Jacques OFFENBACH (1819
- 1880)
LA GRANDE-DUCHESSE
DE GEROLSTEIN
Opéra-bouffe en 3 actes
& 4 tableaux
Livré de Henri Meilhac
& Ludovic Halévy
Edition critique de Jean-Christophe
Keck (version originelle)
OEK - Editions Boosey & Hawkes,
Bote & Bock, Berlin
La Grande Duchesse : Felicity
Lott
Wanda : Sandrine Piau
Fritz : Yann Beuron
Le Baron Puck : Franck Leguérinel
Le Prince Paul : Eric Huchet
Le Général Boum
: François Le Roux
Le Baron Grog : Boris Grappe
Népomuc : Alain Gabriel
Iza : Maryline Fallot
Olga : Blandine Staskiewiecz
Amélie : Aurelia Legay
Charlotte : Jennifer Tanni
Le Notaire : Christophe Grapperon
Choeur des Musiciens du Louvre
Les musiciens du Louvre - Grenoble
Direction : Marc Minkowski
Enregistrement studio réalisé
au Théâtre Musical de Paris-Châtelet parallèlement
aux représentations données en décembre 2004
2 Compacts Discs 7243 5 45734
2 2
CD 1 : 76.22 - CD 2 : 67.54
Virgin Classics
Egalement disponible - DVD 310239
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La Gerolstein live uncensored !
Machiavélique, le Théâtre du Châtelet propose
avec cet enregistrement de La
Grande Duchesse de Gerolstein, représentée en ses
murs il y a un an, l'antidote au venin wagnérien qu'il secrète
cette saison. L'énergie jubilatoire de Jacques Offenbach dissipe
allègrement les brumes germaniques. L'auditeur plongé dans
un bain d'euphorie plutôt que dans l'eau froide du Rhin abandonne
sans hésitation Wotan à ses tourments, oublie les fioles
empoisonnées et les philtres magiques pour empoigner joyeusement
le "grand verre" de l'aïeul. Grisés, trinquons avec lui, "tournons
et valsons comme des toupies, comme des tontons" mais tâchons cependant
de garder un brin de lucidité afin d'émettre un avis objectif.
Réjouissons-nous d'abord de la restitution intégrale de
la version originelle, établie par les soins précieux de
Jean-Christophe Keck. Elle justifie à elle seule l'achat de ce coffret
en révélant des pages entières de musique effacées
par l'histoire. Le soir de création, le 12 avril 1867, après
avoir réservé un bon accueil au premier acte, le public tempère
finalement son enthousiasme, décontenancé par la bouffonnerie
outrancière du "carillon de la Grand-mère" et surtout glacé
par les paroles sanglantes (1) du choeur de la conjuration.
Sans perdre de temps, Offenbach et son équipe pratiquent judicieusement
les "betites coupures" qui inverseront la tendance et conduiront la pièce
au succès que l'on connaît. L'Europe entière se précipitera
aux Variétés, le tsar télégraphiera avant même
d'arriver à Paris pour retenir sa loge et Hortense Schneider, la
créatrice du rôle, y gagnera son surnom de "Passage des princes".
Le retour à la première mouture rétablit notamment
le finale du deuxième acte dans son intégralité (près
de 10 minutes de musique), le choeur des rémouleurs, la méditation
de La Grande Duchesse, bref un grand nombre de passages délicieux
que l'on se réjouit de retrouver (pour ceux qui ont assisté
aux représentations de la saison dernière) ou de découvrir
(pour les autres). Car, si à la scène, cette version complète
continuait de démontrer, plus de cent trente ans après, ses
faiblesses dramatiques, au disque, en revanche, le problème ne se
pose pas ; elle passe comme une lettre à la poste.
Respirons le souffle que donnent Les musiciens du Louvre à la
partition. Sous la baguette de Marc Minkowski, elle pétille, menée
tambour battant mais débarrassée des lourdeurs martiales
qu'une mauvaise image d'opérette militaire lui avait accolées.
Gaie, fluide, légère, voire frénétique dans
le cancan du carillon, elle sait aussi reprendre haleine et se nimber de
grâce et poésie quand il s'agit d'évoquer les blessures
du coeur, car, malgré tout, "oui, général, quelqu'un
vous aime". Oui, le comique débridé de Jacques Offenbach
se teinte volontiers de nostalgie ; le chef et son orchestre heureusement
ne l'oublient pas.
Applaudissons l'esprit qui anime l'interprétation de l'oeuvre,
la drôlerie dépourvue de vulgarité, le talent des acteurs
avant d'aborder celui des chanteurs. Les répliques entre les plages
musicales sonnent justes et naturelles ; on n'est pas tenté, comme
souvent, d'appuyer sur le bouton de la télécommande dès
que les personnages prennent la parole. Au contraire même, on se
surprend à savourer leurs échanges.
Apprécions, quand la musique reprend ses droits, la qualité
de la diction de tous les interprètes, sans exception, la part belle
faite aux mots derrière le chant, cette manière de leur rendre
justice, de soigner le sens pour que toujours ils fassent mouche.
Retrouvons à la virgule près la distribution du Châtelet
avec ses qualités, la belle Olga de Blandine Staskiewicz, le sensible
Prince Paul de Eric Huchet et sa tendre gazette de Hollande, le noble baron
Puck de Franck Leguérinel, le séduisant Fritz surtout de
Yann Beuron auquel manque certes un brin d'éclat mais dont la bonhomie
sémillante colle exactement aux basques du général
en chef. Distribution avec ses qualités mais aussi ses défauts
même si le studio les compense un peu...
Regrettons alors que Felicity Lott et François Le Roux ne possèdent
pas exactement le profil vocal de leurs personnages, l'une et l'autre gênés
à la tessiture. Le rôle du Général Boum se doit
de posséder plus de sonorité dans les basses pour que le
trio qu'il forme avec le ténor Paul et le baryton Puck soit complet.
Sinon, comme ici, l'histoire du Comte Max Sedlitz de Calenbourg ne semble
pas assez sombre, le "Pif, paf, pouf" ne tonne pas. De même, il faut
un grave solide et un médium charnu pour exprimer l'avide sensualité
de la Grande Duchesse ; la meilleure comédienne du monde ne peut
hélas donner que ce qu'elle a.
Déplorons aussi que Sandrine Piau campe une Wanda bien terne
quand ses airs d'opéra de Haendel,
(2)
lumineux, laissaient espérer un tout autre piquant.
Mais ne boudons toutefois pas notre plaisir. Quels que soient les reproches
formulés, il n'existe pas aujourd'hui de solution idéale.
L'enregistrement de Michel Plasson, porté par le duo gagnant Crespin,
Vanzo reste mieux chantant, mais ne possède ni la même vitalité,
ni évidemment la même exhaustivité. Alors, pour finir,
obéissons à La Grande Duchesse : "Quand on n'a pas ce que
l'on aime il faut aimer ce que l'on a".
Christophe RIZOUD
Notes
(1) "un homme sous vos coups doit périr...
avec ce qui coupe ou qui pique... la lame assassine entrant par la poitrine,
avec le bras dispos, sortira par le dos". Il s'agit d'une parodie de la
bénédiction des poignards à l'acte IV des huguenots
de Meyerbeer. Le "Pour cette cause sainte, j'obéirai sans crainte"
proféré par Saint-Bris est d'ailleurs presque repris mot
pour mot par Meilhac et Halevy : "Oui, pour cette cause sainte, frappons
sans crainte".
(2) Haendel : opera
seria paru chez Naïve en 2004.
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