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MUNICH
23/03/2008
© DR
Richard Wagner (1813-1883)
PARSIFAL
Bühnenweihfestspiel en trois actes (1882)
Livret du Compositeur
Direction musicale : Kent Nagano
Mise en scène : Peter Konwitschny
Décors et costumes : Johannes Leiacker
Lumières : Peter Halbsgut
Parsifal : Nikolas Schukoff
Kundry : Lioba Braun
Amfortas : Michael Volle
Gurnemanz : Kurt Rydl
Klingsor : John Wegner
Erster Gralsritter : Kevin Conners
Zweiter Gralsritter : Rüdiger Trebes
Erster Knappe : Soliste du Tölzer Knabenchors
Zweiter Knappe : Soliste du Tölzer Knabenchors
Dritter Knappe : Ulrich Reß
Vierte Knappe : Kenneth Roberson
Filles-Fleurs : Aga Mikolaj, Laura Rey, Daniela Sindram,
Lana Kos, Anaïk Morel, Cynthia Jansen
Bayerisches Staatsoprchester
Chor des Bayerischen Staatspoer
Chef des chœurs : Andrés Maspero
Munich, Nationaltheater, 23 mars 2008
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Un scandale ? Non !
« Un scandale ? Bon, jugez par vous-même ! »
C’est ainsi que le Bayerisches Staatsoper présente (sur son site internet) la production de Parsifal mise en scène par Peter Konwitschny et reprise cette saison.
Il est vrai que le metteur en scène est connu pour des
« relectures » diversement
appréciées (par exemple son Don Carlo viennois).
Pourtant, hormis quelques incongruités, ce Parsifal se tient et fascine.
Aux leitmotive musicaux, Konwitschny répond par des leitmotive
scéniques. Celui de la feuille tout d’abord,
décliné d’un bout à l’autre de
l’ouvrage. Ce leitmotiv, c’est tout d’abord un
impressionnant rideau de scène couvert de feuilles de papier se
chevauchant les unes sur les autres, et où est inscrit sur
chacune la phrase « Erlösung dem
erlösen » (« Rédemption au
rédempteur », dernière phrase du chœur)
en de multiples langues (y compris le latin, le chinois, l’arabe,
le russe…).
C’est aussi une feuille rouge suspendue dans l’air, qui
tombera lorsque Parsifal abattra le cygne, puis qui passera des mains
de Parsifal à celles de Kundry au fil des actes.
Ce sont également des feuilles jaunes suspendues aux branches
d’un arbre au 2° acte et dont les ombres colorées
évoquent à merveille le jardin magique de Klingsor.
C’est enfin une feuille sur laquelle est dessinée une
colombe qui descendra des cintres sur le dernier accord, un peu comme
le contrepoint de la feuille rouge qui tombait avant
l’entrée de Parsifal…
Et ce sont toujours des feuilles qui recouvrent l’arbre qui
trône au centre de la scène, d’abord blanches, puis
noires au dernier acte.
Cet arbre apparaît donc sous de multiples aspects, et constitue
un autre leitmotiv décliné également dans le
programme (un livre de 150 pages !) avec des reproductions
d’œuvres de Mondrian, Magritte et d’étonnantes
installations de land art ou
encore de Jan Meyer-Rogge qui ont été la source directe
d’inspiration pour le décor. Tout d’abord
couché, l’arbre se lève avant la
cérémonie du Graal puis se soulève laissant
apparaître sous le sol, donc au niveau des racines, les
chevaliers entourant Amfortas (belle image). A nouveau couché au
deuxième acte et orné des feuilles évoquées
plus haut, il disparaît à la fin de l’acte et il
n’en subsiste que son ombre au troisième, puis son tronc
comme calciné.
Tout cela fait penser au Tristan bayreuthien de Ponnelle (récemment sorti en DVD)
mais en moins esthétique, car il faut bien avouer que si tout
cela excite l’intellect, ça ne flatte guère
l’œil. D’autant moins que les murs latéraux et
de fond de scène ressemblent à de tristes carreaux gris
de cuisine.
On notera encore quelques incongruités dans le travail de
Konwitschny, comme l’entrée de Kundry au premier acte sur
un cheval fait de grossiers rondins de bois… le costume de
Kundry en rajoutant dans le style western (là, nous avouons, on
sèche sur la signification de ce geste scénique) ou celle
de Parsifal/Tarzan traversant la scène accroché à
une corde...
Par ailleurs, si le caractère sacré n’est pas
très présent dans la cérémonie du Graal, il
se manifeste dans des symboles un peu lourds. Le Graal devient ainsi
une Vierge tenant une colombe, enfermée dans une niche du fameux
arbre, vierge dont on retrouve une statue (un peu trop
saint-sulpicienne) adorée par Klingsor au deuxième acte.
Mais il faut noter comme le personnage de Klingsor est magnifiquement
caractérisé. Son costume fait de haillons
ensanglantés au niveau du sexe rappelle son geste,
l’auto-castration, de manière terriblement crue. Amfortas
est en cela identique à Klingsor : en haillons
ensanglantés au même endroit (rappelons qu’il
succomba à Kundry, ce qui pourrait effectivement expliquer son
geste « klingsorien »). En cela, Klingsor et
Amfortas en deviennent presque identiques, ce qui explique
qu’après avoir repoussé Klingsor, Parsifal
repoussera Amfortas à la fin de l’acte III. Pour Parsifal,
la rédemption n’est pas celle d’Amfortas, mais celle
de la « cause » ainsi que celle de Kundry que
l’on retrouve couchée, morte, sur les derniers accords, la
feuille rouge dans les mains… Kundry qui d’ailleurs se
trouvait au début de l’acte II dans la niche de
l’arbre où se trouvait la Vierge
précédemment. Et si la rédemption venait de Kundry
? C’est d’ailleurs elle qui porte la lance lors de la
cérémonie du troisième acte, la feuille rouge sur
la pointe…
On l’aura compris, c’est un travail tout à fait
fascinant, avec de multiples résonances, que Peter Konwitschny a
offert là, et ce, à notre sens, sans trahir
l’œuvre wagnérienne.
Ajoutons à cela une excellente direction d’acteurs
où chaque personnage est remarquablement
caractérisé. On n’oubliera pas ce Klingsor
repoussant à souhait, ce Parsifal benêt au comportement
enfantin puis devenant adulte et doté d’une conscience au
fur et à mesure des actes, ou encore ces Filles-Fleurs vraiment
jeunes filles en fleur.
De même, on n’oubliera pas la figure de Kundry dont la
conception par Konwitschny nous fit découvrir une nouvelle
facette du personnage. Pour notre part, nous avons en effet
été « élevé » avec la
Kundry de Waltraud Meier. Nous l’avons entendue dès 1983
à Bordeaux, puis au disque (enregistré à
Bayreuth), puis plus récemment sur la scène de
Baden-Baden. Artiste exceptionnelle, elle ne fait qu’une
bouchée de ce personnage qu’elle campe comme une sorte de
femme fatale, ogresse terrible à la fin du deuxième acte.
Ici, rien de tel, nous avons une Kundry très féminine,
bien moins sûre d’elle et surtout victime de son sort, dont
la souffrance est exposée de manière
particulièrement touchante. Ainsi, à la fin du
deuxième acte, lors de la malédiction sur Parsifal, si
avec Waltraud Meier, on sent toute la haine du monde, ici, nous
sentions toute la misère et le désespoir de cette femme.
Terrible.
Il se trouve que ce soir, la voix et le chant de Lioba Braun
furent particulièrement en phase avec cette vision du
personnage. Voix peu puissante mais compensée par un très
beau chant, très intelligemment mené, avec des aigus
dardant l’espace (certes, l’un ou l’autre de le fin
du deuxième acte furent un peu juste) et des graves superbes,
jamais outrageusement poitrinés, ce fut un bonheur de tous les
instants. Une révélation.
Une autre fut le Parsifal de Nikolas Schukoff.
Enfin un ténor wagnérien qui n’a pas une grosse
voix trémulante et qui émet le moindre son en
force ! Enfin, du style, du soin dans les phrasés, enfin
des aigus clairs mais point trop larges et mouvants, enfin un
très bon acteur qui plus est. Un vrai bonheur là encore.
Si on ajoute que le Klingsor de John Wegner
est saisissant de timbre, de projection et de prestance, on aura
compris que le deuxième acte fut absolument sensationnel. Les
chanteurs obtiennent d’ailleurs une ovation au rideau (nous
sommes en Allemagne, avec saluts à la fin de chaque acte).
Les actes I et III peuvent quant à eux se reposer sur la solidité du Gurnemanz de Kurt Rydl.
Là encore, voix saisissante de timbre et de puissance (on ne
connaît que Salminen pour se mesurer à lui sur ce plan).
On lui reprochera peut-être un léger manque de nuances et
une propension à faire du son, mais dans l’ensemble, sa
prestation n’en est pas moins remarquable.
L’Amfortas de Michael Volle est
lui aussi superbe de ligne et de timbre (il nous fit penser par moments
à Simon Estes) mais peine à émouvoir vraiment.
Nous restons pour notre part sur le souvenir de
l’éblouissant Thomas Hampson à l’Opéra
de Paris il y a quelques années qui nous avait
stupéfié et tétanisé
d’émotion…. Souvenirs souvenirs quand vous nous
tenez…
La distribution frappe encore par la tenue des seconds rôles, du Titurel de Steven Humes,
aux magnifiques filles-fleurs en passant par les chevaliers et
écuyers dont deux d’entre eux sont incarnés par des
enfants (impeccables) du Tölzer Knabenchors dont on connaît l’excellence.
Il est vrai que les chevaliers du Graal sont tous des hommes et que
remplacer ces deux jeunes écuyers, habituellement chantés
par des femmes travesties, par de jeunes garçons renforce la
masculinité du Royaume du Graal (on en vient presque à
imaginer un chœur exclusivement masculin, avec hautes-contres et
enfants, pour les parties chorales des cérémonies des
actes I et III...!).
Terminons par la splendide prestation de l’orchestre et des chœurs du Staatsoper.
Des chœurs on retiendra surtout un remarquable chœur
féminin dans les filles-fleurs mais aussi la belle prestance du
chœur masculin des chevaliers. De l’orchestre, que louer en
premier lieu ?... Le 1er hautbois de toute beauté, des
trompettes à vous fendre l’âme dans le thème
de la Cène ou la musique de transformation du premier acte, de
manière plus générale la tenue des cuivres
d’une rondeur et d’une splendeur extraordinaires, un
timbalier superbe de son et de puissance, des magnifiques pupitres de
cordes et de bois ?... On regrettera juste des cloches au son un
peu trop « église de village », à
l’harmonique de quarte un peu trop présente, et
hélas sonorisées, ce qui fit tourner certains passages
à la cacophonie.
Avec cet orchestre mais aussi l’Orchestre de la Radio Bavaroise -
l’une des plus belles formations européennes -
dirigé par Mariss Janson, Munich a bien de la chance de
posséder des phalanges d’une telle splendeur.
Quant à Kent Nagano, il
nous a gratifié d’une superbe direction, large, si ce
n’est majestueuse, avec une battue plutôt lente dans les
actes I et III (ce qui nous combla, adepte que nous sommes des Parsifal
lents) avec quelques merveilleux ritenuto, et un extraordinaire
dramatisme dans l’acte II, notamment toute sa fin d’une
nervosité et d’une urgence fantastiques au point
qu’il en était difficile de tenir sur son siège. Le
triomphe de l’acte II, c’est aussi à lui qu’on
le doit.
Par ailleurs, il est cocasse - alors que nous l’interrogions
récemment sur ce point de ne pas avoir pensé une seule
fois de la soirée à la question de
l’équilibre entre masses instrumentales ainsi
qu’entre fosse et plateau tant Nagano réussit le prodige
d’offrir une lecture très claire et très
équilibrée. A nul moment nous n’avons trouvé
que les cuivres couvraient la masse sonore, que ce soit le reste de
l’orchestre ou les chanteurs, ce qui n’est pas un mince
exploit quand on sait que tous les instruments de la fosse sont en
contact direct avec la salle, la fosse du Staatsoper étant
très grande et ne nécessitant pas de placer des musiciens
complètement sous la scène. Le travail de Nagano
constitue donc en de multiples niveaux une remarquable réussite.
Un grand bonheur donc que cette représentation, qui plus est
dans un cadre superbe, au sein d’un public respectueux, calme,
dont la propension à faire le silence en 5 secondes laisserait
rêveur un spectateur parisien, et apte à faire un triomphe
aux artistes lorsqu’il le faut. Même la salle pourtant
vidée de moitié réussit par son enthousiasme
à faire revenir les artistes pour un ultime salut. Superbe vous
dit-on, jusqu’au public !
Pierre-Emmanuel Lephay
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Lire également : entretien avec Kent Nagano
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