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Wolfgang Amadeus MOZART (1756-1791)
COSI FAN TUTTE
Erin Wall, Fiordiligi
Elina Garanca, Dorabella
Stéphane Degout, Guglielmo
Shawn Mathey, Ferrando
Barbara Bonney, Despina
Ruggiero Raimondi, Don Alfonso
Arnold Schönberg Chor
Mahler Chamber Orchestra
Daniel Harding, direction
Patrice Chéreau, mise en scène
Richard Peduzzi, décors
Caroline de Vivaise, lumières
Enregistré au Festival d'Aix-en-Provence
du 7 au 23 juillet 2005
Durée : 179 min.
2 DVD Virgin 00946 344716 95
Cosi va Chéreau
A l'instar de Wieland Wagner, de Strehler ou plus
récemment de Py, Chéreau est l'un des rares metteurs en
scène d'opéra dont le nom peut à lui seul assurer
le succès – ou du moins l'intérêt –
d'un spectacle. On parle du Cosi DE Chéreau (et non du Cosi de Harding-Chéreau) comme on parle du Ring DE Chéreau, du Tristan DE Wieland ou des Nozze
DE Strehler. Reste à savoir si nous devons regarder cette
production comme un spectacle parmi d'autres, ou sommes-nous en droit
de demander plus à Chéreau – au risque d'être
plus exigeant et donc plus critique ?
Car il faut être honnête : si ce Cosi
avait été d'un autre, on aurait sans hésité
crié au génie. D'où nous vient alors cette
relative déception face à un spectacle pourtant d'une
grande cohérence et d'une parfaite fluidité ? D'une part
du fait que l'on attend toujours de Chéreau quelque chose
d'exceptionnel, de percutant. On attend de ses mises en scène
qu'elles nous révèlent les oeuvres sous un jour
totalement nouveau et nous bouleverse de manière quasi-physique.
Or Cosi n'est ni le Ring ni même Don Giovanni.
Aucune frénésie existentialiste, aucun débordement
mythologique, aucune démesure dionysiaque dans cette scuola degli amanti qui puisse enflammer les coeurs et les corps.
Il est au contraire ici question des intermittences du coeur dans tout
ce qu'elles ont d'impalpable, d'ineffable et d'indicible. Et
déjà au théâtre très charnel,
très physique de Chéreau se substitue un
théâtre d'attitudes, où les rapports de force
laissent place à des rapports humains autrement plus complexes,
plus subtils et plus infimes, où tout se dit en un regard, en
une posture, voire par la position (quasi géométrique)
d'un corps par rapport à un autre. A la quête
effrénée d'un Don Giovanni, à la haine vengeresse
d'une Brünnhilde répond ici la lente maturation de l'amour
de Dorabella pour Guglielmo, discrètement esquissé
dès l'entrée des deux Albanais, et qui s'affirmera peu
à peu au fil de l'intrigue, bien avant que le texte n'y fasse
allusion – et que la caméra scrute et souligne
admirablement.
Car s'il y a bien une qualité que l'on ne pourra nier à
cette production, c'est de réinventer à chaque instants
la narration d'une oeuvre que l'on connaît pourtant par coeur.
Loin de considérer les situations comme acquises, sous couvert
d'une certaine tradition ou d'une certaine convention
théâtrale, elle tente en contraire sans cesse de retrouver
les intentions et les motivations qui justifient, expliquent et
entraînent chacune des péripéties, chacun des actes
et des pensées des personnages. En anticipant – parfois
bien longtemps à l'avance – l'action sur le texte, les
situations semblent découler d'elles-mêmes et les gestes
ne semblent à aucun moment plaqués sur un dialogue
préexistant.
Manque alors ce je-ne-sais-quoi qui faisait la force des
« autres » productions de Chéreau et que
l'on ne retrouve que lorsqu'il auto-cite le final du Rheingold.
Impression accentuée par le décor de Peduzzi qui,
malgré sa grâce et son élégance, n'a pas
l'impact et la puissance de ses autres décors (ceux du Turn of the screw et de la Julie
présentés le même été à Aix
servaient autrement mieux les drames que les coulisses de
théâtre de Cosi, qui sont davantage un souvenir commun
– et là aussi une sorte d'auto-citation – qu'un
véritable élément de la mise en scène).
Peut-être est-ce en partie aussi la faute à Daniel Harding
qui prend trop au sérieux de bout en bout la partition, sans
distinguer la comédie menée par Alfonso du drame qui se
joue en parallèle ? Tout est pris au premier degré et les
fausses déplorations des Albanais ne se distinguent plus du
désespoir réel de Ferrando découvrant
l'infidélité de sa belle. Là encore, Cosi est loin de l'esthétique d'un Don Giovanni et si le chef anglais à fait merveille dans le dramma giocoso
du Burlador, il peine à trouver le ton juste de cette
comédie de la désillusion, en partie à cause d'une
direction trop nerveuse et trop rigide.
Écartelés entre ces deux esthétiques, les
chanteurs font ce qu'ils peuvent pour concilier exigences
théâtrales et musicales. Si dramatiquement aucun ne
démérite; vocalement, le couple Dorabella-Guglielmo aura
tôt fait de voler la vedette à Fiordiligi-Ferrando d'une
part (vite dépassés par leur rôle malgré un
chant toujours très propre et élégant) et
Despina-Alfonso (bêtes de scène mais dont les voix ne sont
plus que des vestiges). La complicité scénique d'Elina
Garanca et Stéphane Degout est palpable et le marriage des
timbre idéal. Ce sont les seuls en tous cas à pouvoir
prétendre à la comparaison par rapport aux illustres
artistes qui les ont précédés sur cette même
scène de l'Archevêché.
Finalement, ce qu'on pourra reprocher à Chéreau, c'est de
ne pas avoir fait du Chéreau, mais d'avoir repensé,
après plusieurs années d'absence, sa vision de
l'opéra pour l'adapter aux exigences de la pièce. Pour
qui veut voir du Chéreau, la déception sera
inévitable. Pour qui veut assister à un vrai moment de
théâtre à l'opéra, le bonheur sera constant,
faute d'être total.
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