ELVIDA
"Dramma serio per musica" en un
acte et trois tableaux
de Giovanni Schmidt, créé
le 6 juillet 1826 au Teatro San Carlo de Naples
Musique de GAETANO DONIZETTI
(1797-1848)
Amur, chef d'une tribu de Maures
(bar.) : Pietro Spagnoli
Zeidar, son fils (mezzo-sop.)
: Jennifer Larmore
Elvida, une noble et jeune Castillane
(sop.) : Annick Massis
Alfonso, prince castillan (tén.)
: Bruce Ford
Zulma, esclave d'Amur (mezzo-sop.)
: Anne-Marie Gibbons
Ramiro, officier d'Alfonso (tén.)
: Ashley Catling
Geoffrey Mitchell Choir, leader
: Pieter Schoeman
London Philharmonic Orchestra
Antonello Allemandi
Opera Rara ORC29 (1 Cd durée
: 65'47'')
Enregistré (sans public)
au "Henry Wood Hall" de Londres
En mars 2004
(Texte de présentation
en anglais,
résumé de l'intrigue
en français-italien-allemand ;
livret en italien et anglais)
Amur, chef d'une tribu de Maures
(bar.) : Massimiliano Fichera
Zeidar, son fils (mezzo-sop.)
: Maria Pia Moriyòn
Elvida, une noble et jeune Castillane
(sop.) : Cristina Pastorello
Alfonso, prince castillan (tén.)
: Daniele Gaspari
Zulma, esclave d'Amur (mezzo-sop.)
: Stefania Miotto
Ramiro, officier d'Alfonso (tén.)
: Luca Favaron
Orchestra e Coro Città
di Adria,
Maestro Concertatore e Direttore
:
Franco Piva
Bongiovanni GB 2370-2 (1 Cd
durée : 55'41'')
Enregistré au "Teatro
Comunale" de la ville d'Adria,
sans public, du 11 au 14 octobre
2004.
(Texte de présentation
et livret en italien et anglais)
Quel plaisir d'assister à une "course
à la résurrection", pour ainsi dire, puisque deux firmes
discographiques publient coup sur coup cette
Elvida, dix-huitième
opéra de Gaetano Donizetti. Ajoutant un charme à l'entreprise,
précisons qu'il s'agit de deux initiatives séparées,
puisque l'une est l'oeuvre de Christopher Moss, ayant préparé
le matériel vocal et orchestral pour Opera Rara, tandis que de son
côté, le chef d'orchestre Franco Piva réalisait une
édition critique pour l'enregistrement Bongiovanni.
Elvida est une oeuvre de circonstance qui devait voir le jour
à l'occasion de l'anniversaire de la reine-mère du Royaume
des Deux-Siciles, mais en partageant la soirée de grand gala avec
un interminable ballet en cinq actes ! Ceci explique la courte durée
de cet opéra en un seul acte, chose rare pour un opéra d'esprit
"serio". On remarque avec un étonnement heureux que ces dimensions
restreintes n'ont en rien nuit au génie donizettien qui a su à
merveille caractériser des personnages ayant pourtant d'autant moins
d'occasions de s'exprimer ! Un peu comme Maupassant dans dans ses nouvelles
parfois très courtes, mais toujours réussies, tant le grand
écrivain réussissait à "cadrer" personnages et situations.
Le sujet hispanisant pourrait bien être également une attention
pour la reine Maria Isabella, née dans une branche espagnole des
Bourbons. Il faut toutefois rattacher également ce choix, à
la mode de l'exotisme voulu par le Romantisme qui n'allait pas rêver
que dans les ruines de châteaux écossais perdus dans les brumes.
Pour ne rester que dans le riche éventail donizettien, l'exotisme
se fait sentir dans les Indes de Il Paria,
dans cette curiosité que constitue Il Furioso all'isola di San
Domingo, dans l'île de Majorque pour Chiara e Serafina,
le Portugal pour Olivo e Pasquale, Gianni da Calais et bien sûr
Dom
Sébastien et jusqu'à l'imaginaire royaume d'Alina
regina di Golconda ! Concertant la terre d'Espagne, comme dans La
Zingara, La Favorite ou la capiteuse Maria Padilla, on a aussi
tout un filon exploitant la thématique des Maures en tant qu'occupant
plus ou moins indésirable : Zoraida di Granata, Alahor in Granata,
Sancia di Castiglia et précisément Elvida.
Le trio de chanteurs qui créa l'oeuvre fut si estimé et
enthousiasma tant le public du XIXe siècle, qu'il passa à
l'histoire : il s'agissait en effet du ténor-phénomène
Giovanni Battista Rubini, du soprano Enrichetta Méric-Lalande et
de la basse Luigi Lablache. Ceci dit, ces gosiers d'or assumant des vocalises
passionnées renouvelées par l'élan propre au Romantisme,
doivent être pour beaucoup dans les maigres commentaires négatifs,
"liquidant" jusqu'ici la pauvre Elvida, comme une broderie de fioritures
vocales sans grand intérêt... et prouvant une fois de plus
le mal que peuvent faire les jugements hâtifs.
En fait, l'oeuvre est étonnante car jusqu'ici on connaissait
"le" Donizetti en un acte que pour des opéras-bouffes ou des farces.
Or Pigmalione étant plutôt une fable idyllique, voici
avec Elvida l'unique opera seria... sur soixante-dix ouvrages
scéniques ! Une oeuvre étonnante, disions-nous, car tout
s'imbrique, reste crédible à chaque pas : on va à
l'essentiel, avec une concision exemplaire, mais jamais les situations
ne sont pressées, forcées et Donizetti se paye même
le luxe d'un prélude avec clarinetto obbligato pour son dernier
tableau ! Prélude dont le fait qu'il ne soit seulement suivi que
d'une Scena pour Elvida et même pas d'une Romanza (air
sans cabaletta), désole l'excellent Jeremy Commons, donizettien
affectueux se doublant d'un fin critique, qui nous régale de ses
notes passionnantes dans la plaquette d'Opera Rara.
L'ornementation de la ligne vocale n'est à aucun moment surchargée
et ne tombe pas non plus dans la recherche artificielle du beau : la colorature
s'incrit dans l'expressivité et, à la limite, ajoute un petit
côté spectaculaire ou festif, alliant fort bien les capacités
exceptionnelles des chanteurs à l'aspect augural d'un gala d'anniversaire.
On retrouve avec plaisir l'incroyable capacité toujours renouvelée
du mélodiste Donizetti, mais aussi celle du ciseleur car on découvre
avec étonnement la première mouture, pourtant déjà
élégante, de certains airs devenus plus tard parfaits. C'est
le cas de la cabaletta, si belle de joie mélancolique, de
Lord Riccardo Percy au premier acte d'Anna Bolena, ici l'aria
de Don Alfonso (1). Le fameux quatuor
sur lequel Donizetti comptait, montre sa maestria habituelle des
ensembles concertants et sa stretta élégante et dramatique
à la fois, épurée du crescendo à la
Rossini, deviendra l'apothéose du Finale I° de son futur
Ugo
conte di Parigi. On découvre aussi avec surprise en l'air d'entrée
d'Elvida, celui de Corilla, la prétentieuse primadonna de
Le Convenienze ed inconvenienze teatrali ! On aurait pu le croire
écrit exprès pour cette parodie, tant il multiplie les fioritures
et donne l'impression d'un air excessivement élaboré... Précisément
: l'avoir transféré dans Le Convenienze, en forçant
habilement le trait pour que d'élaboré il devienne laborieux
(!), montre le flair de Donizetti sachant si bien se moquer de lui-même
et de son style -qui faisait pourtant sa gloire- et atteignant un sommet
d'autoparodie dans sa délicieuse Romanziera
e l'uomo nero.
Cet impressionnant et tout romantique recul sur lui-même nous
est confirmé par son avis, fort sévère, sur Elvida
précisément : "Ce n'est pas grand chose en vérité,
mais si je les surprends avec la cavatine de Rubini et le quatuor,
cela me suffit. Evidemment, dans les soirs de gala on ne fait pas très
attention."
Pourtant, ce soir-là, la famille royale et le San Carlo tout
entier furent attentifs et décrétèrent le succès
!
L'intrigue d'Elvida est simple : le tyran maure Amur s'est enfermé
dans une forteresse du royaume de Grenade où il retient prisonnière
Elvida, une jeune noble castillane dont il ne supporte plus la morgue.
Elle ne doit de rester en vie qu'aux instantes prières de Zeidar,
fils du tyran, épris de la belle Castillane. Quand se précise
l'attaque des assiégeants espagnols, conduits par le fiancé
d'Elvida, Don Alfonso, Amur la fait transférer par de sombres souterrains
dans une grotte reculée... où parviendra Don Alfonso, retrouvant
sa belle fiancée et une autre occasion d'exprimer sa magnanimité
avec tout le monde.
L'enregistrement Opera Rara (mars 2004)
Pietro Spagnoli, artiste fini, campe l'Amur idéal, l'animant
de détermination et d'assurance mais aussi d'élégance
et de panache. La voix sombre de Jennifer Larmore convient à merveille
aux personnages travestis qui abondent dans l'opéra romantique italien
et donc à l'amoureux transi Zeidar, qui bénéficie
en plus du métier de l'artiste. Son duo avec l'inflexible Elvida
est un régal pour les oreilles. En effet, la voix limpide et fraîche
mais veloutée et "charnue" d'Annick Massis surprend par sa qualité
et sa consistance croissante. L'intelligente artiste vibre mais avec une
attention et une belle précision dans les périlleuses ornementations,
offrant une remarquable colorature et une prononciation de l'italien toujours
en amélioration (car, curieusement, le fait d'être francophone
-et donc de parler une langue cousine- ne favorise pas une efficace prononciation
de la langue du chant et de l'opéra par excellence).
Bruce Ford, affirmant encore une fois brillant mais délicatesse
et une certaine chaleur, trouve heureusement son air dont il assume toute
la sensibilité et l'élégance.
Les rôles secondaires, tenus par Anne-Marie Gibbons et Ashley
Catling, sont à la hauteur des principaux, de même que l'impeccable
mais chaleureux "Geoffrey Mitchell Choir", instruit par Pieter Schoeman.
Tenant fermement en bride le "London Philharmonic Orchestra", Antonello
Allemandi veille à servir la délicate orchestration donizettienne,
tout en jouant le jeu de son romantisme flamboyant dans les moments dramatiques...
mais sans heureusement glisser du "brillant" au "bruyant", défaut
inhérent à certains chefs mais surtout à la froide
résonance des lieux d'enregistrements et des orchestres britanniques
!
L'enregistrement Bongiovanni (octobre 2004)
Massimiliano Fichera est un Amur au timbre plus "noir" et velouté
que celui de Pietro Spagnoli, attentif et scrupuleux, mais avec cette pointe
d'aisance en moins, lui retirant le panache du tyran ou du souverain sûr
de soi. Le mezzo-soprano Maria Pia Moriyòn retient déjà
l'attention par son timbre cuivré au bel émail et une technique
éprouvée lui permettant de vibrer avec son personnage de
Zeidar, par rapport à son père Amur, chantant fort bien mais
un peu impavide. Cristina Pastorello prête à Elvida son timbre
clair, mais moins fluide que celui de sa collègue, l'autre
Elvida. Si son vibrato se révèle plus sensible dans
l'aigu, et même un peu problématique parfois, elle n'en exécute
pourtant pas moins avec scrupule et efficacité ce rôle hérissé
de vocalises.
Privé de l'air d'Alfonso, le ténor Daniele Gaspari, un
peu pâle mais élégant et dans l'ensemble efficace,
rejoint pratiquement les rôles secondaires, bien tenus par Stefania
Miotto et Luca Favaron.
La cité d'Adria, située entre Padoue et Ferrare, dans
la province de Rovigo, ne possède pas que le mérite d'avoir
donné son nom à la Mer Adriatique, célèbre
pour offirir les plus belles plages d'Italie. Elle vit naître le
grand chef d'opéra (mais aussi de musiques de films !) Fernando
Previtali et possède un conservatoire intitulé à Antonio
Buzzola (1815-71), compositeur et chef d'orchestre estimé ayant
laissé notamment un Amleto (1848) et une Elisabetta di
Valois sur un livret de Piave (1850) - conservatoire ayant participé
à la résurrection de la partition, nous dit la plaquette.
Les valeureux "Orchestra e Coro Città di Adria" participent avec
enthousiasme à cette exécution, l'orchestre offrant cette
chaleur de cuivres inimitablement italienne - que Verdi vantait tant -
rachetant quelques éventuelles aigreurs des violons.
Franco Piva, auteur de la révision critique, fait ressortir la
poésie des instruments délicatement mis en avant par Donizetti,
comme on avait déjà pu l'apprécier dans sa concertazione
de La Romanziera e l'uomo nero,
publiée auprès de la même irremplaçable Casa
Bongiovanni.
Le donizettien passionné se précipitera sur les deux enregistrements,
celui qui veut avoir une idée de l'oeuvre se contentera du premier.
Yonel Buldrini
Notes
(1) Cet
air du ténor constitue apparemment un problème : selon Piero
Mioli dans la plaquette de l'enregistrement Bongiovanni, il serait absent
de la partition et n'est donc pas exécuté. Opera Rara ne
mentionne pas le problème et fait chanter un air par son ténor
! La grande marche et le choeur qui le précédent sont également
absents de l'enregistrement Bongiovanni, ainsi s'explique l'importante
différence de dix minutes entre les deux exécutions.
Commander ces CDs sur Amazon.fr