WATER
COLOURS
A swedish
recital
Anne Sofie von Otter, mezzo
soprano
Bengt Forsberg, piano
détails
1 CD DG - 474 700 - 2
Durée totale : 72'56
COMME UN ENTÊTANT PARFUM D'ASPHODÈLES...
La Suède, comme nous l'avions écrit lors de la Biennale
d'Art Vocal qui s'était tenue en 2003 à la Cité
de la Musique, est un "pays chantant" : nombre d'artistes lyriques y sont
nés, et non des moindres. Il n'y a donc rien d'étonnant à
ce que bien des compositeurs suédois aient écrit pour cet
instrument à la fois fragile et passionnant qu'est la voix.
En 1996, déjà, Anne Sofie von Otter et Bengt Forsberg
avaient gravé un premier disque intitulé "Wings in the Night"
(CD 449 189-2) avec des oeuvres de compositeurs de la seconde moitié
du dix-neuvième siècle. On en retrouve deux à l'affiche
de ce nouvel album : Ture Rangström et Hugo Alfvén.
Il est clair que "Water Colours" se démarque du précédent
par une tonalité plus sombre : "Nous nous sommes attachés
à des oeuvres plus graves, plus profondes. Les textes parlent en
effet souvent de la solitude, de la mort" dit Anne Sofie von Otter. Autant
"Wings in the Night" baignait dans une atmosphère plus élégiaque,
romantique et bucolique, avec des inspirations issues souvent du folklore,
autant "Water Colours", plus "contemporain", noir, désespéré,
plus monochrome, à la fois minéral et liquide, semble le
reflet un peu secret de l'évolution de l'artiste.
Et c'est bien une impression mélancolique, un peu morbide, voire
mortifère que l'on ressent à l'écoute de cet enregistrement,
comme si l'on voyait passer, au fil du courant, les jeunes noyées
mortes trop tôt, telle la belle Ophélie chantée par
von Otter dans son disque Berlioz (La Mort d'Ophélie)...
à l'image d'une des photos de l'album qui représente une
couronne de fleurs des champs flottant sur l'eau.
Parmi les compositeurs de ce programme, d'une époque plus tardive
(globalement de la fin du dix-neuvième siècle aux années
cinquante), on remarque Gösta Nystroem, auteur de nombres oeuvres
sur la mer : Ishavet, poème symphonique ("La mer arctique"),
Sinfonia del Mar, Sänger vid Havet ("Chants de la Mer"). Il
n'est sans doute pas inutile de préciser que cet élève
de Vincent d'Indy était également peintre et la mer, son
sujet favori. La mezzo considère d'ailleurs que les mélodies
de Nystroem, retenues pour cette anthologie, en constituent le sommet.
Gunnar de Frumerie, qui étudia avec Cortot, écrivit aussi
un cycle de "Chants Persans" et un opéra, Singoalla, enregistré
avec Anne Sofie von Otter dans le rôle-titre en septembre 1985 (Caprice
Records N° 22023).
Enfin, Hugo Alfvén, qui fit également des études
de peinture, est l'auteur du célèbre Skogen sover ("La
forêt s'endort"), présent sur "Wings in the Night", et d'une
oeuvre symphonique réputée : Midsommarvaka.
Malgré une influence allemande indiscutable, il y a quelque chose
de typiquement suédois dans ces mélodies : leur tristesse,
leur passion, leur violence parfois, leur caractère direct, en particulier
dans la manière de parler de l'amour, plus physique, plus "brutale"
que le romantisme allemand qui "enrobe" les choses de façon plus
diffuse. Le rôle des textes y est essentiel, souvent dus à
la plume d'écrivains de haute volée, comme Bo Bergman, Pär
Lagerkvist, sans oublier August Strindberg dont la violence et la richesse
ont profondément influencé le cinéaste et metteur
en scène Ingmar Bergman.
Il va sans dire que ce disque est passionnant, tant le tempérament
de la chanteuse, son timbre chatoyant, son art incomparable de la coloration,
s'adaptent de manière quasiment viscérale à la musique
et aux textes de ces oeuvres, aussi bien dans l'élégie et
la demi-teinte que dans la violence sarcastique et la passion amoureuse
presque carnassière !
Comme toujours, Bengt Forsberg est le compagnon idéal de ce parcours
à la fois déroutant et fascinant.
On peut donc rendre grâce à cette chanteuse hors du commun
d'avoir une fois de plus choisi de sortir des sentiers battus pour nous
faire découvrir cet univers souvent sombre, parfois ironique, violent,
à l'image de sa personnalité complexe et troublante.
Von Otter déplore d'ailleurs que les compositeurs suédois
n'écrivent pratiquement plus pour le chant et le piano et préfèrent
utiliser la voix dans le cadre d'une oeuvre orchestrale, comportant ou
non des choeurs, ou d'un opéra. (N'oublions pas qu'elle créa
le rôle de Sorl du Staden de Sven-David Sandström, en
septembre 1998 dans le cadre de "Stockholm, capitale européenne
de la Culture").
Un petit bémol, cependant, lié à la présentation
du disque : contrairement à "Wings in the Night", dont le livret
offrait les traductions des textes en anglais, allemand et français,
"Water Colours" ne propose que la traduction anglaise. Dommage.
Juliette BUCH
P.S. : Pour les lecteurs qui souhaitent approfondir leur connaissance
de ce vaste répertoire, ajoutons que des trésors sont disponibles
chez Naxos, Bis et Caprice Records.
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