Maurice Ravel
un dossier proposé par Catherine Scholler
 
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L'Enfant et les Sortilèges
Discographie comparée

par Jean-Christophe Henry

 


Discographie comparée

L'Enfant et les Sortilèges est une oeuvre qui a toujours attiré les chefs d'orchestre : beauté infinie de l'orchestration, grande théâtralité du livret, aspect ludique du sujet et multiplicité des atmosphères en font une pièce lyrique majeure du répertoire. De plus, les opéras "pour enfants" font généralement de bonnes ventes, donc les maisons de disque ont très tôt voulu inscrire l'oeuvre à leur catalogue. Malheureusement, la réussite de cette "fantaisie lyrique" est une alchimie complexe et plusieurs grands noms de la baguette s'y sont cassé les dents. De nombreux paramètres doivent entrer en compte dans l'édification de ce fragile édifice, le plus important étant la diction ; le texte de Colette, plein d'humour et de nuances, ne supporte aucun accroc pour que la magie opère. Beaucoup de grands chanteurs et surtout de choeurs prestigieux ont manqué de rigueur face à une oeuvre apparemment facile. Les tessitures ravéliennes sont ici souvent hors norme : contre-fa pour le ténor, contralto plus que caverneuse ou cocotte devant alterner l'hystérie la plus échevelée (le Feu) et le lyrisme le plus touchant (la Princesse) rendent la distribution des rôles assez périlleuse. Pour le chef et l'orchestre, les problèmes sont tout autres : comment face à une partition, techniquement si complexe, trouver la théâtralité, la légèreté, l'humour nécessaire pour ne pas engoncer l'oeuvre ? Sans chauvinisme aucun, et comme c'est souvent le cas pour la musique française, ce sont les force hexagonales et francophones qui se tirent le mieux de ce traquenard. 


Ernest Bour -1948 :
Testament
Choeurs et Maîtrise de la Radiodiffusion Française
Orchestre National de la Radiodiffusion Française

L'Enfant : Nadine Sautereau 
Maman/La Tasse chinoise/La Libellule : Denise Scharley
Le Fauteuil/Un Arbre : André Vessières
La Bergère/L'Ecureuil : Solange Michel
L'Horloge comtoise/Le Chat : Yvon le Marc'Hadour
La Théière/La Rainette : Joseph Peyron
L'Arithmétique : Maurice Prigent
Le Feu/Le Rossignol : Odette Turba-Rabier
La Princesse : Martha Angelici
La Chatte : Marguerite Legouhy
Une Chauve-Souris : Claudine Verneuil
Cet enregistrement EMI, reparu en 94 chez Testament, doit avant tout être considéré comme un document quasi-archéologique ! Le son mono (et le passage au CD est vraiment très sommaire !), les techniques très "françaises" des chanteurs (voyelles plates, vibrato rapide, médium parlando, mais on ne perd pas un mot du texte), la prise de son et le montage rudimentaires disqualifient d'emblée cette version par rapport aux sept autres disponibles sur le marché. Néanmoins, pour qui veut découvrir une interprétation vraiment authentique de la musique de Ravel, ce document complétera avantageusement une version moderne. Comment ne pas succomber au son unique des bois de l'ONRF, aux accents très parisiens des choristes (c'est ici que l'on trouvera d'ailleurs la meilleure diction de toute la discographie), à l'humour, mais aussi à la mélancolie qui s'exhale de l'interprétation des solistes ? C'est presque comme si Arletty et Jouvet chantaient du Ravel ! De plus la direction de Bour est l'une des plus justes au disque : souple et inspirée elle suit pas à pas l'esprit de l'oeuvre. Pour les collectionneurs et amoureux de Ravel.


Ernest Ansermet-1954 :
DECCA
Le Motet de Genève
Orchestre de la Suisse Romande

L'Enfant : Flore Wend
Maman/La Tasse chinoise/La Libellule : Marie-Lise de Montmollin
Le Fauteuil/Un Arbre : Lucien Lovano
La Bergère/La Chatte/ Une Chauve-Souris : Geneviève Touraine
L'Horloge comtoise/Le Chat : Pierre Mollet
La Théière/L'Arithmétique/La Rainette : Hugues Cuénod
Le Feu/Le Rossignol : Adrienne Migliette
La Princesse/L'Ecureuil : Suzanne Danco
Une Pastourelle : Gisèle Bobillier
Un Pâtre/La Chouette : Juliette Bise


Disons le tout net : ce disque peut être considéré comme l'un des plus beaux enregistrements lyriques de toute l'histoire. Ansermet, qui a connu Ravel, nous a offert ici un petit bijou de légèreté, d'humour et d'intelligence musicale. Ecoutez le phrasé délicieusement languide de l'introduction, ces fameuses quintes de l'ennui comme disait Ravel, l'irrésistible couleur baroque du duo Fauteuil-Bergère, les pizz "tonkinois" de la Tasse, la mélancolie surannée des pâtres, le lyrisme intense du duo Enfant-Princesse, la ronde folle de l'Arithmétique... on sent que tous les phrasés, tous les effets de la partition ont été étudiés, compris et surtout intégrés par le chef et son orchestre. Jamais les solistes de l'orchestre de la Suisse Romande ne s'abandonnent à une beauté instrumentale gratuite, ils osent des sons droits, des phrasés de musique traditionnelle ou jazz, ils usent de toutes les sonorités de leurs instruments pour servir la poésie de cette partition.

Coté vocal, seulement deux stars : Hugues Cuénod, pour les trois rôles de ténor et surtout Suzanne Danco dans la Princesse et l'Ecureuil (deux rôles, il est vrai, très éloignés vocalement, mais on a confié à la grande dame les deux plus belles pages de la partition). Cuénod nous offre une interprétation exceptionnelle d'humour, de nuances et de poésie, la diction est comme d'habitude sans faille et l'artiste se rit de toutes les difficultés de la partition : magistral. Danco compose une Princesse très "Grande Dame", un peu distante, mais d'une classe folle et un Ecureuil de grand luxe. La technique a un peu vieilli, mais la musicalité n'a pas pris une ride ; c'est d'ailleurs, étonnement, la seule voix qui sonne un peu "années 50" dans toute la distribution. Il serait fastidieux de citer tous les mérites des autres chanteurs, disons seulement que la diction est parfaite, qu'ils ne forcent jamais le trait (et c'est rare dans cette oeuvre !) et que sans avoir de grandes voix, ils se placent parmi les grands interprètes du disque. Citons tout de même l'Enfant de Flore Wend, qui reste avec Colette Alliot-Lugaz, la seule interprète au disque à avoir compris et assumé ce rôle difficile : sans trop chanter, mais avec un legato sans faille, elle compose un enfant jamais caricatural dont on sent l'évolution pas à pas durant cette "initiation lyrique" ; son "coeur de la rose" presque susurré est le plus poignant de l'histoire du disque.

En fait, si l'on excepte une prise de son qui favorise trop l'orchestre par rapport au choeur, voilà un enregistrement parfait, à posséder absolument dans sa discothèque.


Lorin Maazel -1961 :
Choeurs, Maîtrise et Orchestre de la R.T.F.

L'Enfant : Françoise Ogéas
Maman/La Tasse chinoise/La Libellule : Jeanine Collard
Le Fauteuil/Un Arbre : Heinz Rehfuss
La Bergère/L'Ecureuil/ La Chatte/Un Pâtre : Jane Berbié
L'Horloge comtoise/Le Chat : Camille Maurane
La Théière/L'Arithmétique/La Rainette : Michel Sénéchal
Le Feu/La Princesse/Le Rossignol : Sylvaine Gilma
Une Pastourelle/Une Chauve-Souris/La Chouette : Colette Herzog
Au début des années soixante, DG produit ce qui va devenir pour beaucoup la référence discographique de l'oeuvre. Tout ici sert l'opéra à merveille : une distribution 100% francophone (choeur et maîtrise compris), un orchestre français de très haut niveau (la RTF) et un jeune chef extrêmement talentueux. La prise de son est superlative (et le "remastering" la rend encore plus appréciable). Le tout donne une grande version, luxueuse, sur papier glacé et... sans une once d'humanité ! La faute à qui ? Malheureusement, en grande partie, à la direction très précise, mais aussi un peu trop métrique et, pour tout dire, violente de Maazel. Le chef ne nous laisse pas une minute pour respirer, rien ne dépasse, chaque phrase, instrumentale ou chorale, est coupée net, sans aucune résonance (écouter la scène des pastoureaux, qui se rapproche plus d'une sardane endiablée que des adieux déchirants voulus par le livret) : un vrai travail d'orfèvre, mais le bijou est un rien coupant !

La distribution n'est pas non plus sans faille. Le très bon (Sénéchal, Maurane, Berbié) alterne avec le correct (Rehfuss, un peu gras mais très musicien, Gilma, à la technique un peu datée mais virtuose en diable, Collard trop caricaturale et Herzog, quelconque) et le franchement mauvais (Ogéas, qui "surjoue" son Enfant très faux et nous inflige une voix petite et nasale). Voilà donc une très belle image en technicolor de l'oeuvre de Ravel : pour adorateur de l'ordre et du politiquement correct (mais pourront-ils apprécier une pièce aussi hors-norme), fou du grand Sénéch' (mais on le retrouvera ailleurs mieux dirigé et entouré) ou mélomane débutant écoutant les conseils de son disquaire.


André Previn -1982 :
Ambrosian Singers
London Symphony Orchestra

L'Enfant : Susan Davenny Wyner
Maman/La Tasse chinoise/La Libellule/ La Chouette : Jocelyne Taillon
Le Fauteuil/Un Arbre : Jules Bastin
La Bergère/L'Ecureuil/Une Chauve-Souris : Jane Berbié
L'Horloge comtoise/Le Chat : Philippe Huttenlocher
La Théière/L'Arithmétique/La Rainette : Philip Langridge
Le Feu/La Princesse/Le Rossignol : Arleen Augér
La Chatte/Un Pâtre : Linda Finnie
Une Pastourelle : Linda Richardson
La première version de L'Enfant et les Sortilèges que nous a léguée André Previn vaut surtout par une direction très poétique. Le chef-compositeur profite des sonorités moirées du London Symphony Orchestra pour émailler sa lecture de purs moments de poésie. Cette option n'est malheureusement pas sans inconvénient : les moments de pure violence (la colère de l'Enfant, la fin du duo Chat-Chatte ou la révolte des bêtes ) semblent un peu pâles, ce qui nuit grandement à l'équilibre de l'oeuvre. L'autre problème de cette version est la couleur trop "anglo-saxonne" des choeurs et de certains solistes. Les Ambrosian Singers, comme dans d'autres enregistrements (Carmen/Abbado !), sonnent vraiment trop anglais pour rendre justice à une partition où le mot est primordial. Du côté des solistes, ce problème de diction est surtout préjudiciable à Philip Langridge : très musical et juste dramatiquement, le français lui pose de réels problèmes dans la Rainette et l'Arithmétique (mais son accent est irrésistible dans la Théière anglaise !). Les autres Anglais de la distribution s'en sortent mieux : Linda Finnie et Linda Richardson composent un couple de Pâtres très poétique. En fait, la seule vraie faiblesse de cette version est l'Enfant, débraillé et vulgaire, de Susan Davenny-Wyner : c'est l'un des moins à propos de toute la discographie. Par contre, Taillon et Berbié sont, comme toujours, impeccables, Jules Bastin est impayable et Philippe Huttenlocher, plus viril que les titulaires classiques du rôle, campe une Horloge et un Chat pleins de relief. Enfin, la grande découverte de ce disque, c'est la prestation d'Arleen Augéer dans un répertoire où l'on ne l'attendait pas forcément. Le français est presque parfait et une virtuosité sans faille lui permet de composer un Feu et un Rossignol de grande classe. Mais sa composition la plus remarquable, elle la réalise dans le rôle de la Princesse : tout sur un fil de voix, à la fois suppliante et amoureuse, voici l'une des plus belles Princesses de toute la discographie (cela rend encore plus douloureuse la présence de Mme Davenny-Wyner dans le duo). En définitive une bonne version, sans plus, avec un gros coup de coeur pour Augéer.


Armin Jordan -1987 :
La Manécanterie du Conservatoire Populaire de Musique de Genève
Choeurs et Orchestre de la Radio Suisse Romande

L'Enfant : Colette Alliot-Lugaz
Maman/La Tasse chinoise/La Libellule : Arlette Chedel
Le Fauteuil/Un Arbre : Michel Brodard
La Bergère/La Princesse/Une Chauve-Souris/Une Pastourelle/La Chouette : Audrey Michael
L'Horloge comtoise/Le Chat : Philippe Huttenlocher
La Théière/L'Arithmétique/La Rainette : Michel Sénéchal
Le Feu/ /Le Rossignol : Elisabeth Vidal
La Chatte/ L'Ecureuil/Un Pâtre : Isabel Garcisanz


Plus de trente ans après Ansermet, on retrouve l'orchestre de la Suisse Romande avec le même plaisir dès les premières mesures de l'oeuvre. La direction d'Armin Jordan, sans avoir l'urgence jubilatoire d'Ansermet, est d'une grande poésie : cet Enfant très onirique joue sur les ambiances. La distribution vocale est très équilibrée. Colette Alliot-Lugaz est la référence moderne dans le rôle de l'Enfant : la voix est solide et sonore, l'artiste ne force jamais le trait, le personnage est en permanence touchant. Brodard, bonne basse aux couleurs très françaises, sans avoir l'abatage comique d'un Bastin, compose un Fauteuil et un Arbre patauds à souhait. Huttenlocher, comme chez Previn, plie un instrument étonnement sombre aux exigences de l'Horloge et du Chat. Arlette Chedel, délicieusement caverneuse et Isabel Garcisanz, voix ample et chaude, donnent un poids appréciable à des rôles trop souvent sacrifiés. Jordan a l'intelligence de distribuer le Feu, le Rossignol, mais pas la Princesse à un soprano léger. Elisabeth Vidal brille sans mal dans ces deux emplois virtuoses avec, malgré tout, la mollesse d'articulation et le manque de définition vocale qui lui sont coutumières. Sénéchal, plus de vingt-cinq ans après Maazel, n'a plus la même assurance technique, mais la gouaille et la poésie de ses compositions n'en sont que meilleures. Toutefois, la prestation la plus remarquable de cet enregistrement est sans doute celle d'Audray Michael. Ce soprano lyrique à la voix ample et colorée n'a que très peu enregistré (quelques disques avec Corboz, dont un Requiem de Mozart avec Ewa Podles en alto !) et en écoutant ce disque, on ne peut que le regretter. Ses Bergère et Chauve-souris sont d'une grande justesse dramatique et d'une musicalité rare, mais c'est dans la Princesse qu'elle nous subjugue. Moins "Grande Dame" que Danco, moins évanescente qu'Augéer, elle compose un personnage simple et blessé, d'une grande humanité : nous tenons là sûrement le plus beau duo Enfant-Princesse de la discographie. Sa voix ronde alliée à des aigus filés somptueux font facilement oublier les cocottes que l'on nous impose trop souvent dans ce rôle ; le dernier appel du duo glace le sang : une leçon de maître. Voilà un très bel enregistrement, riche en bonnes surprises et en valeurs sûres, excellent complément moderne à la version Ansermet.
 
 


Alain Lombard -1992 :
Maîtrise et Choeurs du Grand Théâtre de Bordeaux
Orchestre national Bordeaux-Aquitaine 

L'Enfant : Martine Mahé
Maman/La Tasse chinoise/La Libellule : Arlette Chedel
Le Fauteuil/Un Arbre : Vincent Le Texier
La Chatte/L'Ecureuil/Un Pâtre : Magali Damonte
L'Horloge comtoise/Le Chat : Marc Barrard
La Théière/L'Arithmétique/La Rainette : Leonard Pezzino
Le Feu/La Princesse/Le Rossignol : Elisabeth Vidal
Une Bergère/Une Pastourelle/Une Chauve-Souris/La Chouette : Michele Lagrange
Au début des années 90, Alain Lombard et les forces de l'Opéra de Bordeaux enregistrent à leur tour la fantaisie lyrique de Ravel. Avec une distribution entièrement hexagonale et un chef connu pour ses affinités avec le répertoire français, on pouvait s'attendre à une grande version. Malheureusement, le chef bordelais tombe, trente ans après, dans les mêmes pièges que Maazel. Tout est parfait, en place, en mesure, mais guère poétique. Sans avoir la raideur germanique de la version DG, tout est ici trop concret, manque de respiration, de naturel et de folie. C'est bien dommage, car la distribution ne manque pas d'atouts. L'Enfant de Martine Mahé est plus proche des "sauvageons" fin de siècle que de l'icône des années folles, mais cette conception déroutante au premier abord est finalement pleine de charmes. Marc Barrard, baryton solide, campe une Horloge et un Chat très convaincants. Arlette Chedel, comme chez Jordan, a la vocalité exacte des rôles de contraltos. Michèle Lagrange et Magali Damonte prêtent leurs voix larges et charnues ainsi que leur excellente diction aux rôles de soprano lyrique et de mezzo. On est par contre moins convaincu par la conception très stylée, mais servie par une voix un peu engorgée, de Vincent Le Texier. Elisabeth Vidal est, comme on pouvait le prévoir, chichiteuse et blanche dans la Princesse ; ce qui est plus grave, c'est son manque, flagrant, d'articulation dans le Feu et le Rossignol. On est bien loin avec Leonard Pezzino des compositions oniriques et échevelées de Cuénod et Sénéchal : la voix est laide, la technique défaillante et l'artiste joue faux. Les choeurs d'adultes et d'enfants sont parfaitement en place, mais bien trop sage. Une version de plus, sans grand intérêt.


Charles Dutoit -1992 :
Choeurs et Orchestre Symphonique de Montréal

L'Enfant : Colette Alliot-Lugaz
Maman/La Tasse chinoise/Un Pâtre : Claudine Carlson
Le Fauteuil/Un Arbre : Lionel Sarrazin
La Bergère/La Chauve-Souris/La Chouette/La Princesse : Catherine Dubosc
L'Horloge comtoise/Le Chat : Didier Henry
La Théière/L'Arithmétique/La Rainette : Georges Gautier
Le Feu/Une Pastourelle/Le Rossignol : Marie-Françoise Lefort
L'Ecureuil/La Chatte/La Libellule : Odette Beaupré
Quelques mois plus tard, Charles Dutoit enregistre sa version de l'Enfant avec l'Orchestre Symphonique de Montréal. La direction est plus inspirée que celle de Lombard, mais certains choix de tempo semblent déplacés (l'introduction, les Pâtres). Pourtant, dans l'ensemble, la poésie est bien là. C'est la distribution qui pose problème. A part l'Enfant, un peu fatigué mais toujours aussi juste de Colette Alliot-Lugaz et le joli Mezzo d'Odette Beaupré, on reste perplexe à l'écoute de ce disque. Didier Henry éructe dans l'Horloge et le Chat, Claudine Carlson et Lionel Sarazin nous imposent un concours de vibrato envahissant, Georges Gautier s'empêtre dans des rôles qu'une voix engorgée, courte en aigus et une diction pâteuse lui interdisent et Marie-Françoise Lefort, fâchée avec l'intonation (les aigus criés et bas !) et incapable de la moindre virtuosité, nous propose les vocalises les plus "savonnées" de toute la discographie dans le Feu. Mais la plus grande déception vient de Catherine Dubosc : d'une intonation plus qu'approximative et courte de souffle, ses compositions sont douloureuses. Pour accrocher les aigus d'une Princesse, par trop éloignée de sa vocalité, elle transforme toutes les voyelles au-dessus du Fa en "A" : cet artifice grossier pourrait rendre le duo presque comique, s'il n'était pathétique de voir une telle artiste en arriver là : affligeant. Dommage pour la belle direction de Dutoit, mais voilà un disque à oublier bien vite.


André Previn -1999 :
New London Children's Choir
London Symphony Chorus
London Symphony Orchestra

L'Enfant : Pamela Helen Stephen
Maman/Un Pâtre : Anne Marie Owens
La Tasse chinoise/La Chatte : Jacqueline Miura
La Libellule/L'Ecureuil : Rinat Shaham
 Le Fauteuil/ L'Horloge comtoise/Le Chat : David Wilson Johnson
Un Arbre : Robert Lloyd
La Bergère/La Chouette : Juanita Lascarro
La Théière/L'Arithmétique/La Rainette : Mark Tucker
Le Feu/La Princesse/Le Rossignol : Elizabeth Futral
Une Pastourelle/Une Chauve-Souris : Mary Plazas
Décidément, DG manque de chance avec L'Enfant et les Sortilèges : après Maazel qui tirait l'oeuvre vers le grand oratorio ravélien, raide et froid, voilà que Previn la transforme en une vaste pochade uniformément comique. Le malentendu commence par une pochette complètement hors sujet. Le génial dessinateur Chuck Jones, bien connu pour ses Cartoons, nous donne sa version du duo Chat-Chatte : deux félins miaulant et enamourés, tel le célèbre Pépé le putois, admiré par un enfant béat et souriant. Comment peut-on donner une version aussi édulcorée de la scène la plus trouble, la plus sensuelle et violente de l'oeuvre ? Tout cela ne serait pas bien grave, les pochettes de disque ratées ou hors sujet sont légion, si le contre-sens ne se poursuivait pas dans l'interprétation. Voilà une belle distribution (à l'exception d'Elisabeth Futral, incapable de contrôler un vibrato trop large et des suraigus à la limite du cri et Robert Lloyd, qui devrait songer sérieusement à la retraite), un très bel orchestre, un bon choeur et un excellent chef qui nous offrent une interprétation superlative de L'Enfant et les Sortilèges de... Walt Disney ! Et encore, la comparaison est plutôt flatteuse, le trait est tellement forcé à certains endroits que Tex Avery serait peut-être plus proche de la réalité ! Ecouter cette introduction sautillante et lisse, cette Théière à la nasalité outrée, ces pastoureaux au phrasé niais, cette Horloge cabotine... tout est monochrome (tirant sur le rose bonbon) et plat, l'exact contraire de l'oeuvre imaginée par de Ravel. Comment Previn, si (voire trop) poétique lors de sa première intégrale, a pu tomber si bas ? La World Compagny ne doit pas être bien loin.

En conclusion, deux versions s'imposent : Ansermet et Jordan, avec un petit faible pour la première, mais pour les allergiques du son mono, il faut opter pour la version Erato (reparue à prix réduit récemment). Previn 2 et Dutoit sont les deux seuls disques à éviter absolument, le premier pour l'ambiance générale et le deuxième pour les chanteurs. Malheureusement nous attendons encore Plasson, Langrée, Harding ou Minkowski à la baguette, les Feux de Dessay, Léger ou Petitbon, la Tasse de Stutzmann, les Arithmétiques de Fouchécourt ou Ragon, les Horloges de Leguérinel, Bou, Degout ou Tézier, le Fauteuil de Naouri, les Ecureuils de Kozena, d'Oustrac ou Gubisch et les Princesses de Delunsch, Gens ou Amsellem...
 

Jean-Christophe Henry

Analyse
Argument parJean-Christophe Henry
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