[Il
se trouve que Bellini eut l'occasion de remanier l'oeuvre pour Gênes,
après la création de Il Pirata à Milan. Si nous verrons
en leur temps les circonstances qui ont conduit à cette opportunité,
nous évoquerons en revanche dès à présent,
les modifications de la partition que présente la seconde version,
au titre retrouvé de Bianca e Fernando. Signalons enfin que la
chance offerte par les deux seules versions discographiques de Adelson
e Salvini, proposant chacune une version, ne se reproduit pas pour Bianca
e Fernando, dont les enregistrements proposent toujours la même
partition-compromis entre les versions de Naples et de Gênes !]
Acte
premier
Premier tableau :
L'atrium du palais des ducs d'Agrigente ; on aperçoit la ville
ainsi que le port.
Preludio/Sinfonia.
Un sombre thème menaçant ouvre l'opéra puis sert
de fond à un autre thème plaintif et déjà
plus " bellinien ", selon le style qu'on lui connaît.
Le prélude se tait et on passe sans transition à un récitatif.
Pour la seconde version, Bellini ajouta un brillant Allegro, écho
de la Stretta finale I, à ce prélude et en fit une ouverture.
Les enregistrements de trois reprises modernes (parmi les quatre ayant
eu lieu) se contentent du prélude original... on attendra donc,
pour connaître la Sinfonia !
Recitativo ed Aria Gernando/Fernando.
Version originale : Clemente (basse) déplore l'assassinat de son
seigneur le duc d'Agrigente qu'il rêve de venger, oubliant que l'âge
a diminué ses forces. Il se retire en voyant arriver un bateau
tandis que le soleil se lève. Gernando (ténor) en descend
et accourt avec émotion devant son palais.
Version refaite : Fernando (tén.) descend du bateau et chante son
émotion de retrouver son palais dans un beau Cantabile. Il se ressaisit
et pense avec tristesse à la mort de son père, le duc d'Agrigente.
Uggero (tén.) et ses hommes tentent de le réconforter dans
un choeur à l'allant typiquement bellinien. G/Fernando laisse libre
court à sa douleur dans une langoureuse Cavatina. Les autres tentent
de rappeler en lui son courage habituel... mais il se culpabilise, dans
une Cabaletta posée, et l'on comprend qu'il a une part de responsabilité
dans la mort de son père. (Un petit passage sera transporté
dans I Puritani, Duetto Riccardo-Arturo, ceci pour l'auditeur attentif
!)
La version originale était identique jusque-là mais la Cabaletta
était, paraît-il, trop joyeuse par rapport aux paroles de
vengeance que Gernando clâme à ce moment, contre le traître
ayant assassiné son père.
Scena. Clemente observe Fernando et le reconnaît mais ce dernier
lui dit de ne pas révéler son idendité, car il se
cache sous le nom d'Adolfo et rapporte la nouvelle de la mort de Fernando,
héritier du titre de duc d'Agrigente... Clemente veut lui parler
de " cette horrible nuit " mais Fernando dit tout savoir de
l'atroce événement (alors que Gernando lui en demande le
récit, et l'on apprend le rôle trouble joué par sa
soeur). On annonce Viscardo et Clemente explique qu'il est le bras droit
" du tyran "... il se trouve que Fernando le connaît également,
pour lui avoir sauvé la vie durant son séjour au Portugal.
Fernando décide de l'utiliser comme instrument de sa vengeance...
Clemente formule des voeux dans ce sens. Viscardo (mezzo-soprano/ténor
6) s'étonne de trouver ici " Adolfo "
(nom sous lequel se cache Fernando) et celui-ci lui explique qu'ayant
aidé le roi d'Angleterre à soumettre l'Écosse, il
lui a demandé congé, et le voici à Agrigente, avec
ses hommes d'armes. Viscardo estime qu'il tombe bien car Filippo, dont
il est le confident, craint de se voir contester le trône par Fernando...
Adolfo le rassure : Fernando n'est plus, et il porte même une lettre
pour sa soeur.... La nouvelle séduit Viscardo qui, voyant précisément
aprocher Filippo, conseille à Adolfo et à Uggero de se retirer.
Filippo (basse) s'inquiète du bateau qui vient d'accoster mais
Viscardo le rassure, lui fait miroiter la possibilité de l'aide
apportée par Adolfo et la bonne nouvelle que ce dernier apporte.
Scena ed Aria Filippo. La nouvelle déclenche un Arioso dans lequel
Filippo donne libre cours à sa joie... mais tandis que Viscardo
va chercher Adolfo, Filippo exprime doutes et espérances dans une
sombre Cavatina. On apprend que le vieux duc n'est pas mort mais retenu
prisonnier dans un lugubre souterrain, et la mort de son fils Fernando
le laisse donc à la merci de Filippo !
Il trouve que Viscardo est long à revenir...
[Version originale] ...et retombe dans de sombres pressentiments (Cabaletta).
[Version refaite] ...mais l'espoir domine bientôt ses pensées...
motivant une vive Cabaletta, si bellinienne et un peu trop charmante pour
d'aussi noirs desseins !
Seul Enzo Dara en 1978 (voir tableau des enregistrements) chante la Cabaletta
complète mais on a l'impression d'entendre un autre morceau ! En
effet, Dara use de coloratura et G. Ferro va vite, tandis que en 1976,
Enrico Fissore avait un timbre plus sombre et le même G. Ferro conservait
une allure plus posée !
Scena e Terzetto.
"Adolfo" s'avance, ému se trouver face à "
l'indegno " ! puis il se ressaisit et narre la mort de Fernando en
Écosse... il donne à Filippo la lettre dans laquelle Fernando
mourant dit adieu à sa soeur. Une efficace première partie
concertante du trio nous révèle trois états d'âme
différents : Filippo qui ne peut contenir sa joie, Viscardo lui
suggérant de dissimuler encore... et Adolfo-Fernando, amer de voir
ainsi exulter le tyran à qui il promet vengeance... Dans la Scena
successive, Filippo dit à Adolfo de ne pas montrer la lettre à
Bianca, la soeur de Fernando, avant que celle-ci ne soit devenue son épouse
!.... d'autre part, il accepte l'aide de Adolfo et de ses hommes... une
sonnerie de trompettes annonce l'arrivée de Bianca, l'orchestre
attaque un crescendo conduisant à une Stretta enflammée...
où il est question de défendre le trône ducal d'Agrigente,
mais les paroles de Adolfo-Fernando sont évidemment à double
sens... (Celles de la première version étaient plus directes
mais elle furent changées alors que la musique resta intacte (!).
La première version comprenait, en outre, un récitatif dans
lequel Viscardo opérait un retour de conscience. En effet, face
à la jubilation de Filippo pouvant conduire à l'assassinat
du vieux duc Carlo, Viscardo se demandait s'il allait encore longtemps
seconder les viles manoeuvres de Filippo... Bianca fait son entrée
sans changement de décor...)
Second tableau : Une
place d'Agrigente.
Coro Scena ed Aria Bianca. Les Cavatina-Cabaletta de Bianca (sop.) furent
réécrites pour la seconde version et Friedrich Lippmann
7 signale que ces deux morceaux dans leur première
mouture, peuvent être déclarés " insignifiants
ou au moins, rien de plus que gracieux ". Le peuple d'Agrigente salue
Bianca comme le soutien, l'âme de la ville, Bianca explique que
le temps est venu de consolider ce trône et elle le fait en donnant
sa main à un époux valeureux : Filippo. Le choeur consent
à honorer Filippo et Bianca se lance alors dans une Cabaletta de
jubilation. Le pauvre Bellini dut essuyer le mécontentement de
Adelaide Tosi à Gênes et refaire la Cavatina, s'inspirant
d'un solo de clarinette du second acte, mais cette version ne plut pas
à la Tosi et il créa donc une troisième et ultime
version, refusant tout net les nouvelles objections de la Tosi ! Malgré
cela, la Cavatina n'a rien de particulier et F. Lippmann a même
cette image humoristique disant que le morceau " ne mériterait
pas la peine de se lancer sur les barricades ". Il explique à
juste titre comme Bellini a imité une structure rossinienne de
" petites phrases mélodiques séparées par des
pauses et fort riches d'embellissements ". Il précise ensuite
et avec raison, que seulement dans la seconde partie de la Cavatina, ces
phrases mélodiques seront " un peu plus concentrées
et cohérentes ". La Cabaletta semblera familière aux
connaisseurs et il y a de quoi, puisqu'elle devint, légèrement
modifiée, celle du "Casta diva" de Norma ! (Précisons
enfin que le texte nouveau suit les mêmes sentiments que l'ancien).
Finale I°. [Arioso, Settimino concertato, Scena e Stretta]. Filippo
présente à Bianca l'armée sortant des bateaux de
Adolfo, comme un soutien pour le trône ducal d'Agrigente. Le choeur
les accueille avec pompe et ferveur ; Adolfo est présenté
à Bianca qui remarque son visage avec étonnement et sans
rien dire... Adolfo tente de cacher son émotion et déclare
connaître Fernando... Lorsque Bianca soupire après son retour,
il ne peut se retenir et lâche : " Malheureuse !... pour contempler
tes fautes ?... ". Cette phrase glace tout le monde et donne le départ
au Settimino (Eloisa -mezzo-, la suivante de Bianca est la septième
soliste). Cet ensemble concertant n'a qu'une fonction dramatique, dépourvu
de mélodie prenante comme notre Vincenzo saura merveilleusement
en faire plus tard. A part Clemente, Uggero et Fernando,tous sont suspendus
dans cette atmosphère de mystère... [Scena] Filippo se secoue
le premier et fait remarquer à Bianca sa stupeur, elle s'en tire
en disant qu'elle pensait à son frère errant, mais Filippo
lui suggère d'oublier un ingrat ne se souciant guère de
son père, de sa patrie et de sa soeur... La Stretta animée
qui s'ensuit exprime la perplexité de ceux qui s'interrogent et
la tristesse des trois qui savent et considèrent l'avenir dans
sa noirceur !
Cette Stretta fut retouchée dans la seconde version, et comme,
pour la première fois, on note une divergence entre les trois enregistrements,
on peut dire que l'on connaît les deux moutures. Les deux représentations
dirigées par Gabriele Ferro (1976 et 1978) concordent, celle du
Teatro Bellini de Catane (1991) propose une version différente,
nettement inférieure à notre avis. Le thème dominant
de la Stretta retenue par Ferro est une belle phrase, "a tempo di
marcia", noble et unissant à merveille la perplexité
des uns et la noble tristesse des autres... et qui, de plus, revient en
conclusion orchestrale du morceau.
A l'audition de ce fort beau thème, on se prend à regretter
que ces messieurs les chefs n'aient pas cru bon d'exécuter la Sinfonia
prévue par Bellini dans sa seconde version, car on doit y retrouver
cette phrase en question.
Acte
second
Premier tableau :
L'atrium du palais ducal d'Agrigente.
Scena ed Aria Filippo. Clemente explique à Fernando que Bianca
est vraiment soucieuse de lui parler. Fernando accepte et prie Clemente
de le précéder. Viscardo survient et révèle
à Adolfo (Fernando) que Filippo a une tâche très grave
à lui confier... La version refaite supprime cette brève
scène et fait directement entrer Filippo qui demande à Adolfo
si Viscardo l'a prévenu. Il commence par déclarer qu'il
va chercher dans un château voisin, le petit Enrico, le fils que
Bianca eut d'un premier mariage et qu'elle souhaite avoir près
d'elle lors de la cérémonie. Il explique ensuite que Viscardo
va entre temps le conduire à la tombe secrète où
se trouve le vieux duc Carlo que tout Agrigente pleure... (Filippo marque
une pause prudente...) Eh bien... Carlo vit ! ! Adolfo-Fernando sursaute
mais cache sa stupéfaction en feignant d'avoir entendu quelqu'un.
Filippo poursuit son récit : il demande la main de Bianca mais
le vieux duc Carlo d'Agrigento le repousse avec hauteur et l'insulte,
même ! Il décide alors de se venger et entraîne le
vieillard dans ce souterrain secret, répendant par la suite le
bruit qu'une mort rapide et soudaine l'avait ravi à sa chère
ville d'Agrigente. A ce point, Fernando plus qu'Adolfo ! met la main à
son épée et lâche un " Ah, le vil !... "
entre parenthèses, ce qui signifie que l'autre n'entend pas, puis
il se ressaisit : il importe de sauver d'abord son père. Il demande
même à Filippo pourquoi il n'a pas tué le duc et l'autre
répond qu'il craignait Fernando... mais à présent,
il veut que le vieillard meure ! Dans une Cavatina au rythme décidé,
il lui recommande bien d'augmenter la douleur du vieillard en lui disant
que son fils est mort, et que Bianca va épouser Filippo dont le
règne commence par sa mort ! C'en est trop pour Adolfo-Fernando,
qui vascille et la musique s'adoucit, soulignant son émotion...
Filippo pense qu'Adolfo manque de courage... mais ce dernier se ressaisit
et promet de venger l'offense -quel double sens accorder à cette
promesse !- Un " Coro di Grandi " entre et donc ces seigneurs
reconnaissent Filippo, comme duc !... Adolfo renouvelle sa fidélité
et sort. Filippo attaque sa Cabaletta avec tant de jubilation et d'assurance
que la disdascalie précise : " quasi estatico ". Il appelle
ardemment ce moment tant désiré devant calmer la douleur
qu'il ressent en lui. Le choeur souligne à quel point le remplit
de joie la perspective du moment où il va commencer à régner.
(Aucun des trois enregistrements confrontés ne présente
une interprétation complète de cette Cabaletta énergique,
toujours sans " Da Capo ").
Deuxième tableau
: Une petite pièce dans les appartements de la Duchesse.
Preludio, Scena e Romanza Bianca. Le charmant prélude avec "
flauto obbligato " semble préparer l'atmosphère et
l'état d'esprit dans lequel se trouve Bianca. Ses premières
paroles sont en effet : " Où suis-je ?... Que m'arriva-t-il
?... ", qui est celui qui lui parla ainsi ? ...elle se tourne vers
la statue de son père : est-il l'instrument de sa vengeance ?...
Doit-elle vraiment oublier Filippo ?... le peut-elle ! ! En vain Elaisa
tente de modérer ses craintes. Lourds accords de l'orchestre...
la harpe tisse son accompagnement romantique par excellence et le hautbois
propose alors le thème sublime de l'éperdument rêveuse,
merveilleuse Romance de Bianca " Sorgi, o padre ", véritable
joyau de l'opéra, merveille d'exaspération qui se déploie,
se déploie... à l'infini presque, fascination toute bellinienne
de ce que Verdi nommait avec étonnement la " melodia lunga,
lunga, lunga " ! [Première strophe] elle prie son père
de se lever et de la contempler, éperdue de douleur, oppressée
par le deuil, par " une angoisse désormais lasse "...
- oh belle image typiquement romantique ! comme du reste, la seconde strophe
:
" Si tu reviens
à moi, frère adoré
Va sur la rive de ce petit ruisseau,
Où tu prenais plaisir, avec moi
Dans les beaux jours de calme et de plaisir !
Là, sur le myrte et parmi les saules, tu verras
Que dans une froide urne, mes cendres reposent,
Baigne alors d'une compatissante larme
Celle qui fut victime d'un devoir sacré ! "
Lorsqu'on croit que la mélodie est sur le point de finir, Bellini
la prolonge encore et encore, la conduisant à une sorte d'exaspération
extatique....
En contrepoint, les
paroles apaisantes de Eloisa viennent habilement mettre en valeur le chant
principal de Bianca. Pour preuve, ce morceau fut choisi dans un récital
alliant deux grandes interprètes telles Mirella Freni et Renata
Scotto, considérée comme la plus grande bellinienne du XXème
siècle.
Eloisa annonce Fernando et sort. Bianca sent son émotion redoubler
à la vue de cet homme altier... la certitude se fait en elle :
" C'est lui... Oui... C'est Fernando... ".
Scena e Duetto Bianca-Adolfo (Fernando).
a) Scena. Le pizzicato anxieux des cordes accompagne les questions pressantes
de Bianca et se résout dans une phrase plus large exprimant la
certitude de Bianca : " Ah si, Fernando sei... " (ah oui, tu
es Fernando). Adolfo répond que " Fernando è spento
" et lui tend la lettre... L'attente angoissée de Bianca est
rendue par un passage plaintif opposant violoncelles et violons et dont
Bellini se souviendra dans Norma... Fernando comprend aux larmes de sa
soeur qu'elle l'aime, il lui révèle la joie de Filippo à
la nouvelle de la mort de Fernando, des accords noirs et menaçants
surgissent lorsqu'il parle de " tradimento "... Bianca veut
connaître les fautes de Filippo et jure alors de le haïr...
Fernando lui ouvre les bras et reconnaît être... Fernando
! ! b) Arioso. Fernando repousse sa soeur qu'il accuse d'avoir trahi leur
père, mais la pauvre femme veut connaître la cause de sa
fureur... le délit de Filippo... Fernando révèle
alors : " Sais-tu qui vis dans une sombre tombe, / Depuis six lunes,
et enchaîné !... / Sais-tu qui lutte contre la mort, / La
faim et la terreur ! ". Bianca est horrifiée, mais Fernando
poursuit, expliquant comment Filippo lui a demandé de faire exécuter
le vieillard par l'un de ses hommes !
[c) Larghetto] Bianca est atterrée, et Fernando doit bien reconnaître
la sincérité de la douleur de sa soeur. d) Scena et Stretta.
Bianca ne veut plus rien entendre à propos de Filippo, elle a choisi
et s'agenouille devant Fernando en implorant sa compréhension.
Il la relève et lui donne l'habit de l'un de ses hommes afin de
la conduire à leur père. Dans la Stretta passionnée
qui suit, elle implore son frère de lui redonner son affection
première, et de ne plus la croire coupable. Fernando consent avec
émotion et tous deux courent libérer leur père avant
de châtier le traître d'un commun accord ! Enfin un "
Da Capo " dans l'édition du Teatro Bellini, tandis que cette
reprise est coupée dans l'exécution de 1976 ; quant à
la représentation de 1978, un " trou " dans l'enregistrement
nous empêche de savoir ce qu'il en est.
(Dans la version originale, le rideau ne tombe pas immédiatement,
mais Bianca e Fernando partent ; Uggero survient, à la recherche
de Fernando... Clemente survient à son tour et tente de le rassurer,
lui disant seulement que Fernando a une haute tâche à accomplir,
et qu'il lui en parlera dans un autre lieu. On passait ensuite au tableau
final du souterrain).
Troisième tableau
[ajouté en 1828] : Un lieu désert près d'Agrigente.
Coro Scena ed Aria Fernando. Les hommes de Fernando constatent qu'ils
sont au complet, il ne manque plus que lui. Ils attendent dans la discrétion
car on ne doit pas les découvrir... ils se préparent à
accomplir l'oeuvre... Musicalement, la délicatesse extrême,
veinée de mélancolie, fait de ce choeur un superbe morceau,
que Bellini replaça avec raison sur les lèvres des chevaliers
français prisonniers à Jérusalem (Zaira) et dans
la bouche des guerriers gaulois de Norma ("Non partì ?").
La Scena qui suit nous révèle que ces hommes savent le secret
de Fernando et n'attendent que ses ordres... et lorsqu'ils objectent la
personnalité de Bianca, il provoque leur stupéfaction en
leur révélant l'innocence de sa soeur et le nouveau parti
qu'elle embrasse. La Cavatina de Fernando est un récit ému
de la douleur de Bianca, à l'audition des souffrances de leur père,
et du revirement sincère de celle-ci. Une brève Scena souligne
la satisfaction du choeur : " elle abhorre le monstre ! " et
Fernando précise qu'elle l'abandonne à leur haine... Tous
se déclarent prêts alors que la tension monte à l'orchestre,
préparant l'attaque de la Cabaletta : " J'entends tes pleurs
o père, / Tu souffres pour peu de temps encore ". Il sera
en effet bientôt dans les bras de son fils et de sa fille et tous
vivront un avenir heureux ; les autres se déclarent prêts
à voler au secours de l'innocence persécutée...
L'auditeur " bellinien " reconnaîtra en cette chaleureuse
Cabaletta, celle qui termine Beatrice di Tenda.
On pourra regretter de n'avoir la Cabaletta complète de Fernando
ni dans l'exécution de la RAI ni dans celle du Teatro Bellini,
quant à l'édition de Gênes, elle coupe purement et
simplement TOUT l'air de Fernando !
Quatrième tableau
: Un souterrain abritant les tombes des ducs d'Agrigente.
Preludio Scena e Romanza Duca Carlo. Le prélude est évidemment
sombre ! Etendu sur une pierre, le pauvre homme rêve qu'on le maltraite
et lorsqu'il s'éveille, il pense amèrement à son
fils qui ne l'aurait jamais laissé arriver jusqu'en ce lieu...
Quant à sa fille, il souhaite ardemment la bannir de sa mémoire...
La flûte introduit sa triste et fort belle romance : il sent une
sueur glacée lui donner un frisson prémonitoire de sa fin
prochaine... lorsque Fernando rejoindra à son tour " l'éternel
exil ", il pourra le voir et l'embrasser !
Scena e Terzetto. Une belle et émouvante phrase orchestrale accompagne
l'entrée de ses deux enfants et souligne ainsi leur émotion...
la Scena est très animée, avec la surprise de Carlo et ses
reconnaissances successives, Fernando se dit d'abord un envoyé
de son fils, Carlo se réjouit... mais de Bianca il ne veut rien
savoir et appelle même la colère du ciel sur sa tête
! Lorsqu'elle se découvre à lui, la Scena déjà
fort vive devient directement trio, commençant par une invective
désespérée de Carlo. Qu'elle prenne donc sa vie !...
Fernando invoque l'amour paternel... qui a finalement raison de l'indignation
de Carlo (plutôt qu'une explication logique !). Leur trois voix
s'unissent magnifiquement et Fernando, pour le plus grand bonheur de son
père, lui révèle alors qu'il est son fils : le duc
appelle ses enfants pour les serrer contre son coeur !
La Stretta, dans sa refonte de 1828, exhalte leur indignation et la détermination
de leur vengeance, alors que l'originale insistait sur le bonheur de l'instant
merveilleux des retrouvailles.
Finale secondo. a) Scena. On entends des rumeurs se rapprochant... Filippo
fait irruption, entraînant avec lui le fils de Bianca ; il est suivi
de Clemente, d'Uggero, des hommes de Fernando et d'une foule de gens d'Agrigente.
Il menace de tuer l'enfant si on tente quelque chose contre lui. Il exige
que Bianca le suive, et maintienne donc ses engagements... Comprenant
qu'il est capable de mettre sa menace à exécution, Bianca
contient l'ardeur de son frère et adresse alors une prière
à Filippo.
b) Cavatina (Largo espressivo) " Deh, non ferir (Ah, ne frappe pas)
". La flûte introduit le thème de la touchante prière
que Bianca présente à Filippo : il lui en demande trop...
qu'il craigne plutôt la vengeance des hommes et du ciel... et qu'il
se contente de la vie qu'on promet de lui accorder !... Filippo et Fernando
ponctuent de leur inflexibilité respective la supplique de Bianca,
la rendant ainsi plus dramatique. Voyant que ses paroles demeurent sans
effet, elle a cette tentative désespérée : c) Allegro
agitato " Crudele alle tue piante (Cruel, à tes pieds) "
(repris de Adelson e Salvini). Qu'il lui suffise d'avoir offensé
et trahi un prince, un père, qu'il épargne alors de nouvelles
victimes :
" Respecte une mère affligée...
Hélas ! ne te tache pas
Du plus cruel délit...
Pitié d'un coeur oppressé
De ma douleur, pitié ! "
Contrastant avec la
prière, cet Allegro agitato traduit le désespoir de la mère
éplorée... Fernando, éperdu d'indignation, se retient
à grand peine, les autres tentent de faire également pression
sur Filippo... C'est à ce moment que, profitant de l'attention
réservée à Bianca par Filippo, le vieux Clemente
l'attaque, libère l'enfant et le conduit à Bianca, tandis
que les soldats s'emparent de " l'usurpator " ! Bianca exulte
alors alors que tous invitent la famille à retourner régner
sur leur chère ville d'Agrigente.
d) Cabaletta finale " Alla gioia ed al piacer " :
" A la joie et au plaisir,
Mon coeur ne sait résister...
A l'idée de tant de bonheur
Ma pensée est éperdue.
Si pour les larmes et les soupirs,
Une telle récompense le Ciel me donne,
Même le souvenir de la souffrance,
Se fait alors suave pour moi. "
Il s'agit d'une Cabaletta
calme et posée avec possibilité d'ornementation dans le
Da Capo, ce que fait l'interprète de la version du Teatro Bellini.
Les cadences finales sont ponctuées par les voeux de bonheur de
tous les autres, encore un peu à la manière de Rossini (dans
La Cenerentola, par exemple).
Finale original (1ère
version). Filippo entre, incertain, Gernando l'interroge au sujet de l'enfant
et l'autre répond qu'il dort paisiblement... et d'une voix entrecoupée
il demande à Gernando si son homme... Gernando finit la phrase
: " ...a déjà donné la mort à Carlo!
". Des voix de plus en plus proches crient au traître, à
l'usurpateur... Filippo, stupéfait d'avoir été trahi
par Gernando tire alors son épée contre lui... Gernando
se défend en disant : " Un Dieu m'a rendu mon père
! ". Filippo comprend tout mais s'élance pour tuer Gernando...
Bianca surgit entre eux, Filippo lâche son épée...
Les soldats de Gernando entrent enfin, avec Clemente, Eloisa et Uggero,
qui annonce l'arrestation de Viscardo. Le duc Carlo se dresse devant Filippo
et lui demande s'il ne craint encore pas la colère du ciel ! Gernando
le fait enmener dans " un lieu plus terrible " et " parmi
les mêmes ténèbres " (!) où il trouvera
la mort. Filippo une fois sorti, chacun des trois chante un couplet d'exultation,
puis tous invitent le duc Carlo à retrouver palais et trône,
à retrouver " Agrigento " !
Musicalement, l'ancien Finale, nous décrit Lippmann, se composait
d'un " dialogo drammatico " et d'un bref ensemble conclusif
avec choeur.
A propos du nouveau Finale :
Le choix d'un air
pour soliste en guise de Finale, avec des paroles traduisant sa forte
exaltation (dans la joie ou la douleur) est révélateur de
cette nouvelle manière de conclure un opéra, dans le goût
romantique. L'opéra terminait ainsi par un grand air d'apothéose
finale : le protagoniste atteignant soit une sorte de paroxysme de la
souffrance le faisant basculer dans le désespoir ou la folie...
soit se retrouvant éperdu de joie, de cette joie inespérée
qui donne l'ivresse, qui coupe le souffle !
Rossini ne terminait pas souvent un opéra bouffe par un air final
pour le ou la protagoniste mais quant il le fit (La Cenerentola, Adina)
ce fut avec bonheur ! La pratique devint de plus en plus courante et Gaetano
Donizetti par exemple, l'utilisa au moins dans une dizaine d'opéras
" giocosi " ou d'esprit comique... pour ne rien dire de l'air
final dramatique, véritable "fond de commerce" non seulement
donizettien, mais de tout l'opéra romantique italien !
Bellini utilisera
encore deux fois l'air final gai : dans La Sonnambula et la version révisée
de I Puritani et trois fois l'air final dramatique : Il Pirata, La Straniera,
et Beatrice di Tenda .
(Adelson e Salvini recourt au vieux final à couplets, Zaira et
I Capuleti e i Montecchi n'ont pas de " morceau musical " proprement
dit. La version originale de I Puritani adopte un simple choeur ; quant
à Norma, il s'agit d'un grand ensemble concertant).
6
Certains commentateurs de l'oeuvre ont écrit que parmi les modifications
intervenues entre la première et la seconde version, figurait le
changement de registre pour le personnage de Viscardo, et on peut entendre
en effet un ténor dans les deux représentations dirigées
par Gabriele Ferro, et un mezzo dans celui du Teatro Bellini... Jusque
là tout est plausible, le mystère naissant à la lecture
de la distribution des deux créations : dans les deux cas, ce fut
une femme qui créa le rôle de Viscardo !
7
Dans la plaquette de l'enregistrement Nuova Era, réalisé
au Teatro Bellini de Catane en 1991.
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