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Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Ariodante
Qui d’amor
T’amerò dunque – Aria : Con l’ali di costanza
Scherza infida
Dopo notte
Giulio Cesare
Svegliatevi nel core
Cara speme
L’angue offeso
Arianna in Creta
Sdegnata sei
Oh patria ! – Sol ristoro
Salda quercia
Qual leon
Ove son – Aria : Qui ti sfido
Angelika Kirchschlager, mezzo-soprano
Kammerorchester Basel
Laurence Cummings, direction
Enregistré à Basel du 11 au 15 août 2006
1 CD SONY – 82876889522- 67’41’’
Quand Chérubin roule des mécaniques
L’erreur de casting se devine dès la pochette : quel
rapport y a-t-il entre cette jolie femme qui valse dans un salon
viennois et les héros de Haendel ? Le livret est à
l’avenant, qui se feuillette comme un magazine de mode où
la belle Angela se promène dans le musée Liechtenstein,
un sourire aux lèvres, ouvre une porte, minaude et aguiche
l’objectif (le déshabillé de la quatrième
page !), éclate de rire ou prend la pose avec un ange… en
levant les yeux au ciel (très subtil). Sony espère sans
doute attirer les chalands en reproduisant ainsi le cliché
d’une féminité gracieuse et frivole. Il
paraît qu’on mange avec les yeux, alors pourquoi
n’écouterait-on pas aussi en dévorant du
regard ? Après tout, les œillades des stars nous y
invitent. Et cette image de la femme coquette et souriante a quelque
chose de rassurant, oui, mais elle pourrait tout aussi bien agacer et
rebuter le vrai mélomane. Comme dirait Christine Ockrent,
pourquoi les femmes devraient-elles toujours arborer un sourire
béat, sinon pour se conformer au rôle dans lequel une
société machiste voudrait les confiner ? Fermons la
parenthèse et revenons-en à la musique : ce sourire,
cette légèreté, cette candeur affichées se
retrouvent également dans la voix d’Angelika
Kirchschlager. C’est bien sûr là que le bât
blesse.
La chanteuse porte à merveille le pantalon chez Mozart
(Cherubino) ou Strauss (Oktavian), mais Ariodante et Teseo exigent une
tout autre carrure, une projection arrogante et une ivresse contagieuse
dans la vocalise, sans parler d’un sens aigu du pathos
(« Scherza infida »). Au micro de France
Musique (1), Christophe
Rousset soulignait le caractère lunaire et poétique du
rôle d’Ariodante, ce n’est pas faux, certes, mais il
n’en constitue pas moins l’une des parties les plus ardues
de tout l’opéra haendélien. De son créateur,
le castrat Giovanni Carestini, Burney écrit :
« [il] avait une voix de
soprano forte et claire, qui se transforma ensuite en une vraie voix de
contralto d’une rondeur, d’une beauté et d’une
profondeur sans pareilles [sa voix a déjà baissé lorsqu’il arrive à Londres et rencontre Haendel] […] comme
Farinelli et les chanteurs de l’école de Bernacchi, il
exécutait avec une facilité prodigieuse les diminutions
depuis la poitrine ; il variait et ornait habituellement les
passages avec le plus grand succès, même s’il lui
arrivait de verser dans l’extravagance et les
dérèglements. Son jeu, comme son chant, était
admirable et plein de feu ». La plénitude de
graves charnus, l’aisance dans la virtuosité :
c’est exactement ce que demandent la plupart des airs retenus
pour cet album et c’est aussi, hélas, ce qui fait
cruellement défaut au mezzo clair et poids plume
d’Angelika Kirchschlager. Aucun travestissement ne peut masquer
cette inadéquation fondamentale. Cependant, la diva ne veut rien
entendre et force ses moyens naturels, comme en témoignent la
sécheresse du timbre, qui perd tout velours, et ces aigus
tirés que multiplie une ornementation malheureuse (le grisant
« Dopo notte » en devient pénible). Il
semble que sa récente prise de rôle au Théâtre des Champs-Élysées n’ait pas davantage convaincu.
C’est vraiment dommage, car la mezzo autrichienne aurait pu
trouver son bonheur – et assurer le nôtre – chez
Haendel. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter
ce « Care speme » tendre à souhait ou de
céder à ce « Qui d’amor » non
moins charmeur. Les contre-emplois étonnent d’autant plus
qu’elle fait preuve de goût et de curiosité en
abordant la trop rare Arianna in Creta.
Cet ouvrage longtemps négligé recèle de vraies
splendeurs comme le « Sol ristoro » de Teseo,
fugace et magique, ou l’aria d’Alceste « Son
qual stanco Pellegrin » (2),
avec violoncelle obligé, une des plus belles pages jamais
écrites par Haendel et qui mériterait amplement de
figurer dans les récitals aux côtés des
« Cara sposa » et « Scherza
infida » si souvent donnés. Notre Chérubin
aurait été bien inspiré de l’enregistrer
plutôt que d’affronter vainement les acrobaties
taillées sur mesure pour un gosier exceptionnel !
Les airs de Sesto, écrits pour la Durastanti, tombent davantage
dans ses cordes et la trouvent même en verve.
L’expérience de la scène fait sans doute la
différence. Pour nous réconcilier avec Angelika
Kirchschlager, mieux vaut d’ailleurs se tourner vers cette
magnifique production du tandem Christie/McVicar créée
à Glyndebourne en 2005 (OPUS ARTE) et que l’Opéra de Lille reprendra en mai avec une autre distribution.
Bernard SCHREUDERS
(1) Le 24 mars, lors de la retransmission de l’Ariodante qu’il dirigeait le mois dernier au TCE.
(2) Sandrine Piau l’a aussi enregistré (Haendel opera seria, Naïve, 2004), mais l’interprétation de Theodora Baka (Arianna in Creta,
intégrale, MDG, 2006), jeune mezzo grecque, est nettement plus
habitée et le solo du violoncelliste, Florin Gaureanu,
d’un lyrisme extraordinaire !
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