Un concert
chez Mazarin
La musique italienne
dans les collections françaises
du Grand Siècle
Oeuvres anonymes et de Giovanni
Battista BASSANI (ca 1657-1716), Maurizio CAZZATTI (ca 1620-1677), Giampaolo
CIMA (ca 1570-1622), Francesco FOGGIA (1604-1688), Niccolò FONTEI
( ? - ça 1647), Girolamo FRESCOBALDI (1583-1643), Claudio MONTEVERDI
(1567-1643), François ROBERDAY (bapt 1624-1680), Luigi ROSSI (ca
1597-1653) et Lodovico VIADANA (ca 1560-1627).
Philippe Jaroussky, contre-ténor
Ensemble La Fenice
Jean Tubéry, conception
et direction
Enregistrement réalisé
à l'orgue de tribune de
Saint-Michel en Thiérache
(solo et continuo)
Du 25 au 28 juin 2003
CD Virgin Veritas 7243 5 45656
2 5
Un concert pour Jaroussky
Qui, du ministre d'Anne d'Autriche et mécène éclairé
ou du contre-ténor à la voix miraculée, va retenir
l'attention des branchés comme des baroqueux avides de sensations
nouvelles ? Le second, à n'en pas douter ! Depuis une furtive apparition
à la télévision - quelques images d'une répétition
de l'Incoronazione di Poppea sous la direction de Jean-Claude Malgoire
(Musiques au Coeur) - jusqu'aux récentes Victoires de la Musique,
la carrière de Philippe Jaroussky a connu une ascension fulgurante...
et prévisible. Forum Opéra n'a d'ailleurs pas attendu qu'il
soit propulsé sous les feux de la rampe pour attirer l'attention
sur ce chanteur hors du commun [lire son interview
et la critique de son récital
au Palais Royal]. Après un premier et remarquable enregistrement
consacré à Benedetto Ferrari (Musiche varie, chez
Ambroisie) qui témoignait d'une curiosité et d'une exigence,
hélas, plutôt rares chez les jeunes chanteurs, Philippe Jaroussky
et ses complices de la Fenice mettent aujourd'hui en lumière une
page essentielle de l'histoire du Grand Siècle.
Chacun sait que Mazarin a joué un rôle considérable
dans la diffusion de la musique italienne en France - son départ
devait coïncider avec la disgrâce d'artistes transalpins qu'il
avait invités et protégés. Pourtant, ce que l'histoire
de la musique enseigne, le disque et le concert ne le montrent guère.
Cet album s'attache moins aux oeuvres données à la cour et
à la chapelle royale alors que le cardinal dirigeait les affaires
du royaume (on songe notamment à l'Orfeo de Rossi et aux
opéras de Cavalli) qu'à celles qui sont entrées au
répertoire et conservées dans les collections françaises.
Jean Tubéry a puisé dans le célèbre recueil
de Sébastien de Brossard, mais également dans les rayons
précieux des bibliothèques de Paris (Sainte-Geneviève,
manuscrit Bauyn...), Toulouse, Carpentras et Strasbourg. Le concert aligne
ainsi des tubes (la passacaille de Rossi, "La Monica") et des pièces
nettement plus rares (Laudate Pueri de Fontei) qui mériteraient
quelques mots d'introduction. La notice, pour le moins sommaire, ne dit
rien des oeuvres ni des compositeurs, qui ne sont certainement pas tous
familiers du mélomane, même éclairé (Fontei,
Cima, Foggia, Turini, Viadana). Jean Tubéry, qui exhumait il y a
trois ans son oratorio La morte delusa (dans lequel s'illustrait
déjà Philippe Jaroussky), doit pourtant savoir que les enregistrements
consacrés à Giorgio Bassani n'encombrent pas le catalogue
! Sa cantate pour voix seule et deux dessus "In caligine umbrose" constitue
un des sommets du programme. A la fois virtuose et très expressive,
riche en contrastes (de la violence du désespoir aux soupirs les
plus languissants), elle quintessencie cette mélancolie amoureuse
- "pour celui qui aime les larmes sont des victoires" - chère au
baroque et où la morbidezza du contre-ténor envoûte
l'auditeur.
Bien avant l'apparition du violoncelle, le cornet à bouquin était
perçu comme l'instrument le plus proche de la voix humaine. Sceptiques
? Découvrez alors l'alchimie troublante des timbres dans le motet
de Francesco Foggia "O quam clemens", duo extatique, mais orant à
souhait. Sa plasticité ne laisse pas d'étonner, mais légère
et trop moelleuse, la voix du contre-ténor manque parfois d'impact
(et d'assises dans les graves), peinant à traduire les éclats
du motet de Cazzatti "Acclamate de terra" et ses clairs-obscurs, sans doute
mieux rendus par l'organe plus charnu et coloré d'un mezzo (Gloria
Banditelli l'a donné en concert, avec la Fenice). En revanche, le
naturel et la justesse de l'expression dans l'exercice périlleux
du chant a cappella ("Bienheureuse est une âme"), confirment
l'exceptionnelle musicalité de l'interprète. Une des plages
les plus séduisantes de l'album réunit le basson feutré
de Jérémie Papasergio et les cornets tour à tour mutins
et caressants de Gebhard David et Jean Tubéry : le "capriccio et
ciaccona" de Cazzatti est un de ces morceaux irrésistibles et obsédants
qu'on ne peut s'empêcher de réécouter immédiatement
avant que le charme ne dissipe.
Alors bien sûr, il se trouvera toujours l'un ou l'autre puriste
pour crier à l'hérésie. Certes, "à l'époque"
un contre-ténor n'aurait probablement jamais eu la chance de se
produire en soliste devant un public qui méprisait le fausset et
ne jurait que par les ténors hautes-contre - et encore, d'aucuns
ne les trouvaient pas assez mâles ! -, mais le timbre insolemment
frais et suave de Jaroussky n'évoque guère les "voce finte"
tant décriées par Caccini, mais bien la pureté juvénile
cruellement soustraite au cours naturel des choses dans la patrie de Giulio
Mazarini. Ce n'est pas un hasard si le livret convoque la figure du contraltiste
Atto Melani, dont l'homme d'état fit son espion, et rappelle l'admiration
d'un Maugars pour les castrats italiens, "incomparables et inimitables".
On se prend dès lors à imaginer Philippe Jaroussky dans le
répertoire de Melani et de ses compatriotes exilés, prêtant
ses joues roses à l'Amour (l'Amour malade de Lully), sa taille
svelte au très convoité Arsamène (Xerses de
Cavalli) ou ses aigus éthérés aux Sept versets
que Couperin destinait à Mazza et Paccini...
Bernard SCHREUDERS
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