
douceur et soumission, présente une voix assez
« légère » dans le medium mais qui
se corse superbement dans un aigu riche et sonore.
Entre eux, le Siegmund de Simon O’Neill est
inoubliable et sans doute l’un des plus beaux Siegmund que
l’on ait entendu depuis fort longtemps. Voix pointue sans
être nasale (ce qu’est par exemple un peu trop Gary Lakes),
homogénéité confondante avec un aigu qui semble
à toute épreuve, ligne somptueuse, acteur investi et
convaincant, tiendrait-on là LE ténor wagnérien de
sa génération ? Ses engagements à Covent
Garden et au MET le laissent présager en tout cas... Bravo
à l’Opéra National du Rhin d’avoir
trouvé un artiste d’une si grande valeur qui nous a offert
une prestation absolument exceptionnelle et nous pesons nos mots. Nous
remarquions un superbe Parsifal
à Munich récemment, on attend le premier Siegfried de Ben
Heppner à Aix après de superbes Tristan à Paris,
l’avenir des ténors wagnériens est plutôt
souriant semble-t-il et c’est tant mieux.
L’an dernier, nous pestions sur l’insuffisance de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg dans Rheingold. Quelques mois plus tard, la prestation époustouflante du même orchestre lors de la Salomé
de concert montrait la valeur intrinsèque de la formation
alsacienne. On est donc heureux de retrouver un orchestre très
en forme pour cette Walküre
(enfin de très beaux cuivres, notamment une superbe trompette
basse). On surprendra bien ici quelques décalages dans les bois,
là une trompette basse qui n’est pas à la bonne
battue, mais les musiciens sont visiblement galvanisés par la
très belle direction de Marko Letonja qui
prend la suite du Günter Neuhold (au pupitre de Rheingold
l’an passé). Si parfois elle manque de tranchant
(début de 2° acte par exemple), sa direction n’en est
pas moins dynamique et déploie par moments une énergie
fantastique (superbe fin de premier acte par exemple).
Soirée marquante donc, tant pour l’interprétation
musicale que pour la réussite scénique
éblouissante réussissant l’exploit de plonger dans
les racines mêmes du mythe tout en n’étant pas
bêtement illustrative mais au contraire d’une profondeur et
d’une pertinence tout à fait remarquables. C’est
là un véritable tour de force qu’opère
McVicar et son équipe, au point qu’on en vient à se
dire : Le Ring, c’est ça. La force de l’évidence.
Là encore, on ne peut qu’attendre la suite avec impatience
et rajouter que l’on rêve déjà de voir ce Ring en une seule saison…
Pierre-Emmanuel Lephay
Prochaines représentations :
STRASBOURG, Opéra : 27 avril 15 h, 2 et 6 mai 18 h 30
MULHOUSE, La Filature : 16 mai 18 h 30, 18 mai 15 h
www.operanationaldurhin.fr
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