Cette Alcina de Haendel devait être l’un des points forts de l’excellente saison de l’Opéra Royal de Versailles. Sur le plan purement économique, ce fut certainement le cas : malgré des tarifs particulièrement élevés pour une version concert, la salle est archi pleine, au point que le théâtre a rajouté une centaine de chaises à l’emplacement de la fosse. La défection de Sonya Yoncheva, officiellement souffrante, ne semble pas avoir non plus refroidi les ardeurs d’un public dont on pariera qu’il était pour une bonne part venu avant tout entendre Philippe Jaroussky. L’absence de la soprano bulgare est d’autant plus regrettable que son interprétation d’extraits d’Alcina en 2014 à Pleyel nous avait enchanté : il est rare d’entendre dans le répertoire baroque une voix avec de tels moyens.
Appelée en remplacement, Inga Kalna n’est pas un choix indigne, mais ne se situe pas à de telles hauteurs. Le timbre est riche, sinon opulent, avec de beaux sons filés, les vocalises sont bien conduites, mais les moyens restent simplement honnêtes : la voix semble s’arracher dans les (rares) aigus, la projection n’est pas homogène avec un haut medium nettement plus puissant que le reste du registre. Dramatiquement, la composition manque d’âme et de corps : difficile d’être enchantée par cette magicienne, mais la cause est sans doute à chercher dans la direction musicale, nous en reparlerons.
Le Ruggiero de Philippe Jaroussky se situe à un très haut niveau. On reste d’abord stupéfait de la jeunesse inentamée de ce timbre rayonnant. On savoure qu’il ait notablement gagné en projection. Les vocalises sont exécutées avec aisance, quoique avec un staccato un peu trop marqué. Néanmoins, Jaroussky manque dans les airs de bravoure de cette folie et de cette exubérance que l’on attribue aux castrats : on ne trouvera pas ici les aigus triomphants ou les variations délirantes que l’on acclament chez d’autres. Finalement, le chanteur reste toujours davantage à son aise dans les passages plus mélancoliques où la pureté de son timbre fait merveille.
Hasnaa Bennani, interprète du jeune Oberto, est une belle surprise : timbre superbe, beau legato, justesse d’émotion… il ne lui manque encore qu’un peu d’assurance. Une artiste à suivre en tous cas. Belle découverte également avec le ténor Anicio Zorzi Giustiniani et son émission typiquement latine au timbre bien caractérisé. La voix, sans être puissante, est bien projetée, homogène, et les vocalises exécutées sans effort. La Morgana d’Emöke Barath est d’un abattage certain et son premier air déclenche la première ovation de la soirée : beau timbre, belle technique, émission franche mais qui manque un peu d’homogénéité. Nous serons plus réservés en ce qui concerne le Melisso de Christian Senn, dont la voix nous a semblé un peu fatiguée, ainsi que pour la Bradamante (fort applaudie au demeurant) de Delphine Galou : les vocalises sont exécutées avec une grande vélocité, mais la projection est faible et le timbre rauque.
D’où vient alors un certain sentiment d’ennui tout au long de ce concert ? Certes la direction d’Ottavio Dantone est techniquement impeccable, mais c’est du baroque propret, sans verve, sans folie, souvent pesant. Même le bis final (une spécialité versaillaise) n’a pas le côté festif habituel. De plus, le chef semble incapable d’animer ou de contrôler ses chanteurs : il ne sait pas instiller de la flamme dans le chant d’Inga Kalna, calmer le léger cabotinage de Philippe Jaroussky dans ses premiers airs un peu trop pris sur le ton de la comédie, recadrer Emöke Barath pour la sortir de son personnage de soubrette, ou encore rassurer Hasnaa Bennani pour qu’elle ne reste pas scotchée à sa partition. Tout au long de ces trois heures et demie de spectacle sans surtitres, il ne parvient finalement pas à éviter les tunnels.