Auréolé
de ce brillant succès scolastique, Vincenzo tente une demande officielle
de mariage auprès de la casa Fumaroli, par l'intermédiaire
de son ami, le peintre Giuseppe Marsigli qui donnait des leçons
à la belle Maddalena. Le Presidente Fumaroli resta inflexible,
il ne donnera jamais sa fille à "un suonatore di cembalo",
à un joueur de clavecin ! Alors, le pauvre suonatore di cembalo
n'a plus qu'à se tourner vers son premier et unique amour, la musique
et en juillet 1825, il dirige une Messa, probablement in Sol minore, dans
la commune de Gragnano qui la lui a commandée.
Une autre commande, inespérée et magnifique, n'allait pas
tarder à se faire jour et grâce au duc de Noja, gouverneur
des conservatoire et surintendant des théâtres napolitains.
Celui-ci avait fait ajouter une clause dans le réglement des théâtres,
concernant l'obligation pour le directeur, d'offrir la possibilité
à un élève de talent, signalé par les conservatoires,
de composer une cantate ou un opéra en un acte à l'occasion
d'un "gran gala" ou fête de circonstance. La direction
du théâtre devait lui fournir un livret de qualité
et une compensation- gratification de 300 ducats.
Le directeur ou l' "impresario", comme on disait à l'époque,
des théâtres royaux de Naples était le redoutable
Domenico Barbaja, homme brusque, peu sensible mais excellent " gestionnaire
" dirait-on aujourd'hui ! Un flair infaillible lui faisait engager
les compositeurs les plus talentueux, leur imposant un contra-chaîne,
les obligeant à écrire sans relâche : deux proies
illustres, parmi d'autres : Gioacchino Rossini et Gaetano Donizetti...
mais qui, sous le joug "barbajesque" donnèrent bon nombre
de leurs plus beaux opéras !....
Notre Vincenzo avait
les idées bien arrêtées et il fit valoir, d'une part
son peu d'intérêt pour une oeuvre de circonstance come une
misérable cantate et obtint un véritable opéra. D'autre
part, le "poeta" officiel des théâtres étant
le bon Tottola, c'est lui qui aurait dû lui fournir le livret, mais
Vincenzo avança le nom d'un jeune inconnu, Domenico Gilardoni,
appelé à écrire bon nombre de livrets fort intéressants.
Leur choix s'arrêta sur une pièce de Carlo Roti ayant connu
un beau succès et qui venait d'être publiée : Bianca
e Fernando alla tomba di Carlo IV, duca d'Agrigento. Florimo rapporte
qu'une fois la composition terminée, Vincenzo aurait déclaré
: " J'espère que cette Bianca que j'ai étudiée
et écrite du mieux que j'ai pu, m'apportera la chance 5
et m'ouvrira la route d'un bel avenir. Ah ! combien en sera contente la
bien-aimée de mon coeur ! Après le succès, si Dieu
le bénit, je renouvellerai mes instances pour obtenir sa main,
j'espère qu'il ne la refuseront pas à qui aura triomphé
au San Carlo : nous verrons ! ".
Le jour fixé
pour la création -rien moins qu'au San Carlo !- était celui
du 12 janvier 1826, anniversaire du prince héritier du trône
Ferdinando. Les chanteurs engagés n'avaient plus de réputation
à se faire : Giovanni David, valeureux ténor, grand interprète
de Rossini, Adelaide Tosi et Luigi Lablache, célèbre basse
de l'époque.
Premier petit accroc, la censure bourbonienne montre le bout de son nez,
trouvant à redire sur le titre raccourci en : Bianca e Fernando,
car c'est là le prénom de l'héritier du trône,
Fer(di)nando ! On change donc Fernando en Gernando (!). Autre ennui, la
crainte constante du débutant envers celui qui était loin
de son début ! " J'ai vraiment peur, cher Florimo, confiait
Vincenzo à ce dernier, d'écrire un opéra dans le
même endroit où écrit un Donizetti, moi si peu expert
dans les compositions théâtrales, et lui que toute l'Italie
salue à juste titre "egregio maestro". [excellent, remarquable
compositeur]".
Gaetano Donizetti, revenait de grands succès romains Zoraida di
Granata, L'Ajo nell'imbarazzo aussi bien que napolitains : La Zingara,
Emilia di Liverpool, et allait en effet donner au même San Carlo,
son seizième opéra Alahor in Granata, mais dans un touchant
retour des choses, le modeste Lombard craignait autant le Sicilien : "
Ce soir est donné au "San Carlo", écrit-il à
son maître Simone Mayr, Bianca e Gernando (Fernando, non, parce
que c'est un péché) : de notre Bellini : première
production, belle, belle, belle, et spécialement pour la première
fois qu'il écrit. Elle est même tellement belle, que je m'en
rendrai compte avec la mienne, d'ici à quinze jours. " Donizetti
parle de "première production" car Adelson e Salvini,
rappelons-le, était un essai scolastique. Quant à son "
la mienne ", Donizetti fait allusion à ses Don Gregorio [L'Ajo
nell'imbarazzo] ou Alahor in Granata qui allaient bientôt connaître
leur première locale.
Coup final, alors que les répétitions avainent commencé,
la soirée de gala fut suspendue pour faire place à l'anniversaire
du décès du roi Ferdinando I°, et repoussée au
30 mai, fête du prince héritier... ce qui voulait dire pour
Bellini de revoir l'écriture des deux rôles principaux car
les chanteurs prévus n'étaient plus libres à cette
date ! Voici donc le légendaire ténor Giovanni Battista
Rubini à première création bellinienne, (1794-1854)
avant Il Pirata, La Sonnambula et I Puritani, écrits sur mesure
pour lui. Il sera notamment appelé à créer sept rôles
de Donizetti et bien d'autres, de compositeurs importants. Capable des
plus suaves nuances comme d'éclats des plus violents, il passait
imperceptiblement, disait-on, du registre de poitrine à un puissant
falsetto, pour des notes pratiquement hors d'atteinte aujourd'hui comme
le fameux fa4 que Bellini lui offrit à la fin de I Puritani -mais
aussi dans Bianca e Gernando !- ou encore le sol aigu (dans Roberto Devereux
).
Enrichetta Méric Lalande (1798-1867) sera également créatrice
de Imogene (Il Pirata), de la reine de France (La Straniera) et de Zaira
du même Bellini, ainsi que de la Lucrezia Borgia de Donizetti. Elle
appartient à cette fameuse catégorie du " soprano drammatico
di agilità ", devant être capable certes, de vocaliser
(" agilità ") mais surtout d'émettre les sons
avec une certaine force, une véhémence expressive voulue
par les compositeurs romantiques qui écriront pour ce type de voix
de redoutables et merveilleuses scènes finales d'opéras,
véritables points culminants de toute l'oeuvre.
Le 30 mai 1826, un beau succès reçoit Bianca e Gernando
et la critique loue également l'oeuvre, reconnaissant toutefois
le tribut qu'elle paye à l'époque : " son style, écrit
le Giornale delle Due-Sicilie, nous semble empreint de cette vivacité
parfois un peu excessive de la musique moderne ". Elle lui trouve
toutefois une belle capacité à servir le sentiment exprimé
par les paroles, et cette "immédiateté" de la
musique, en quelque sorte, recherchée par Bellini et Donizetti,
sera une volonté absolue chez Verdi, notamment.
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Le mot de Bellini est ce fameux " fortuna " qui signifie d'abord
chance, succès et aussi, bien sûr, fortune matérielle
mais en moindre mesure.
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