C'est
Mozart qu'on assassine
Provocant. Tel est Gérard Mortier.
Il suffit de lire ses déclarations dans la presse, d'écouter
ses propos à la télé, à la radio pour réaliser
que le directeur de l'Opéra de Paris aime surtout défier,
narguer, agacer...Ainsi quand on lui demande pourquoi il inscrit une troisième
Flûte en moins de douze ans au répertoire de la première
institution lyrique française, il répond qu'il est bien capable
d'en monter encore une autre d'ici la fin de son mandat, tout simplement
parce que c'est le premier opéra que l'a emmené voir sa maman.
Pour lui, les récitatifs, comme
tout ce qui est décoratif dans la mise en scène, pèsent
sur Die Zauberflöte et encombrent son idée philosophique
de l'homme. Peut-être, mais il ne faut pas négliger la place
du théâtre et du divertissement. L'une des formes du génie
de Mozart est justement d'être présent sur tous les tableaux.
Fort de telles déclarations,
on débarque à la Bastille le couteau entre les dents, armé
jusqu'au cou, remonté comme une horloge. Et finalement, on en ressort,
sinon conquis, du moins apaisé car, outre l'effet bénéfique
de la musique, le spectacle proposé ne justifie pas de se mettre
dans un tel état.
Evidemment, il est stupide de remplacer
les dialogues parlés par des textes pompeux et abscons (le "abs"
est encore de trop). Le fil narratif est rompu, le singspiel se
transforme en une succession abstraite de morceaux chantés ; l'oeuvre
est irrémédiablement trahie. Il est de plus inutile de faire
déclamer ces soi-disant poèmes par Dominique Blanc et Pascal
Greggory lorsque, compte tenu de leur intérêt littéraire
et dramatique, le même résultat pourrait être obtenu
avec le premier comédien venu. Pour ne pas se fâcher, on évitera
de penser au montant du cachet versé et de reparler de l'augmentation
du prix des places.
Mais, cette aberration dénoncée,
il ne subsiste pas d'autres véritables raisons de s'insurger.
Musicalement d'abord, sans toucher
à l'excellence, l'ensemble reste d'un bon niveau. Marc Minkowski,
intimidé peut-être par la grandeur des lieux, nous a habitués
à plus de précision et à une autre dynamique, mais
il mène à bon port l'orchestre en respectant les solistes.
Erika Miklosa, Reine de la Nuit
© DR
Mireille Delunsch en Pamina paraît
au premier abord manquer de fraîcheur. Sa voix, rompue ces derniers
années à de périlleux exercices (La Traviata,
à
Aix ou Rouen,
pour n'en citer qu'un) possède à présent une maturité,
une fêlure qui l'éloigne au premier acte de l'ingénuité
du personnage. Mais, comme toujours avec elle, l'engagement finit par triompher
et porte au sommet un "Ach, ich fühl's lumineux, le plus grand moment
d'émotion de la soirée.
Le Tamino de Paul Groves est avant
tout héroïque. Du jeune prince, il montre plus la détermination,
le courage que la grâce. "Dies Bildnis ist bezaubernd Schön"
surtout expose les duretés du timbre et le manque d'élégance.
A contrario, le finale du premier acte convient mieux à sa personnalité
vocale.
Stéphane Degout confirme qu'il
est aujourd'hui l'un de nos meilleurs Papageno, par la clarté de
l'émission, la franchise de la projection, mais aussi par la singularité
de la silhouette, mi homme mi oiseau, ici les cheveux rouges ébouriffés
comme un lointain cousin de Woody Woodpecker.
Erika Miklosa surprend. Typiquement
slave, avec un médium plus corsé et un vibrato plus large
que les habituelles titulaires du rôles, elle libère des contre
notes, qui à l'exception d'un fa à l'arraché, étonnent
par leur précision et leur rondeur. Sa reine de la nuit, surnaturelle,
devrait cette année continuer de faire trembler les lustres du Metropolitan
de New York en avril puis du Teatro Real de Madrid en juillet, pour ne
citer que les salles les plus fameuses... Il n'est pas certain pour autant
qu'il s'agisse d'une véritable soprano colorature et son répertoire
devrait rapidement évoluer.
La jeunesse et l'imposante stature
d'Ain Anger confèrent à son Sarastro des graves bien épaulés
mais aussi, paradoxalement, une troublante fragilité et donc une
grande humanité.
Les trois dames, costumées comme
des filles du Rhin, tournent souvent au vinaigre. Les trois garçons,
fidèles à la tradition, malmènent la justesse. Le
reste de la distribution remplit honorablement son contrat.
La mise en scène déborde
d'idées et d'images, certaines très séduisantes. Elaborée
à partir de ces fameux modules blancs, qui se gonflent et se dégonflent,
s'assemblent, se désassemblent, s'élèvent ou se penchent,
elle joue sur les lumières autant que sur les attitudes. Les effets
visuels font rarement contresens et servent au mieux la poésie de
l'oeuvre. En vrac, on citera le serpent de mots, les matelas dressés
pour figurer les colonnes du temple qui tombent en cascade comme un jeu
de dominos, la pluie de balles, les trois garçons transformés
en spirale de feu...
Au final, contrairement à ce
qu'on avait entendu dire, pas de huées et même des applaudissements
nourris. Il n'est pas sûr toutefois que les enfants comprennent la
magie de l'opéra de Mozart et repartent émerveillés
comme le fut à une autre époque le petit Mortier. Il y a
ainsi des vocations qui ont pu naître et d'autres non.
Christophe RIZOUD