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Béla BARTOK (1881 - 1945)
LE CHÂTEAU DE BARBE-BLEUE
(A Kékszakállú herceg vára)
Opéra en un acte
Livret de Béla Balázs
Chanté en hongrois
Judith, Violetta Urmana
Barbe-Bleue, Peter Mikulas
Récitant, Örs Kisfaludy
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo
Direction Marek Janowski
Concert enregistré le 11 janvier 2004 à l'Auditorium
Rainier III de Monte-Carlo au profit de la Croix Rouge
Monégasque, pour les victimes du tremblement de terre de Bam en
Iran
1 Compact Disc ACCORD 442 8451
Durée : 59’04
Le monstre apprivoisé
Après un accueil mitigé lors de sa création en 1918 à Budapest, Le château de Barbe-Bleue
de Béla Bartok a redressé le tir et appartient
désormais au répertoire. Sa discographie en constitue la
preuve : une bonne dizaine de versions intégrables sont
disponibles aujourd’hui sur le marché ; peu
d’opéras du XXe siècle peuvent s’enorgueillir
d’un pareil score. Qui plus est, les références
abondent : Adam Fischer (1) parmi les plus récentes mais aussi Boulez (2), Kertesz (3)…
Dans un tel contexte, tout nouveau venu semble superfétatoire,
sauf à apporter sa pierre à l’édifice...
Marek Janowski et l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo,
enregistrés en public le 11 janvier 2004 à
l’occasion d’un concert de charité, jouent dans la
cour des grands. Sans écarter tout à fait le parti-pris
oppressant d’un Kertesz – le lent déroulement des
cordes graves combiné aux feulements d’Örs Kisfaludy
lors du prologue - voire la fièvre d’Antal Dorati (4)
au moment d’ouvrir la première et la cinquième
porte, le chef polonais refuse l’excès de brutalité
et privilégie la tempérance. Cette lecture, simple et
modérée, tout en respectant les impératifs du
théâtre, confère au conte un surcroît
d’humanité. Il existe bien sûr, chez d’autres
interprètes, de plus grandes beautés sonores. Les
arpèges liquides de la vallée des larmes saisissent ici
moins qu’ailleurs ; le pays de Barbe-Bleue semble moins
immense. Mais le drame trouve sa portée universelle. Les
protagonistes abandonnent leur état de personnage pour incarner,
indépendamment du temps et de l’espace, l’homme et
la femme confrontés à l’éternelle
difficulté d’aimer.
Peter Mikulas, tout comme Violetta Urmana, par leur
interprétation et leur format vocal, ajoutent encore à la
dimension humaine.
Lui, authentique basse - le rôle est parfois confié
à un baryton - apporte à Barbe-Bleue profondeur et
maturité. Calme, pour ne pas dire passif, un rien
paternaliste au début de l’œuvre, il se
révèle lors des adieux d’une
sincérité bouleversante. Le chant ample, le timbre sourd
rendent encore plus sensible la déchirure.
Elle lui objecte une Judith d’une intransigeante jeunesse, tendre
et sensuelle à la fois. La tessiture ambigüe du rôle,
mezzo-soprano ou soprano, ne pose aucune difficulté à
celle qui fut Lady Macbeth et Leonora
autant qu’Azucena. La voix, saine, homogène se
déploie naturellement sur les deux octaves impartis, du do grave
au fameux contre-ut, qui, pour frapper vraiment, aurait cependant
demandé un peu plus de souffle. A cet égard,
l’uppercut de Tatiana Troyanos (2) semble
indétrônable. Pour le reste, elle n’a rien à
envier à sa rivale, qualifiée en son temps de magnifique.
Difficile enfin, quand on ne parle pas le hongrois, de porter une
appréciation sur la prononciation des chanteurs, d’autant
plus essentielle que l’opéra de Bartok s’inscrit
dans la droite ligne de Pelleas et Melisande. Sur un plan
phonétique, le texte paraît intelligible. Il reste
à supposer que la nationalité de Peter Mikulas et
Violetta Urmana, respectivement slovaque et lituanienne, les rend plus
familiers que d’autres aux subtilités de la langue de
Balázs. A cette condition, le présent enregistrement
présente un portrait apprivoisé du Château de Barbe-Bleue qu’on prendra plaisir à accrocher sur l’une des parois de sa discothèque.
Christophe RIZOUD
Notes
(1) A. Fischer, E. Marton, S. Ramey, 1987
(2) P. Boulez, T. Troyanos, S. Nimsger, 1976
(3) I. Kertesz, C. Ludwig, W. Berry, 1966
(4) A. Dorati, O. Szönyi, M. Székely, 1962
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