Anne Sofie
von Otter
chante Offenbach
Jacques OFFENBACH (1819-1880)
Airs et scènes de
La Grande Duchesse
de Gérolstein
Fantasio - Le
Carnaval des Revues
Madame L'Archiduc
- Les Contes d'Hoffmann
La Belle Hélène
- Barbe-Bleue - Lischen et Fritzchen
La Vie Parisienne
- La Fille du Tambour Major
La Périchole
Anne-Sofie von OTTER,
mezzo-soprano
et Magali LÉGER,
Stéphanie D'OUSTRAC,
Gilles RAGON, Jean-Christophe
KECK,
Jean-Christophe
HENRY,
Christophe GRAPPERON,
Laurent NAOURI
Choeurs et Orchestre
des Musiciens du Louvre-Grenoble
Direction : Marc
MINKOWSKI
Enregistrement public
au Théâtre du Châtelet
Décembre
2001
CD Deutsche Grammophon
n° 501 - 2 - 32
La Grande Duchesse, la Veuve,
la Fille du Tambour Major et la Reine des neiges
On se souviendra longtemps de ce mémorable concert
du 22 décembre 2001 au Théâtre du Châtelet,
à quelques jours de Noël...
Certes, la verve de Minkowski et des Musiciens du Louvre dans Offenbach
était connue et reconnue - on les avait déjà vus à
l'oeuvre dans Orphée aux Enfers et La Belle Hélène.
Par contre, on s'attendait moins à celle de von Otter dans un tel
répertoire.
La présence de cette haendélienne, mozartienne et straussienne
accomplie, entre autres vertus, pouvait sembler incongrue dans un concert
a priori aux antipodes de sa personnalité.
Eh bien, contre toute attente, le pari fut gagné et cette divine
musicienne nous donna à entendre un Offenbach tour à tour
touchant, désopilant, malicieux, coquin, irrévérencieux
parfois... On savait qu'elle avait de l'humour et du mordant - témoin
son Octavian d'anthologie à Bastille - mais à ce point !
Elle sut, surtout, chanter Offenbach de manière raffinée,
avec quelque chose à la limite de la préciosité, très
"Second Empire", ce qui relève de la prouesse chez une cantatrice
suédoise, j'allais presque dire "d'origine suédoise", car
sa connaissance approfondie du répertoire français, ses fréquents
concerts et récitals en France et surtout à Paris, font pratiquement
d'elle une "Française, voire une parisienne d'honneur", en quelque
sorte...
Le titre initialement prévu pour ce disque n'était-il
pas "Ma vie parisienne" ? Il est d'ailleurs dommage qu'il ait été
changé pour "Von Otter chante Offenbach", plus banal et passe-partout.
Outre cette ébouriffante lecture d'Offenbach par la délicieuse
mezzo, cette soirée avait également le mérite, non
négligeable, de présenter, à côté de
morceaux très connus, comme les airs, duos et ensembles de La
Grande Duchesse de Gerolstein, de La Belle Hélène, de La
Vie Parisienne, des Contes d'Hoffmann et de La Périchole,
des oeuvres rares et précieuses : les jolis couplets de Boulotte
dans Barbe-Bleue et les délicates strophes de Fantasio,
sans oublier la scène délirante du Carnaval des Revues
avec un Laurent Naouri survolté et le cocasse duo des Alsaciens
de Lischen et Fritzchen par Naouri et von Otter, renversant de béatitude
idiote et finalement presque touchant par sa naïveté, aidé
en cela par l'intelligence et la finesse des interprètes.
Enfin, c'était un bonheur d'entendre des bijoux comme les Souvenirs
d'Aix-les -Bains, suite de valses pour orchestre créée
au Casino d'Aix les Bains en 1873 et surtout l'Ouverture à Grand
Orchestre, créée à Cologne en 1843, qui nous montrent
un Offenbach inhabituel, lyrique, nostalgique, et d'un romantisme rappelant
Weber.
Il faut dire que ce concert avait été concocté
sous la houlette éclairée de Jean-Christophe Keck, qui a
entrepris avec le concours des éditions Boosey and Hawkes, la tâche
monumentale de publier une édition complète de l'oeuvre d'Offenbach
et de rendre enfin accessibles au public, dans leur version originale,
des merveilles musicales injustement négligées ou jusqu'alors
défigurées. On lui doit, entre autres, la nouvelle édition
des Fées du Rhin, dont la
création, cet été à Montpellier, a constitué
un véritable événement.
En un mot, il y avait dans ce concert quelque chose de festif, de joyeux,
de léger et de jubilatoire qui sera à jamais inoubliable.
Bien sûr, comme c'est bien souvent le cas aujourd'hui, où
l'on a tendance à tout "formater", le transfert de cette soirée
sur disque n'a pas conservé la totalité de cette ambiance
si rare : ni les applaudissements, ni les rires, sauf dans l'Air de la
Griserie, à la fin, ni le petit raté du concert où
l'on vit von Otter faire une fausse entrée dans cet air, précisément
(la captation radio et la vidéo passée sur Arte en ont conservé
la trace) et reprendre avec un charmant "encore une fois, s'il vous plaît"
adressé au maestro comme si elle l'avait fait exprès,
par caprice ou par ébriété, la Périchole étant
un peu grise, grise, grise...
Mais la quasi totalité de cette belle soirée est là,
ou presque, avec ses joyaux chatoyants... Et tant pis pour les esprits
chagrins qui, l'an dernier, avaient fait la moue, et à propos d'Offenbach
et à propos de von Otter... Tel quel, ce concert électrisant
mériterait de représenter la France dans le monde entier
pour montrer qu'on peut chanter et diriger Offenbach avec noblesse, délicatesse
et légèreté.
Tour à tour charmeuse, libertine, mélancolique, dominatrice,
von Otter, qui ne sombre jamais dans la vulgarité, nous fait espérer
avec impatience de l'entendre un jour dans La Belle Hélène
et
La Grande Duchesse, in extenso. Qui sait ?
Si l'on avait quelque doute sur les capacités de cette "Française
d'adoption" à jongler avec notre langue, il faut l'écouter
dans les couplets de l'alphabet de Madame l'Archiduc et l'air de Stella,
dans La fille du Tambour Major : "Car je sens sous ce vêtement
battre le coeur d'une Française" chante-t-elle en brandissant le
drapeau avec fougue et panache...
Le public ne s'y trompe pas en lui renvoyant avec chaleur et enthousiasme
sa passion pour la France et sa musique.
Ses compagnons de route dans cette traversée pleine de surprises
et de ravissements ne furent pas en reste : le vaillant Gilles Ragon, la
charmante Magali Léger, la belle Stéphanie d'Oustrac, à
la voix presque trop sombre pour chanter la partie soprano de la Barcarolle
des Contes d'Hoffmann (von Otter eut sans doute pu chanter la partie
de Giulietta et d'Oustrac celle, plus grave, de Niklausse), le formidable
Laurent Naouri, sans oublier l'inénarrable trio masculin du sextuor
de l'alphabet de Madame l'Archiduc : Christophe Grapperon, Jean-Christophe
Keck lui-même, avec une mention spéciale pour Jean-Christophe
Henry, campant également un amusant Raoul de Gardefeu de La Vie
Parisienne.
Comme toujours, le choeur des Musiciens du Louvre s'est montré
excellent et Marc Minkowski a fait briller son orchestre de mille feux...
Un léger regret, cependant : contrairement à la bande
radio et à la vidéo d'Arte, le disque ne nous offre pas le
dernier bis, à savoir le galop final d'Orphée aux
Enfers - salué par une pluie de confettis et une salle en délire.
Espérons que le DVD nous rendra enfin TOUTE la soirée...
De toute façon, face à ce disque qui est au demeurant
un bel objet, il n'est pas question de bouder son plaisir. Il convient
donc de remercier Anne-Sofie von Otter, Marc Minkowski, son orchestre et
tous ces artistes de nous avoir renvoyé dans le miroir, pour un
soir, une image moins sinistre que celle que le monde nous offre en permanence
: une image joyeuse, insouciante, espiègle, qui fait un pied de
nez au destin.
Vive donc Offenbach, qui nous apprend que même dans les moments
les plus noirs, l'humour, la poésie et la fantaisie peuvent constituer
notre seule sauvegarde.
Juliette Buch
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